mardi 29 décembre 2009

Reine des neiges

Mon pays c’est l’hiver… Pied de nez aux débats actuels sur le réchauffement climatique, un tapis scintillant de poudre blanche a recouvert la France pendant quelques heures, ajoutant une couche supplémentaire de perturbations au chaos ambiant. L’alerte avait à peine été lancée que les chaînes de télévision nous abreuvaient déjà d’images de désolation générale : camions renversés, orphelins errants, magasins dévalisés, animaux affamés… Deux centimètres de neige ont réussi à paralyser l’économie de tout un pays et à réveiller des peurs séculaires.


Beaucoup ont ainsi profité du déchaînement imprévu des éléments naturels pour rester calfeutrés chez eux ou faire l’école buissonnière, en toute impunité. C’est curieux dans ce genre de situation le nombre de personnes qui habitent soudain dans un coin perdu de campagne, accessible uniquement par un chemin tortueux rendu totalement impraticable.

Au détour d’une rue du centre ville, j’aperçois, en pleine séance de shopping de Noël, l’une des personnes avec qui j’aurais du avoir une réunion au même moment. Ce monsieur m’avait laissé un message pour annuler notre rendez-vous invoquant une histoire abracadabrante de maison isolée attaquée par des loups et l’impossibilité de toute tentative de sortie. Ce manque de témérité m’avait profondément agacée car j’avais été confrontée autrefois au froid extrême, condamnée à traverser les plaines glacées du Québec pour rejoindre coûte que coûte la forteresse où m’attendait ma responsable de service, une terrible ogresse qui ne pardonnait aucun retard. J’avais aussitôt rappelé l’homme en question lui proposant de venir à sa rescousse si l’assaut durait plusieurs jours. Pour rester dans l’univers des contes et légendes, je lui avait dit que je serais tout de rouge vêtue, porterais un petit panier et fredonnerais : « Promenons-nous dans les bois… ». A son tour, le fiel affabulateur me voit. J’agite un mouchoir rouge lui signifiant que je ne suis pas dupe de sa supercherie. Nous échangeons alors un long regard qui scelle une convention tacite : je ne dirai rien et il me sera éternellement redevable, satisfaisant toutes mes demandes.

Cet or blanc rare et précieux a aussi un effet euphorisant sur les foules. Gagnée par l’ivresse collective, je tourne, virevolte, étrennant avec un peu d’avance et pour ma plus grande joie toque et mitaines en fourrure, achetées spécialement pour affronter avec élégance et glamour, la rudesse de l’hiver berlinois. Qui a dit que j’avais épousé la cause écologique ? Des femmes d’un certain âge admirent de loin ma mise soignée. Le titre de cette chronique est d’ailleurs mal choisi car il fait référence à une créature machiavélique et froide. Je me verrais plutôt dans la peau d’une russe blanche qui, dépossédée de ses titres, a décidé de rejoindre la cause du peuple et ainsi atteint l’unique et vraie noblesse : celle du cœur.

Dans le rôle de la citoyenne « grande » bienfaitrice, la première dame du pays, l’incontournable Carla B, est parfaite ou presque. Dans une récente interview, elle a évoqué l’amitié qu’elle entretient depuis plusieurs années avec un vagabond. Avec lui, elle affirme parler littérature et il lui aurait enseigné, entre autre chose, le libre arbitre. Je regarde autour de moi les trop nombreuses silhouettes anonymes qui vivent sur les trottoirs et grelottent dans leurs abris de fortune et je comprends mieux pourquoi on a décapité des têtes couronnées décadentes à une certaine époque. Où est la pudeur, où est la décence ?

Je ne vaux peut être pas mieux car, rattrapée par la tentation du confort bourgeois, j’ai mis un peu de côté mes velléités d’actions solidaires. Pire, j’ai bien failli rejoindre les rangs d’une ONG dédiée à la lutte contre la faim, en ayant pour principale motivation l’idée d’un « rapprochement » professionnel avec l’un des French Doctors en charge de la coordination. Pardon Camarades. L’année 2010 sera fraternelle et désintéressée ou ne sera pas. No pasaran !

mardi 8 décembre 2009

Influenza















Ce titre n’est pas une énième évocation de ma récente épopée hispanique, ni le nom donné à la dernière tempête tropicale qui s’est abattue violemment sur les villages côtiers déjà dévastés du Honduras. Le sort ne s’acharne pas toujours sur les mêmes et cette fois la planète entière est concernée. Il s’agit en fait d’une tornade d’un autre type, tout aussi virulente, qui s’immisce dans notre quotidien intime sans prévenir et qui crée des dommages irréparables. « Influenza », c’est l’autre appellation donnée au virus de la grippe. Rien qu’à la lecture du mot « grippe », chers lecteurs, je vous imagine tremblants d’effroi, cherchant en vain une issue de secours pour échapper à la contamination générale qui nous frappe.

Fièvre et toussotements. Et si la fin du monde était proche ? Fiction ou réalité, difficile de savoir ce qui se passe vraiment, tellement la confusion règne. On nous cache tout, on nous dit rien. Les politiques s’en mêlent, les médias nous embrouillent et chacun y va de sa dernière information irréfutable communiquée par un cousin en première année de médecine qui a entendu dire que. Je vous livre l'ultime en date révélée hier soir au cours d’un dîner : « Il faut tuer le mal par le mal et se faire injecter du sang de cochon un soir de pleine lune en chantant This is the End de Jim Morrisson, en hommage à ce chanteur trop tôt disparu et adepte des rituels chamaniques ». C’est en toute confiance que je vous dévoile le secret de cette recette de grand-mère dont l’efficacité ne fait aucun doute.

La grippe A/H1N1 est le grand sujet du moment et permet de meubler les conversations entre collègues, en ajoutant un souffle nouveau au traditionnel échange de banalités. L’une d’entre elles est d’ailleurs fortement remontée dans mon estime, du moins au niveau de son potentiel narratif, tellement le récit de sa tentative d’accès au centre de vaccination avec ses deux bambins sous les bras était poignant et tragique. « Il pleuvait sur Toulouse ce jour-là, les enfants grelottaient de froid et de faim, les femmes enceintes et les vieillards tombaient comme des mouches face à l’indifférence générale. Puis vint le moment où les autorités sanitaires sont arrivées à cours de vaccins et ce fut l’émeute. Les plus faibles ont été piétinés et la foule a été finalement dispersée par une troupe d’élite sarkoziste, à coup de gourdins. », nous a-t’elle raconté, encore en état de choc. C’était presque aussi triste que la rafle du Vel d’hiv ou la famine en Afrique. Tout le bureau sanglotait. J’ai alors brisé la minute de silence dédiée aux victimes de cette journée sanglante en disant : « eh ben il fallait dire NON AU VACCIN et faire front contre le grand complot des laboratoires pharmaceutiques qui nous trompent et nous manipulent». Elle m’a répondu, reniflant de défit : « Ce n’est pas pour moi. C’est pour mes enfants. Tu ne peux pas comprendre. Tu verras si cela t’arrive un jour ». Pitié pas le discours de la mère courage envers et contre tous et reclassification immédiate dans la catégorie « bobonne de banlieue » irrécupérable et lobotomisée par le journal de TF1.

Stimulée tout de même par cet élan de créativité littéraire et ayant envie de surfer sur le thème à la mode du vampire sympathique et sexy, j’ai pensé un instant lui expliquer que le virus ne passerait pas par moi car j’étais déjà morte il y a 5 siècles de la peste noire. Je devais ma résurrection à l’intervention d’un Nosferatu travesti, en rupture de ban avec ses congénères à cause de ses orientations sexuelles, d’où la connivence que j’entretiens depuis avec les exilés et les outsiders. Je me suis finalement abstenue, songeant que le lieu était mal choisi pour disserter de la symbolique hautement érotique du « baiser-morsure ». L’imagination au pouvoir n’est pas donnée à tout le monde.

Un mal peut en cacher un autre et la Grippe A/H1N1 sera rapidement oubliée au profit d’autres coups médiatiques. Vite un tsunami ou un tueur en série cannibale pour Noël !

lundi 16 novembre 2009

Good Bye, Lenin !



















Depuis quelques jours, tous les regards sont braqués vers Berlin. Il y a 20 ans tombait le mur de la honte et le rideau de brume qui avait scindé le monde en deux se levait enfin. A la question, que faisiez-vous un certain 9 novembre 1989, notre empereur Nicolas Ier s’est empressé de répondre : « J’étais à Berlin en train d’arracher les pierres du mur à mains nues ». Afin de prouver sa contribution significative à cet évènement historique, les chaînes de télé ont diffusé en boucle des soi-disant images d’archives où l’on pouvait voir notre icône nationale plus jeune et plus chevelue, entourée de quelques-uns des sinistres sbires qui nous gouvernent actuellement, donnant des petits coups de burin et osant quelques tags provocateurs et porteurs de messages politiques mystérieux du type : « Nicolas+Cécilia=amour éternel sans divorce ». La suite de l’histoire aura prouvé qu’amour ne rime pas avec toujours, même si notre omni-président semble vivre une passion sans nuage avec l’Histoire, la Grande, la Vraie.

En effet, sans vouloir saluer une fois de plus l’étendue de ses supers pouvoirs, il faut reconnaître que Nicolas Ier a des talents de visionnaire puisqu’il a senti depuis Paris et avant tout le monde le mur se lézarder et a accouru afin d’être vu au bon endroit et au bon moment. Quel caméléon et quel sens du style aussi car il avait pris soin de revêtir pour l’occasion la petite veste vert moutarde qui allait bien, symbole d’une population condamnée à l’austérité et au port des couleurs ternes. De la même façon, il a été enfant sorti des eaux après le naufrage du Titanic, nègre pour les émissions de De Gaulle sur Radio Londres (« les carottes sont cuites », c’était de lui), comité d’accueil en apnée lors du premier pas de l’homme sur la lune, casseur d’étudiants en mai 68 (Oups, un faux pas dans ce parcours héroïque ? ), pompier malgré lui dans les Twin Towers infernales…. Oui mais voilà, des journalistes courageux ayant pour une fois réussi à déjouer les pièges de la censure imposée par l’appareil étatique ont révélé que le film avait été réalisé avec trucage et que, à ladite date, Nicolas Ier vaquait à des occupations beaucoup moins glamours et médiatiques. Pourquoi ce besoin de tirer la couverture ou plutôt le rideau de fer à lui ? Il est vrai que tuer le cochon à la fête locale de Pissenavache, organisée en son honneur par des supporters de la première heure a une portée moins universelle. Qu’il se rassure, il se trouve aujourd’hui en France au pied de tellement de murs, qu’il n’aura même pas le temps de rougir de ce mensonge d’écolier.

Puisque tout le monde se préoccupe de savoir où il se trouvait ce fameux jour, je me suis également prêtée au jeu. Opération difficile car je venais d’entrer en seconde (avec un certain nombre d’années d’avance tout de même. Non, vous ne connaîtrez pas mon âge réel ni avoué !), et à cette époque les journées passaient et se ressemblaient dans cette prison que formait les quatre murs de la salle de cours. Telle une habitante de RDA, je nourrissais des projets d’évasion et creusais des tunnels imaginaires. Point de souvenir particulier de cette « journée particulière » donc.

Depuis, j’ai abattu les murs et parcours le monde à ma guise et au gré de mes envies. Coïncidence ou effet mouton de Panurge, je me rendrai prochainement à Berlin, ville qui semble être l’actuelle détentrice de ce qui reste du souffle créatif européen. Et puis, quitte à aller au bout de la dépression hivernale, autant se rendre dans un lieu froid et mélancolique.

Le motif du voyage n’est pourtant ni culturel ni politique mais purement romantique. Il s’agit de retrouver la trace d’Otto S qui fut le correspondant allemand de mon amie Irène en 4ème et dont le souvenir, à l’inverse des ruines du mur, est resté intact dans son coeur. En pleine séance d’hypnose destinée à mettre un terme définitif à son addiction à la cigarette, Irène a prononcé son nom à maintes remises et depuis elle ne dort plus, ne s’alimente plus et fume plus que de raison. Otto S reste à tout jamais son Schatzi, sa petite Wurst chaude, son verre de Schnaptz bien frappé.

Inquiète de la voir si malheureuse, j’ai réuni notre comité de soutien aux jeunes femmes en détresse et nous avons décidé de l’inscrire au « Perdu de Vue » allemand pour pousser un peu le destin et favoriser leur « réunification ». Irène passera donc en direct sur la ZDF, le soir du 31 décembre. Il y a cependant un léger problème car, hypnotisés par le charme dévastateur d’Irène à partir d’une simple photo, plusieurs Otto S se sont présentés aux organisateurs de l’émission. « Ô belle Ireneï, aux yeux pleins de pierreries, de quel magicien tiens-tu ta sorcellerie…», récitent-ils en chœur, se languissant de son absence. Irène saura t’elle démasquer les mystificateurs et reconnaître parmi un groupe de quadragénaires chauves et bedonnants celui qui fut un bel éphèbe blond et longiligne ? Comme c’est la coutume, l’émission se terminera par un concours de descente de bières entre les finalistes. Irène, redescendue de son piédestal, a émis le souhait d’y participer. Que le meilleur gagne !

mercredi 21 octobre 2009

Place des Grands Hommes

Qui n’a jamais rêvé d’avoir 20 ans pour toujours ? Chacun garde un souvenir ému de cette période unique, des lieux qu’il fréquentait, de sa bande d’inséparables joyeux lurons. C’était surtout bien de jouir du présent sans compter, d’expérimenter des choses déraisonnables et d’avoir droit à l’erreur et au tâtonnement sans penser au lendemain.


A l’époque, je venais de débarquer à Londres, capitale faussement grise, et, surexcitée par cette liberté fraîchement acquise, j’avais l’impression que le monde s’ouvrait à moi. Ma chambre étudiante de 9 m2 n’avait pas de murs et représentait un champ des possibles extensible à l’infini. Je m’étais sentie immédiatement chez moi dans cette ville follement éclectique et électrique et je voulais y passer le reste de ma vie. La suite aura prouvée que, comme en amour, rien n’est éternel et il ya eu beaucoup d’autres maisons, décors et rencontres.

Il ya quelques jours, mes fidèles comparses d’alors et moi-même, avons décidé de jouer la grande scène du come back nostalgique et nous nous sommes donnés rendez-vous sur cette « Place des Grands Hommes » qui nous est propre, de l’autre côté de l’Atlantique. Petite entorse tout de même à la chanson de Bruel : nos routes se sont régulièrement croisées tout au long des ces années et nous ne pouvons donc nous extasier mutuellement sur nos fabuleuses trajectoires ni sur nos physiques rendus exceptionnels par la patine du temps. Notre étape londonienne a scellé nos destins à jamais et nous formons depuis une famille unie bien que fort disparate, surtout au niveau des choix politiques. Comme dans toutes les fratries, les compliments sont rares, les critiques fusent dès que l’un d’entre nous prend un peu d’embonpoint et les fréquentes bouderies pour des sujets futiles font rapidement place à des crises de fou rire. Ah mes chers amis, ne changez rien ou presque !

C’est donc ensemble que nous avons choisi d’arpenter dix ans après les rues de Londres, à la recherche du temps perdu. Certains changements majeurs nous ont immédiatement sauté aux yeux. L’Intrepid Fox n’est plus. O Sacrilège ! Comment Funky David a-t-il réagi à la fermeture de ce temple des nuits londoniennes ? Le choc a du être terrible et je l’imagine sans mal enchainé au comptoir du bar, tel un chevalier sans peur et sans reproche prêt à couler avec le Titanic, face à l’assaut des bulldozers. Je n’ai pas pu m’empêcher de verser une petite larme.

England, England, England. La ville continue à baigner dans une insouciante décontraction où se mélangent vendeuses assumant le voile envers et contre tous, adolescentes obèses plus débraillées et péniblement moulées dans des leggings XXL et réincarnations de Queen Mum en goguette dopées au Gin Tonic. Les rythmes restent avant-gardistes, même si le récent coup de projecteur sur une certaine Susan Boyle aurait pu permettre d’en douter.

La technologie a gagné du terrain et j’ai revisité à mes dépends la célèbre scène des Temps Modernes de Chaplin, dans un magasin Mark & Spencer. Les caissières d’autrefois, inoubliables dans leurs blouses si peu seyantes, ont été remplacées par des automates muets et hostiles vers lesquels nous a dirigés sans ménagement un grand black peu commode « Hurry up… ». Il y avait une logique à suivre pour faire la queue que, bien évidemment, nous n’avons pas respectée provoquant l’indignation générale et un repli discret et honteux en bout de file. Mon tour a fini par arriver mais je suis restée interdite face à l’écran de contrôle aux données incompréhensibles, au grand désespoir du Monsieur qui s’est brutalement emparé de mes articles. J’ai protesté en déplorant la disparation du lien humain. S’en était trop pour mon interlocuteur qui m’a poussée hors du magasin, en disant quelque chose qui ressemblait à « Fucking French » mais en plus vulgaire.

Je n’ai pas été la seule victime de ces excès de zèle technique. Lors du trajet retour, la valise de Pépé passée au scanner a révélé la présence de capsules suspectes. Mon ami avait-il subi l’influence néfaste d’un narco-trafiquant peu scrupuleux, transformé en mule malgré lui pour quelques euros de plus ? J’ai repensé avec effroi aux scènes les plus terribles de Midnight Express, m’imaginant dans un parloir sordide en train de réconforter un Pépé amaigri. Une fouille plus approfondie du bagage a permis d’identifier le contenu illicite. Fidèle a lui-même, Pépé avait dévalisé le stock d’échantillons de produits de bain et de mini-confitures de l’hôtel. Tel a été pris qui croyait prendre. Le butin a été confisqué et Pépé est pour une fois rentré bredouille.

Au final qu’en est-il ? Ce pèlerinage n’aura pas apporté d’éclairage majeur sur notre actuel rapport au monde. Nous avons communément refusé de dresser un bilan et préférons nous dire que si c’était à recommencer on referait tout exactement pareil. Il reste encore beaucoup à accomplir et nous avons promis d’être solidaires dans cette glissade impitoyable vers la quarantaine qui, pour certains d’entre nous, se rapproche dangereusement. Sans rancune et rendez-vous dans dix ans, même heure, même endroit !

mardi 29 septembre 2009

Vive la rentrée !












On a rangé les vacances dans des valises en carton… L’été s’étire autant que possible mais en vain, l’automne est déjà là. Réflexe de l’enfance oblige, la période appelle le changement et le renouveau. Chacun d’entre nous est resté cet écolier qui découvre avec un mélange de terreur et d’excitation sa nouvelle maîtresse et ses futurs camarades de jeu. Fini aussi le temps des cigales bien qu’il semble que j’ai rejoint les rangs des petites fourmis, car ma nouveauté à moi, c’est de rester dans la continuité. Pour une fois, point de déménagement, bouleversement, mouvement ou autres mots terminant en –ment qui forment habituellement mon quotidien.

Je laisse à d’autres, autrefois apôtres d’une vie bien réglée, le lot de la remise en question. Tous mes vœux vous accompagnent chers amis. Je pense que certains se reconnaîtront, comme le petit JL qui reprend courageusement le chemin de l’école, afin de constater les évolutions majeures de l’enseignement depuis 1977, date de son dernier passage sur les bancs de la fac. Pardon JL, tu sais bien que les années qui passent riment pour toi avec rajeunissement et tu te fondras sans problème dans la masse des ingénieurs en culottes courtes.

J’ai donc choisi de prendre le contre-pied de la grande tendance 2009 et m’essaie à un nouveau mode vie jusqu’ici inconnu : la stabilité. J’avais fait une première tentative d’installation il ya quelque temps, dont la concrétisation majeure avait été l’achat d’une machine à laver, acte hautement symbolique qui avait stupéfait mon entourage mais l’objet avait été rapidement revendu. A l’époque et avec mon niveau de réticence, cette acquisition équivalait à celle d’une maison en banlieue avec un crédit de 30 ans. Cet exemple qui peut sembler anodin résume parfaitement la terreur enfantine que m’inspire un univers trop rassurant. Je devrais d’ailleurs modifier le titre de ce blog et l’intituler plutôt : « L’art de survivre à la routine ou suis-je enfin adulte ? ». Vais-je résister à l’appel de la bohême et du voyage ? Ah bougeotte quand tu nous tiens. Je peux essayer de m’adapter mais il est trop tard pour changer. Je veux rester du côté du monde libre car il y a toujours des fléaux à combattre et des crises à surmonter.

Je suis tout de même un peu déçue car après des années d’exil, j’aurais aimé retrouver une rentrée sociale française digne ce nom : saignante, sanglante, rouge à souhait or, rien ou presque ne se passe. Au moment où j’écris ces lignes, je me trouve sur le site de l’Université du Mirail, temple de la protestation, mais l’atmosphère est étrangement calme. Le campus ressemble à une ville fantôme avec un vent glacial qui s’engouffre dans les couloirs, menaçant d’arracher les étendards anarchistes qui résistent tant bien que mal. Il n’y a pas âme qui vive. Je rase tout de même les murs par prudence car n’oublions pas que je représente une banque donc le Capital, L’Ennemi… Un pavé est vite arrivé et peut faire beaucoup de dégâts sur un corps frêle et désarmé. J’ai pourtant envie de crier aux révolutionnaires en herbe qui se terrent quelque part dans les amphis décrépis : « Ne craignez rien, je suis de votre côté. Je suis en mission d’infiltration pour dénoncer le grand complot du patronat dont nous sommes tous victimes. »

De toute façon, l’évacuation sanitaire est proche. La grippe A touche de plein fouet les établissements dotés d’une population mouvante et incontrôlable. Les constructions délabrées conviendraient d’ailleurs à la perfection à un scénario de fin du monde. Situation d'urgence sanitaire oblige, je vais désormais revêtir l’un de ces masques anti-contagion dont nous recevons des quantités ridiculeusement colossales, me transformant en une sorte de Zorrette vengeresse. Je peaufine encore les détails de mon action salvatrice mais l’idée centrale est de redistribuer l’argent injustement stocké dans les banques. Je prouverai ainsi aux plus incrédules qu’il existe encore des entreprises de gauche et que ce ne sont pas juste des « poissons volants ». Aborder la réalité par le prisme du cinéma aide souvent à surmonter les situations les plus effroyables. Salariés opprimés, malmenés, gardez espoir, arrêtez de vous défénestrer et de vous poser en martyrs du combat professionnel ! L’issue est proche. No pasaran.

jeudi 6 août 2009

Oedipe Roi





















Parmi les faits marquants de ces dernières semaines, j'en retiendrai surtout un : le départ à la retraite de mon père. Sa sortie de scène a été moins médiatisée que celle de Johnny H mais ramenée au microcosme toulousain, elle a tout autant bouleversé les foules. S'inspirant des méthodes de leurs lointaines cousines argentines, les vieilles du quartier ont formé le groupe des « Grands-mères de la place Mage » et se réunissent tous les jours pour chanter les louanges de leur boucher favori, dont elles espèrent secrètement le retour. Certaines mères de famille, sans doute terrifiées à l'idée d'une attaque bactériologique imminente, ont stocké des kilos et des kilos de viande qu'elles traînaient péniblement chez elle chaque jour, sans faillir sous le poids de sacs de congélation trois fois plus lourds qu'elles. L'hypermédiatisation de l'épidémie de grippe A peut expliquer en partie ces mouvements d'hystérie collective mais ne faut-il pas plutôt y voir une peur panique du changement et de la disparition des repères familiers et rassurants ? D'autres habitants ont pris des résolutions plus radicales et fait voeux de végétarianisme. Nul n'est irremplaçable ou presque.

C'est aussi une page de l'histoire de ma famille qui se tourne, le bon vieux temps qui s'en va et on ne s'en fout pas. Mon père dit qu'il ne faut pas faire de sentimentalisme, ni être trop nostalgique mais je n'y arrive pas. C'est plus fort que moi, même après un stage de 6 mois dans une ambiance exécrable, il m'est arrivé d'avoir les larmes aux yeux en faisant mes adieux. Alors que dans son cas, il est question de 50 longues années passées dans un commerce précédemment tenu par mes grands-parents. Mon père, lui, a gardé le sourire jusqu'au bout et ne s'est pas laissé gagné par l'émotion intense et perceptible de ses clients. Comment a-t-il fait ? Le moment était pourtant venu de tirer sa révérence et les multiples manifestations de sympathie lui ont prouvé qu'il avait joué un rôle essentiel dans la vie de ces gens. A travers des actes quotidiens et simples, il a transmis du bonheur et des valeurs à toutes ces personnes, comme il l'a fait pour sa famille. Merci pour tout, Papa ! Ah OEdipe quand tu nous tiens ! Est-ce qu'un jour on arrête d'être l'enfant rieur ou l'adolescent boudeur pour se métamorphoser en adulte pour de vrai aux yeux de ses parents ?

Difficile, voire impossible d'échapper à l'héritage familial. Nos parents restent à jamais nos modèles et nos références et en prime en vieillissant, on leur ressemble de plus en plus, reproduisant inconsciemment leurs gestes et petites manies. J'en débattais d'ailleurs il y a quelques jours avec celui que je ne présente plus, Pépé le Terrible, pour qui la figure paternelle est aussi une source d'inspiration, mais sur des aspects un peu différents. En effet, à l'occasion d'une escapade à la mer, j'ai découvert une facette de la personnalité de mon vieil ami jusqu'alors inconnue : Pépé Fangio, le Roi de la Route et c'est « Papa qui lui a tout appris ». Samedi noir des départs en vacances, embouteillages monstres à certains endroits mais il en fallait plus pour décourager notre fou du volant. Beaucoup de personnes se transforment en conduisant, comme gagnées par un sentiment de toute puissance. C'est aussi l'occasion d'affirmer sa masculinité.

Ce jour là, Pépé m'a fait la totale : collages de voitures en faisant des appels de phare, insultes des femmes en voiture trop respectueuses du code la route, doublage à droite par les voies d'accès pour gagner 5 mètres, injures en tous genres adressées aux autres automobilistes qui ne pourront jamais le dépasser en vitesse et en style etc. Un serial chauffard sommeillait en lui et ne demandait qu'à faire son coming out. Je comprends enfin pourquoi son père se déplace toujours à bicyclette : il a épuisé son crédit de points et n'a plus le droit de rejouer ! Le mien de père a passé son permis sur le tard et a été l'un des précurseurs du scooter en ville, faisant ainsi un pied de nez à la toute puissante déesse Voiture. Conséquence inévitable de mon éducation : je n'ai jamais fait attention à ceux qui friment au volant de véhicules de marques dont je ne retiens jamais les noms.

Tout se joue avant cinq ans. Jeunes parents, prenez garde, rongez votre frein et levez le pied car les conséquences pourraient être irréparables pour Junior qui gazouille sur son siège bébé mais ne perd pas une miette du spectacle !

jeudi 16 juillet 2009

Sur le divan de Madame B



















Madame B exerce le beau métier d’esthéticienne et c’est à elle qu’incombe la lourde tâche d’accompagner des centaines de femmes dans leur combat acharné contre l’ennemi de toujours : le poil. Mais il est impossible de résumer Madame B à sa seule profession. Au fil des années, elle est devenue une complice, une amie, une source d’inspiration et pour beaucoup d’entre nous, une légende vivante. A l’aube de la quarantaine, cette femme jusqu’alors restée au foyer a compris qu’un destin plus grand l’attendait et s’est engagée dans cette guerre sans merci. Ils doivent tous disparaître. No pasaran !

Lors de chaque séance, Madame B respecte le même rituel. Elle étale, tire, triture, arrache avec dextérité puis inspecte à la loupe le moindre millimètre de peau pour s’assurer qu’aucun élément disgracieux ne lui a échappé. Son salon est aussi propice à l’introspection et aux confidences. En effet, comment ne pas se sentir nue et vulnérable, les jambes en l’air pliées à 45 degrés, le souffle coupé pour ne pas penser à la douleur que va provoquer de manière imminente l’arrachage d’un coup sec ? Il ya beaucoup de choses que l’on dit, de secrets que l’on révèle dans ces moments extrêmes. Madame B est aussi un peu sorcière et lit l’avenir dans les poils comme d’autres dans le mare de café. J’émets tout de même quelques réserves quant à ses dons de voyance car où es-tu pygmalion fortuné qui doit changer ma vie ? Peut être avais-tu pris les traits d’un crapaud afin de tester la motivation de la princesse ? Ah le jeu cruel des apparences…

Certaines femmes cependant n’ont pas fait le choix des armes comme cette allemande entre deux âges rencontrée il ya quelque temps qui préfère garder ses poils, revendiquant l’égalité entre les sexes et le droit de faire comme les hommes. A ses yeux, l’épilation est une forme d’aliénation dictée par une société machiste qui ne voudrait voir que des poupées soumises. Dans les années 70, les militantes féministes brûlaient leurs soutiens-gorge; quant à mon interlocutrice, elle laisse les poils recouvrir son corps, affrontant le monde extérieur de manière naturelle. Tout au long de cet échange instructif de points de vue, je contemplais l’épais pelage de ses jambes et me demandais ce qu’en pensait son mari qui n’avait pas prononcé un mot. Subit-il cet acte de liberté ou en est-il l’initiateur sournois ? Une bonne couche de poils n’est-elle pas plus efficace que la burkha pour s’assurer que sa femme échappe à la convoitise des autres hommes ? Beurk. Au diable la parité. Au risque de passer pour une femme objet, je fais le choix de la cire, de la spatule et de la peau lisse.

L’innovation technologique nous a également fourni une nouvelle solution radicale, l’épilation au laser, mais pour rien au monde, je ne priverais Madame B et ses consœurs de leur gagne pain. Un outil froid et impersonnel ne peut remplacer une véritable aventure humaine. Au gré de mes voyages, j’ai même pu observer des différences notables dans les pratiques et rapporter un rapport ethnologique complet à Madame B. A Londres, les cabines sinistres installées au fond de salles de sport ont une hygiène plus que douteuse, et on s’interroge sur la provenance et la formation des « masseuses » qui proposent à la clientèle masculine la formule « complète ». Les « époileuses » québécoises prônent la communion avec la nature, fredonnent des chants indiens pour favoriser le réveil de la spiritualité et utilisent des substances bio nauséabondes, décrites comme infaillibles pour venir à bout des poils les plus tenaces. En République Dominicaine, l’ambiance est à la fête et la prestation se fait en rythme et en musique. Je défie quiconque de normalement constitué de parvenir à se détendre pendant un soin visage, alors que le bachata et le merengue résonnent à plein tube. Vive la France et vive Madame B. Son adresse est jalousement gardée et transmise par bouche à oreille à des personnes soigneusement triées sur le volet. Avis aux candidats à l’expérience : il y aura beaucoup de demandeurs mais peu d’élus !

dimanche 5 juillet 2009

Oh les filles, oh les filles…















La communication est une affaire de femmes. Chaque jour qui passe en apporte une nouvelle preuve, en particulier dans mon poste actuel. Mes collègues sont des femmes, ma chef est une femme et lorsque nous nous réunissons en séminaire national, on croirait être dans un meeting du MLF recomposé pour l’occasion ou aux Olympiades du club Tupperware. Toutes pour une et une pour Toutes ! Mort aux hommes ! No pasaran !

Ce type de rencontre peut aussi rapidement virer au cauchemar, même pour la représentante du « sexe faible » que je suis. Imaginez une trentaine de femmes rassemblées dans la moiteur d’un espace réduit. Après le rituel inévitable de l’évaluation de l’assistance sur les critères majeurs poids-tour de poitrine-marque de sac à main qu’exécute chaque participante avec application, le son monte si fort que l’on doit crier pour s’entendre. Ça piaille de tous les côtés. Chacune parle avec animation de choses futiles et inutiles, convaincue de captiver son auditoire. Ma collègue binôme me lance un regard traqué et semble sur le point de s’évanouir. Je l’invite à prendre de grandes bouffées d’air, lui rappelant que nous serons libérées dans quelques heures. Je songe en même temps avec effroi à la formation de cinq jours obligatoire programmée en mars. Une semaine entière toutes ensembles… L’angoisse me gagne à mon tour.

Je sais par expérience que ces grands moments fédérateurs imaginés par des directeurs de Ressources Humaines sadiques n’engendrent que des divisions durables et débouchent sur des guerres de clans sans fin. Je repère d'ailleurs très vite celles qui ne seront pas mes copines, notamment cette cagole de Nice, plus toute jeune même si elle essaie de dissimuler le temps qui passe à grands renforts de couches de fond de teint. En plus, elle a un regard dur et perçant. Mon binôme ne la trouve pas sympa non plus. Nous portons donc notre dévolu sur les représentantes de Bordeaux et Lyon, deux vieilles routières du métier qui sont stratégiquement positionnées à côté du bar et qui, l’alcool aidant, nous font des révélations fort utiles sur la face cachée de la boîte et les travers de nos consœurs. Et hop, encore un petit coup !

Messieurs, il y en a pour tous les goûts : des petites, des grandes, des rondes, des blondes, des rousses, des douces, des plates, des garces et notre réseau tentaculaire est présent dans toutes les régions de France. Le brouhaha de basse-cour est soudain interrompu par l’arrivée de notre reine, notre mère à toutes, notre Geneviève de Fontenay qui a renoncé à sa noble coiffe pour entrer dans le secteur public. Il faut que je pense à lui suggérer de choisir un hymne de campagne pour mieux haranguer les foules, sensuel à la Julio chantant : « Vous les femmes, vous le charme… », ou plus musclé façon Sardou : « Femmes des années 80, femmes jusqu’au bout des seins… ». A toi Geneviève !

Hélas la présentation de cette Geneviève sans chapeau se révèle monotone et interminable, ce que n’arrange pas le réveil forcé à cinq heures du matin. J’expérimente plusieurs stratégies de lutte contre l’endormissement : changer de position, croiser et décroiser les jambes, boire beaucoup d’eau, feindre de prendre des notes… L’heure du déjeuner arrive enfin. Le plan de table nous est favorable et nous retrouvons avec une joie non dissimulée nos nouvelles comparses de Bordeaux et Lyon. J’interroge alors la lyonnaise sur cette surreprésentation féminine pour le moins étrange. Habituée à la question, elle me répond sans sourciller : « Il ya eu un garçon une fois mais il a tenu deux jours. Ce type de mission nécessite d’être sur tous les fronts, or les hommes sont mono-tâches, c’est bien connu. » J’apprends donc qu’il ya des postes faits pour les femmes et qui leur sont réservés. Et si le sexisme dans le travail avait été inventé par les femmes ? La lyonnaise complète son argumentation : « Il faut savoir aussi user de ses atouts pour s’imposer. » En résumé, nous sommes des rabatteuses, dont la réussite dépend de notre capacité à gonfler les lèvres et bomber la poitrine. Avec ses airs de Super Nany castratrice, je me demande quelles sont les armes secrètes de cette lyonnaise. Cagoule, fouet et menottes ?

L’après-midi est encore plus pénible, principalement à cause de la combinaison dangereuse chaleur/ vin rouge. J’ai un instant la sensation de me retrouver sur les bancs du lycée, en train de subir un bourrage de crâne soit disant pédagogique. Alors que nous nous croyons définitivement condamnées, un commando composé exclusivement d’hommes surgit de nulle part pour mettre un terme à notre agonie. Il s’agit de l’équipe informatique venue nous livrer nos nouveaux ordinateurs. Les malheureux rasent les murs, tête basse, craignant sans doute de recevoir un mauvais coup ou une balle perdue. Ils doivent penser que nous sommes une sorte de société secrète qui prépare un soulèvement général pour que triomphe enfin la cause féminine. Hélas aucun des appareils ne fonctionne. Super Nanny me lance un regard désabusé comme pour dire : « Tu vois j’avais raison, même dans leur supposé domaine d’excellence, ils n’arrivent même pas à faire les choses correctement. » En effet, l’informatique est l’équivalent masculin du secteur de la communication : il n’ya que des hommes. Nous pourrions envisager une réflexion sur de possibles synergies communes. En même temps, je vois difficilement lesquelles, même si j’ai joué une fois à la PlayStation. Qui a dit que les opposés s’attirent ?

lundi 22 juin 2009

Ojala















L’origine de cette expression, difficilement traduisible en français, remonte certainement à la période d’occupation de l’Espagne par les maures. « Ojala » exprime l’espoir, le souhait et l’espérance. Je ne sais pas si Dieu existe mais il semble que ma bonne étoile soit de retour. Pied de nez involontaire au pessimisme ambiant : je viens de trouver un job en province, en un mois, sans piston et sans vendre mon âme au diable. Ce changement de situation inattendu explique mon silence de ces dernières semaines mais je n’abandonne pas l’antenne pour autant. La lutte continue mais cette fois de l’intérieur. No pasaran.

Par une étrange ironie du sort, je me retrouve porte-parole d’une banque pas tout à fait comme les autres car elle défend des valeurs d’humanisme et de solidarité. Il s’agit de transmettre l’idée que le banquier est un ami mais sans fredonner des chansons grotesques comme ont pu le faire certains concurrents peu scrupuleux pour mieux dissimuler de sournoises tentatives de manipulation. Du moins, c’est ce qui est écrit sur la brochure et ce que mes nouveaux collègues clament en cœur, en jetant des poignées de fleurs. Je reste cependant sur mes gardes, maintenant une distance critique salvatrice. J’ai d’ailleurs su résister à la formation « lavage de cerveau » au siège de la société, en région parisienne.

Cela faisait longtemps que je n’avais pas fréquenté ce genre d’établissement. Un simple coup d’œil à l’organigramme suffit à comprendre la toute puissance du mâle, aucune femme dans les postes clés. L’égalité des chances est prônée pour tous mais pas forcément pour toutes. Les journées passent et se ressemblent avec leur rituel immuable : badgeuse, heures de présences obligatoires dans son coin d’open space aliénant décoré d’une plante de verte et de photos de famille, cantine avec les collègues où l’on commente avec animation les dernières avancées du dossier Bidul, son bonheur conjugal sur un mode comparatif ou sa chance de travailler à l'extérieur de Paris, ce lieu de perdition. J’ai un peu lissé mon itinéraire personnel pour tranquilliser les esprits et gagner ma place dans la secte mais l’artifice a des limites. Tout en feignant de prendre part au débat, j’implorais une instance divine charitable de mettre fin à mon supplice. En effet, ma vraie nature a vite repris le dessus et la certitude que je les quittais dans deux jours pour redevenir un électron libre, très loin dans le Sud de la France, sans horaire et sans contrainte, m’aidait à tenir. A la fin de chaque journée, je sautais dans le premier RER direction Paname, sans me retourner. Mon fidèle comité de libération m’attendait à la ligne de démarcation, à grands renforts de remarques désabusées et sarcastiques sur ces gens de banlieue. Ouf, j’étais sauvée.

Il peut y avoir plusieurs vies dans une vie et je suis d’en train d’écrire un nouveau chapitre, celui du retour aux sources, après moults tours et détours, ici et ailleurs. La Ville Rose semble d’ailleurs faire le V de la Victoire puisqu’elle célébrait ce weekend à la fois l’été, la fête des pères, la fête de la musique et la gay pride. Rien de nouveau sous le soleil mais une convergence exceptionnelle des planètes.

La fête battait son plein samedi dernier alors que la communauté gay et ses fidèles supporters paradaient dans les rues de la ville. Fuyant l’agitation de la foule, j’ai trouvé refuge dans un grand magasin climatisé, bien décidée à peaufiner ma stratégie d’attaque pour les soldes d’été. Ô surprise, il y avait déjà de nombreuses démarques et seules les vraies initiées étaient déjà en piste. Rapidement, j’étais étourdie par le tourbillon des pastilles bleues, jaunes, vertes, rouges, prometteuses de bonnes affaires. J’interrogeais alors un vendeur désœuvré et un tantinet efféminé sur leur mystérieuse signification. Ce dernier m’a répondu sur un ton agacé, en prenant de grands airs, comme si je posais une question de blonde. J’ai alors répliqué, sans perdre mon aplomb : « Désolée Chéri, je sais que tu préfèrerais être torse nu sur un char avec tes copines mais il faut rester poli et professionnel en toutes circonstances. En plus, je suis de votre côté depuis toujours, surtout en ce moment où je pratique la solidarité gay au quotidien ! ».

De toute façon, ce genre de célébration détone un peu en province et surtout, the Queen of the Queens, la Grande Dada, qui aurait pu donner une vraie consistance à l’évènement, avait été appelée d’urgence hors de la ville pour défendre une cause plus glamour. Reviens nous vite Néné ! La France a besoin de tes talents pour retrouver une touche de folie et briller de mille et une paillettes. We never have enough hats, gloves and pairs of shoes…

jeudi 4 juin 2009

I have a dream


















Elections obligent, l’Europe est sur toutes les lèvres ou presque. A défaut de pouvoir nous traîner aux urnes par les cheveux, les états concernés essaient de réveiller, à grand renfort médiatique, l’euro-citoyen qui sommeille en chacun de nous, en vain. Réaction mollassonne des publics concernés pour lesquels, cette « société des nations » nouvelle génération reste une organisation trop abstraite et bureaucratique. Et puis c’est quoi l’Europe pour nous, sinon un bailleur de fond aux ressources apparemment inépuisables qui sponsorisent des séjours de vacances Erasmus ou financent la construction de « moulins à vent » en Castille ?

Je fais partie de ces doux rêveurs qui aspirent à une Europe sociale et solidaire où tous les pays se prendraient par la main pour s’élancer dans une farandole endiablée, multicolore et pluriculturelle. « Free hugs » pour tous et mélangez-vous pour ne faire plus qu’un ! Je sais, il est temps de se réveiller et de dire adieux au monde merveilleux des Bisounours. Comment on s’embrasserait d’ailleurs : en se faisant 2, 3 ou 4 bises comme chez nous, à l’anglaise par une virile accolade, à pleine bouche de manière vorace suivant la technique des latins lovers italiens ou bien par un frôlement chaste et presque imperceptible venu des plaines glacées du Nord de l’Europe ? La question épineuse du baiser n’est qu’un exemple parmi des milliers d’autres destiné à souligner la complexité de cette alliance et l’ampleur du chantier.

Pourtant l’Europe, cette vieille dame très digne qui s’est relevée de tant de tragédies, est quelque part notre grand-mère à tous qui nous manque terriblement lorsque nous nous éloignons d’elle pour partir à la conquête de lointaines Amériques. Nous, européens, partageons un passé commun, une histoire collective plus jalonnée de querelles incessantes que de moments de paix. Petite histoire dans la grande Histoire, mon ultime expérience de collocation avec une allemande, Claudia, a constitué une étape déterminante dans le processus de réconciliation franco-allemand, le tout en Espagne.

Amies d’aujourd’hui, ennemies d’hier, nous avons su établir une cohabitation sereine basée sur la confiance et le dialogue. Pourtant il est arrivé que, confrontées à la médiocrité de la télévision espagnole et grâce au miracle des nouvelles technologies, nous savourions des instants de pure non communication, chacune avec casque Audio et ordinateur portable, à visionner nos programmes favoris, culturellement caractéristiques de nos origines respectives et impossibles à interchanger : Germany next's top model pour elle et Clara Sheller pour moi. Claudia aimait souligner qu’elle avait téléchargé légalement l’émission en podcast, en guettant ma réaction comme si elle me soupçonnait d’avoir rompu notre pacte de non agression. En effet, j’avais promis d’arrêter les téléchargements pirates, sous peine de terribles représailles. Claudia m’avait raconté que de nombreuses personnes avaient été arrêtées de manière arbitraire dans son pays et qu’on ne les avait plus jamais revues. Je n’étais certes pas restée indifférente à ces histoires dignes de la période la plus noire de la dictature de Pinochet mais j’aime vivre dangereusement… La rigueur germanique confrontée à la désobéissance civile typiquement française. Pardon Claudia, j’avoue je n’ai pas dit toute la vérité et rien que la vérité, mais je décline toute responsabilité quant à la chute malencontreuse de la barre de fer par la fenêtre qui a bien failli tuer la vieille peau du rez-de-chaussée.

A l’occasion de cette « aventure européenne », j’ai également pu constater à mes dépends l’inexactitude du mythe de la libre circulation des travailleurs. Dans une ambiance très kafkaïenne, j’ai passé mes premières semaines en Espagne à être ballotée d’une administration à une autre, toujours en quête d’un nouveau formulaire destiné à « régulariser » ma situation, pour finalement atterrir dans le sous-sol d’un commissariat sinistre, perdue au milieu d’une foule d’anonymes avec l’envie de hurler : « Je ne suis pas un numéro, je suis un être humain. ». Soudain l’espoir est revenu sous la forme d’un vague écriteau sur une porte indiquant : « Pour les européens, c’est ici que ça se passe ». Les candidats étaient divisés en deux catégories et j’ai abandonné à leur triste sort mes camarades d’infortune, non labellisés, et pour lesquels l’attente promettait d’être interminable. J’ai alors pénétré dans une pièce aveugle où était assis un petit bonhomme déprimant et déprimé, sorte de Woody Allen mais sans la lueur perverse dans le regard. Ses parents devaient le battre quand il était enfant. J’avais presque envie de le prendre dans mes bras pour lui dire que tout irait bien désormais mais je me suis vite ravisée, agacée par son zèle de fonctionnaire de la Stasi. Il ne comprenait pas pourquoi je n’avais pas deux noms de famille, ni dix prénoms de baptême comme tout bon espagnol et puis il n’a pas été sensible à mon humour lorsque j’ai dit que je demandais l’asile politique suite à la prise du pouvoir par l’Empereur Nicolas Ier, en France. Il faut dire que tout ce qui peut rappeler de près ou de loin l’époque de Napoléon est un sujet très sensible encore de nos jours en Espagne. Nos chers voisins ont la rancune tenace et nous en veulent encore pour cette intrusion momentanée sur leur territoire. Tous à vos manuels d’histoire ! Woody a finalement tamponné, en y mettant beaucoup de mauvaise volonté, mon passeport pour la liberté. Heureusement que j’ai eu droit à un accueil VIP.

La route de la construction européenne est longue et semée d’embûches. L’avenir de l’Union semble bien incertain. Il nous faudrait un homme providentiel, une figure emblématique fédératrice, notre Obama à nous. Mais j’y pense, bien sûr ! – – K – M (prénom masculin en cinq lettres) Président ! Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite…

mercredi 27 mai 2009

Sous les pavés la plage















Le mai le joli mai en barque vers une rive inconnue. Période du renouveau et de l’éveil des sens après la langueur de l’hiver, le mois de mai est aussi plein de ces rendez-vous incontournables, chers aux français. Ayant expérimenté les quatre saisons pour rentrer de longs séjours à l’étranger, je ne saurais que recommander ce moment très spécial qui permet de retrouver facilement ses repères. Les années passent, défilent à la vitesse grand V, les mois de mai se ressemblent jusqu’à se confondre.

Vient d’abord le festival de Cannes, un « marronnier » comme un autre. Cette grande messe du cinéma, avec ses paillettes et ses starlettes de tout poil, est devenu un mythe, une sorte de rite que l’on reproduit chaque année et qui nous manquerait presque s’il s’absentait. Pendant une dizaine de jours, tous les regards sont braqués sur cette « bourgade » de la côté d’Azur que le monde entier nous envie. Paradis pour cinéphiles, gigantesque supermarché du film, Cannes est aussi un miroir aux alouettes et la terre de tous les contrastes. Là-bas coexistent sans pour autant se côtoyer les célébrités et les anonymes, les riches et les pauvres, les beaux et les moches. C’est le règne des apparences et du paraître. Les horizons sont internationaux mais les flots bleus de la Méditerranée disparaissent sous les rangées de yachts. Les nantis se pavanent devant les plébéiens qui les admirent de loin sous un soleil écrasant ou une pluie battante, sans songer à s’abriter tellement ils sont absorbés par le spectacle. Mais le vrai privilège n’est-il pas de profiter de la quiétude des salles obscures ou de fuir très vite en disant : « Tout ce protocole m’insupporte. Je n’en peux plus, Cannes se passera de moi. »? Pour vivre heureux, vivons cachés.

Et pendant ce temps que se passe t-il dans le reste du pays ? Mai est aussi traditionnellement le mois où la grogne sociale atteind son climax, avec en têtes de file, les étudiants, farouchement opposés à la réforme des universités dictée par le gouvernement. Cependant la mobilisation estudiantine commence à s’éteindre. L’approche des vacances, la peur de rater les examens ont eu raison de ce mouvement sans précédent. Capitulation globale alors ? Non ! Car une université peuplée d’irréductibles gaulois résiste encore et toujours à l’oppresseur. Il s’agit de mon ancienne fac, celle des « Rouges » : l’Université du Mirail, à Toulouse. C’est le genre d’endroit dont on ressort au minimum socialiste. Mais quelle est donc la potion magique qui procure une telle ténacité à ces révolutionnaires en herbe ? Le secret de la préparation est jalousement gardé depuis des générations. L’abus d’alcool et de substances illicites étant dangereux pour la santé, le souci du bien être collectif m’impose de ne pas divulguer cette information.

Rien n’a changé depuis mon départ. Les jeunes continuent à se battre pour étudier des matières improbables et pouvoir s’engager dans des filières qui ne servent à rien sinon à acquérir une certaine culture. Les cours commencent au mieux à l’approche de Noël, une fois passés les classiques blocages de la rentrée universitaire. C’est ensuite l’épreuve de force pour trouver une place dans les amphis surpeuplés, résister à l’appel de l’école buissonnière tellement tentant et ne pas trop chercher à donner un sens au chaos général. Mon goût pour l’autonomie dans le travail hors de tout cadre strict a du naître à cette époque. Je suis un pur produit de ce système, certes déconnecté des réalités, mais qui forge notre capacité de penser. Alors que les futures « élites de la nation » récitaient en chantant les noms des entreprises du CAC 40 avant de les retranscrire en braille, j’apprenais le français du 13ème siècle et réfléchissais à des questions cruciales comme « le développement du rock et le hurlement romantique ». Ce savoir précieux me sert tous les jours et je revendique le droit de faire des études dites « inutiles » qui font de nous des « prolos de la culture ». La notion de « secteurs d’avenir » est d’ailleurs tellement fluctuante qu’il vaut mieux se consacrer à ce qu’on aime et ce pour quoi on a un certain talent, même si c’est peu viable sur le plan pécuniaire.

La question est surtout de savoir si le système actuel donne envie de se battre pour travailler. Les mots clés associés au monde du travail ne sont pas très encourageants : harcèlement moral, souffrance, licenciement, stress etc. On est bien loin du vieil adage : « le travail, c’est la santé de l’homme ». Où est l’espoir, où est le rêve ? Faut-il alors imiter nos voisins espagnols, la « génération 1000 euros », qui accumule les diplômes pour reculer au maximum le moment fatidique de l’entrée dans la vie « active ». Plutôt que réformer l’université, ne vaut-il pas mieux réformer l’entreprise ? Pourquoi ce serait toujours les mêmes qui doivent s’adapter ? La lucha continua, no pasaran !

mardi 19 mai 2009

L'Enfer, c'est les autres













J’ai toujours aimé les grandes villes et le sentiment d’immense liberté qu’elles procurent. Chaque coin de rue est prometteur de nouvelles aventures et on peut se fondre dans l’anonymat de la foule, tout en se laissant porter par le torrent de l’énergie urbaine. Je dois être une des rares nostalgiques du métro parisien ; non pas du RER A aux heures de pointe bien évidemment, qui transfère tous les jours les esclaves modernes de leur lointaine banlieue à leur cage de verre, mais plutôt des lignes aériennes qui semblent survoler la ville. La promiscuité forcée des transports en commun n’est pas seulement source de stress mais peut aussi créer de vrais moments de poésie et être à l’origine de belles rencontres. Plusieurs sites Internet comme http://www.paribulle.com/ ont ainsi été créés pour permettre aux citadins de « retrouver un regard croisé dans le métro ». Je dois admettre que pour ma part je suis plus tombée sur des pervers ou des sociopathes que sur de beaux ténébreux. L’ivresse procurée par les bains de foule a des limites. Conséquence inverse de la surpopulation, on finit par étouffer et on a besoin de s’échapper. Vite de l’air !

Curieusement, je me suis souvenue de tout ça, en dînant avec un ami en terrasse d’un restaurant de Toulouse. Victime de son succès, la Ville Rose a vu arriver une déferlante de parisiens et, sans avoir encore perdu son âme, a considérablement grossi et s’est embourgeoisée. Le Parisien est un modèle qui s’exporte mal. On croise de temps en temps un Bobo égaré, directement débarqué de l’Est Parisien, qui cherche désespérément des repères familiers (resto bio, bar lounge, concept store etc.) ou des catholiques versaillais, tout de bleu marine vêtus, qui dénotent avec la chaleur et les couleurs du midi. Grand moment de solitude lorsque, par malchance, on se retrouve au restaurant dans une table à deux à côté d’un de ces petits couples bien propres sur eux. L’imagination au pouvoir semble alors un concept bien lointain. Dans la famille Grenouille de Bénitier, je demande la jeune promise qui prend un air paniqué lorsqu’on fait mine d’approcher de sa table, semblant dire : « Oh mon Dieu, ces provinciaux dégénérés vont nous contaminer avec leur accent et leurs habitudes dégoutantes ». Dans ce cas, il faut employer les grands moyens pour convaincre la donzelle ne plus jamais sortir de chez elle, comme par exemple parler très fort et sans aucune gêne du projet, déjà amorcé, d’être mère porteuse pour un couple de transsexuels brésiliens sans papiers, tout en mangeant avec les doigts. Succès garanti !

Heureusement, ce soir là, l’atmosphère était plutôt désinhibée, voire carrément débridée. Nous avions en effet à notre droite deux vétérans de l’époque du Power of Love, preuves vivantes que l’abus d’alcool n’est pas forcément dangereux pour la santé. Certes Janis et Jim n’avaient plus la ligne de leurs vingt ans mais affichaient une étonnante vitalité et une remarquable descente. Les plats n’étaient pas encore arrivés qu’ils avaient déjà sifflé deux bouteilles de rosé. C’est là où Janis qui avait étanché sa soif mais pas calmé sa faim s’est tournée vers moi, en hoquetant et en beuglant : « Céééé bonnnn ???? ». Heureusement le serveur est arrivé à la rescousse et on ne les a plus entendus, sauf pour faire des commentaires sur le bon vieux temps qui s’en est allé et la France, « ce pays de cons ». Quelques bouteilles de vins plus tard, nous avons eu droit à l’instant culturel, lorsque nos deux charmants voisins ont essayé de déchiffrer, en clignant un œil, la plaque de rue écrite en occitan, se demandant par quel étrange coup du destin ils avaient bien pu se retrouver en Espagne. Ils ont finalement décidé de tituber jusqu’au prochain bar, tendrement enlacés et se soutenant mutuellement. C’est beau l’amour.

Dans un style moins "sixties revival", nous avions également derrière-nous un couple d’échangistes exhibitionnistes quinquagénaires. Elle, le facies grimaçant à cause des excès de lifting, décrivait à voix haute et avec moult détails croustillants les orgies organisées dans ses multiples propriétés et les problèmes sexuels de son entourage et Lui, avait tous les sens en éveil pour ne pas louper le passage du moindre jupon dans un périmètre de 50 mètres. A la même table, mangeait en silence un autre couple, faire-valoir résignés et soumis de leurs efforts pour se faire remarquer et briller en public. J’espère au moins que la vieille peau les a invités. Et enfin, à bâbord, incroyable mais vrai, il y avait la femme qui allumait des cigarettes plus vite que son ombre et qui parvenait à avaler fumée et nourriture en même temps.

Quelle formidable mise en scène, respectant parfaitement la règle des trois unités. En un lieu, en un soir, les vieux démons de l’alcool, de la drogue et du sexe s’étaient donné rendez-vous. Rock’n roll is not dead !

vendredi 15 mai 2009

Pépé, Dada, Gaby et les autres
















Les amours passent, les amis restent. Cette expression parle, je pense, à la majorité d’entre nous. Je suis loin d’exceller dans tous les domaines mais je dois dire que, côté amitié, j’ai toujours été gâtée. Dans les années 1990, par un matin brumeux à Barcelone, une mystérieuse bohémienne m’avait prédit que je voyagerais beaucoup et que je serais toujours entourée. La suite a prouvé qu’elle n’avait pas tout à fait tord. Nouveau coup du destin : à un tournant de ma vie et sans faire un mauvais remake de la célèbre chanson de Bruel, je vais partager un appartement avec les amis avec qui je vivais à Londres, il ya 10 ans. On s’était dit rendez-vous... Quant à savoir si on est devenu des grands hommes, je dirais que l’on fait ce qu’on peut. Après des joies, des peines et des itinéraires séparés, nos chemins se croisent à nouveau, mais cette fois dans le Sud de la France.

Les garçons, vous n’avez pas pris une ride. Le Temps, cet ennemi impitoyable, a glissé sur vos visages sans laisser la moindre empreinte, et je ne dis pas ça seulement dans un objectif de bonne entente à la maison. Mais que vont donc penser les voisins de notre drôle de trio ? Etrange époque que la nôtre où les schémas traditionnels disparaissent au profit de combinaisons improbables. Nous sommes les exemples vivants du fait que la vie n’est pas un long fleuve tranquille. J’envie parfois ceux qui ont une existence dite « stable » mais aussitôt surgit la vision aliénante du pavillon de banlieue avec pelouse impeccablement tondue, enfants blonds souriant outrageusement, le tout sous la protection de Lassie chien fidèle. Je sais, je suis trop radicale et il existe certainement un juste milieu entre l’Insoumission et la famille Ricoré. De toute façon, nous n’aurons pas d’animal de compagnie, suite à l’adoption ratée d’un chat égaré dans les faubourgs londoniens. A l’époque, le pauvre animal avait été banni à l’unanimité, à cause de son incapacité à s’autogérer au niveau alimentation et hygiène. La jeunesse est cruelle. Pardon à nos amis les bêtes !

Rien n’est pourtant jamais acquis en amitié, bien précieux qu’il faut savoir entretenir par des efforts constants. A ce sujet, notre ami commun, Pépé le Terrible, nous a mis à l’épreuve cette semaine, à l’occasion d’une assistance imposée à son déménagement. 28 degrés, monter, descendre 5 étages sans ascenseur avec des charges toujours plus lourdes, jusqu’au moment où l’on perd la notion du temps et on arrête de compter. Cela vaut tous les cours de step du monde et pendant que j’exécutais docilement l’exercice, je songeais qu’il faudrait que j’en parle à ma copine blonde qui se morfond à Saragosse depuis mon départ. Il ya effectivement une vie en dehors du club de sport !

Alors que j’étais au bord de l’agonie, accrochée à la rampe de l’escalier, une toute jeune fille, gagnée par la pitié, est venue à ma rescousse : « Madame, vous avez besoin d’aide ? ». J’ai décidément perdu l’habitude du formalisme français qui, en plus, nous vieillit prématurément. J’ai cependant préféré passer outre, profitant de ce coup de main inespéré et me disant que cela ne pouvait que faire du bien à cet enfant, qui avait vraiment besoin de perdre une dizaine de kilos. J’ai aussi invité Pépé à la remercier chaleureusement. Il m’a alors répondu : « Surveille-là, elle va sans doute chourer un truc ». Ce sentiment de méfiance est tellement caractéristique des français qui ne peuvent concevoir les actes solidaires et désintéressés.

En parlant de générosité, Pépé, n’oublie jamais ce que nous avons fait pour toi. Cette aventure collective a été certes fédératrice et je garderai un souvenir impérissable du contact de nos corps ruisselant de sueur, collés serrés dans le camion, mais j’ai eu mal au dos pendant deux jours. Et puis, notre esprit solidaire t’émeut mais, tu nous connais, tout se paie trés cher. Notre effort sera donc directement proportionnel au nombre de caisses de champagne que mon œil attentif n’a pu que repérer pendant l’exécution des travaux forcés. Marque également en rouge la date du 6 juin, jour de notre déménagement. Nous te réservons un traitement de faveur dont nous peaufinons encore les détails. Avis aux amateurs d’expérience en groupe, on recrute !

jeudi 7 mai 2009

Le miracle de la vie














Au départ ce papier devait porter le titre « Le péril jeune » et dénoncer les risques engendrés par le taux de fécondité exponentiel en France. En effet, au bout de 3 jours dans notre beau pays, je souffrais déjà d’agoraphobie, cernée de toutes parts par des régiments de poussettes et des défilés de ventres ronds. C’est la crise mais la France pond. Mes compatriotes sont-elles dopées aux hormones ? L’Espagne qui clame pourtant sa « catholic pride » est battue par KO. Nous avons passé la barre des 2 enfants par femme alors que nos voisins espagnols atteignent à peine le résultat passable de 1,3. On est des championnes, on est des championnes…

Oui mais voilà, une chose survenue hier m’a fait voir le problème d’un œil nouveau et a éveillé en moi un soupçon d’instinct maternel. Emile, 3, 5kg, 50cm est arrivé ! N’échappant pas à la tendance nationale, Cécile, mon amie de toujours, s’est elle aussi reproduite. Témoin privilégiée de l’événement, je me suis surprise à être submergée d’émotion et même verser quelques petites larmes. Bienvenido pequeñito Emilio dans notre monde cruel et impitoyable !

Cet enfant démarre tout de même dans la vie avec des atouts de taille. Il a manifesté son envie de sortir en plein apéro et a eu, comme spectatrices de son entrée en scène, deux bonnes fées de premier choix : David et moi. Cécile a ainsi bénéficié de notre expertise en matière d’enfant dans ce moment crucial. Dès le début de l’alerte, nous avons échangé un long regard interrogatif tout en nous félicitant de ne pas avoir à gérer la situation en solo. Puis, pendant que Cécile se tordait de douleur avec l’accélération des contractions, je lui disais de souffler fort comme je l’avais vu faire dans de nombreux films, tandis que David se jetait sur le repas laissé à l’abandon pour prendre des forces. Tout est ensuite allé très vite et nous nous sommes révélés excellents dans l’improvisation et la poésie de l’instant : taxi-service jusqu’à la clinique, animation de la salle d’attente en reprenant en chœur les morceaux de la Nouvelle Star qui passait sur le minuscule écran télé, évaluation du potentiel sexuel du personnel hospitalier (ce mythe du Docteur Clooney, quelle arnaque !), coaching et gestion du stress du futur Papa…

J’avais suivi de loin la préparation des hostilités. Cécile, bien que savourant pleinement cette étape déterminante de sa vie, me confiait sa méfiance vis-à-vis de certaines pratiques et l’envers du décor de la vie de futurs parents. Comme dans beaucoup de domaines, la mode est au bio et de nombreux adeptes vantent les mérites de l’accouchement à l’ancienne, chez soi, sur la table de la cuisine ou à même le sol, pour tout ressentir pleinement et ne pas être contaminés par les appareils obstétriques. Amis masochistes, libres à vous de tourner le dos à la modernité mais souffrez en silence. Mon amie n’a pas échappé non plus aux rites de passage incontournables et vécu des moments presque surréalistes comme cette séance de piscine pour futures mamans où la monitrice en transe imitait le chant du dauphin. C’est aussi le règne du chacun pour soi, notamment pour obtenir une place en crèche. Tous les coups sont permis, même les bakchichs, et que le meilleur gagne !

Mi querida gordita te voilà prête (ou pas tout à fait ?) pour le grand rôle de ta vie. Attention aux pièges dont nous avons déjà parlé et notamment de ne pas tomber dans le culte de l’enfant roi ! Je promets en échange de porter une oreille attentive aux questions hautement complexes et délicates de la gestion des couches culottes. Profite de l'âge de l'innocence car plus tard quand il sera grand et qu’il sortira avec ses pots, tu trembleras d’angoisse en repensant à ta propre adolescence dont nous avons partagé quelques glorieux épisodes. Mais laissons donc tous ces cadavres bien enfouis au fond du placard. Je ne dirai rien même sous la torture !

jeudi 30 avril 2009

Sur la route












J’ai toujours été attentive aux signes, aux symboles à déchiffrer qui pourraient donner un sens au flou artistique qui constitue notre vie. C’est pour cela que j’ai choisi de rentrer en France le jour de ma fête, me disant que cela me porterait forcément chance pour la suite.

Ironie du sort, à la même date se tenait un sommet franco-espagnol et l’Espagne accueillait pour la première fois en grandes pompes notre empereur Nicolas Ier au bras de sa poupée silencieuse. Notre histoire n’est qu’une succession de rendez-vous manqués ! A l’ordre du jour de cette réunion de «pose photos» politique figuraient plusieurs sujets d’actualité brûlants : en finir avec les méchants de l’ETA, mettre toujours plus de flics, sauver le monde du cochon fou etc. Mais que se chuchotaient vraiment à l’oreille ces deux polyglottes émérites que sont Sarkozy et Zapatero, aucun des deux ne parlant anglais, ni la langue de l’autre ? Mystère. Communiquaient-ils en morse ? Comme conséquence inévitable d’une polémique récente dénoncée haut et fort par la mère Ségolène, j’ai imaginé le travail délicat de l’interprète, transformé en arbitre d’une bagarre de récré.
Zapatero : « Tu m’as traité de gros abruti, c’est pas gentil. A la sortie du sommet, je te pète la gueule ».
Sarko : « C’est même pas vrai d’abord et puis il faut pas frapper un plus petit que soi. Carla, chérie, ya le grand là qui veut me taper…. »

Pendant que nos chefs d’état décidaient de l’avenir du monde, je roulais à vive allure vers mon destin, sur une petite route tortueuse et déserte, quelque part dans les Pyrénées. J’avais failli pour une fois à ma réputation de voyager léger et ma voiture pleine à craquer n’était pas sans rappeler celle des familles marocaines partant en vacances au pays, le cadavre de la grand-mère sur le toit en moins. Mon passage n’a pas échappé à l’œil averti des gardes frontières qui, en mal d’activité, m’ont ordonné de me ranger sur le bas côté. J’ai eu beau leur expliquer que j’étais, certes flattée d’être prise pour Arantxa Ixitutxu, terroriste basque de 21 ans, mais que j’étais un tout petit peu plus âgée et surtout apolitique, ils n’ont rien voulu savoir et m’ont ordonné de vider mon véhicule. Repensant avec horreur à la mission presque impossible du chargement, j’ai décidé de jouer la carte de la menace bactériologique. J’ai ainsi expliqué avec calme : « Vous avez entendu parler du premier cas de grippe porcine diagnostiqué en Espagne ? Hé bien, c’est moi. Je me suis échappée de l’hôpital ce matin. Je craignais la mise en quarantaine et surtout la perspective d’être brûlée vive au nom du bien être de la communauté. Je sais, j’ai vu trop de films mais, dans un pays dangereusement porté sur la religion et qui ne demande qu’à éliminer des jeunes païennes comme moi, on n’est jamais trop prudent. Je suis hyper contagieuse et si vous vous approchez de moi ou touchez à la voiture, je mords ». Les gendarmes qui étaient également fans de films gores et notamment de ceux où un simple contact suffit pour être transformer en zombie baveux, ont préféré garder leur distance et me laisser partir…

En France depuis quelques heures, je me demande si le voyage va s’arrêter ici. Tant de tours et de détours pour finalement revenir à la case départ. Après toutes ces années d’absence, le retour est-il encore possible ? Ne suis-je pas devenue l’Autre, la Bohémienne, cet étranger qui fait peur ? J’éprouve pourtant depuis un certain temps un réel besoin de poser mes valises, de renouer avec mes racines. Eternel dilemme. La sédentarisation est-elle la seule issue ? A l’image des clochards célestes de Kerouac n’est-il pas envisageable de se stabiliser dans le mouvement et de continuer la route ?

jeudi 23 avril 2009

La Retirada


















La Retirada, c’est le nom donné à l’exil des Républicains espagnols qui en 1939, après trois ans d’une guerre civile sanglante, ont fui leur pays tombé aux mains du généralissime Franco. Beaucoup ont traversé les Pyrénées à pied, dans la neige et le froid. Ce fut terrible, terrible. Autre contexte, autre époque, autre météo et autre mode de transport, je me prépare aussi à faire la grande traversée. Cap sur la France, Valérie rentrée maison, I go home.

Telle une Ségolène Royal s’excusant au nom de la France auprès du Premier Ministre espagnol Zapatero que notre empereur Nicolas Ier aurait traité de « gros abruti » (ce n’est pourtant pas du tout le genre de Sarko de faire des écarts de langage vulgaires), je me repends à mon tour. Les petites piques que j’ai pu envoyer à nos amis espagnols n’étaient que pour mieux les comprendre et les aimer. Mon cœur saigne. Ami lecteur, vois cette petite larme qui coule, au moment où j’écris ces mots. Queridos amigos, voy a echarles de menos muchissimo. No es un adios pero un hasta luego. La lucha continua ¡No pasaran ¡

Il ya tout de même des aspects auxquels je n’ai jamais pu m’habituer et ce en dépit d’une capacité d’adaptation maintes fois prouvée. Les gens de Saragosse se targuent d’avoir le climat le plus sain d’Espagne. Cela ne fait aucun doute avec des températures qui avoisinent les 50 degrés à l’ombre en été et surtout le fameux cirzo, le vent de « chez nous » qui souffle en rafales 24 heures sur 24 et balaie tout sur son passage. Combien de fois, ayant courageusement enfourché mon vélo et pédalant « à contre-courant », j’ai ressenti la fragilité de l’homme face aux éléments naturels déchainés et vu la mort de près, oscillant dangereusement vers les eaux turbulentes du fleuve Ebre. « L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant.», je songeais alors, en repensant soudain à Blaise Pascal et à mes cours de philo du lycée. C’est curieux les souvenirs qui reviennent dans les moments extrêmes.

Le monde des affaires aragonais m’a également laissé dubitative. Les entrepreneurs locaux sont de vrais cowboys qui traitent leurs employés comme du bétail et ont une conception progressiste du rôle de la femme dans la société qui se résume en ces termes : « Tais toi femme et reste à la maison. » Le problème se pose forcément quand on est une femme mais qu’on n’a pas l’âme femelle. Ces rescapés de l’âge de pierre ont aussi une ouverture au monde égale ou inférieure à zéro. Ils aiment dire que les marketeurs viennent souvent tester les nouveaux produits à Saragosse car si un produit fonctionne ici, il fonctionnera partout ailleurs. Le problème est qu’ils se méfient de l’Autre, de l’Etranger, ne laissent personne s'aventurer sur leur territoire et ne partent pas non plus explorer de nouveaux horizons, d’où un marché « consanguin », fermé et encore plus opaque si on est une femme. Je me suis cognée la tête mais eux aussi sur moi !

Cette semaine sera marquée par une succession d’adieux déchirants. J’ai du notamment annoncer la triste nouvelle à mes « copines » du club de sport. L’une des blondes, qui semble faire corps avec le décor tellement elle est assidue et qui, signe de total respect, veut toujours être avec moi pour les exercices à deux, m’a dit, ne cherchant pas à masquer son chagrin : « Et la gym? Comment tu vas faire ? Que vas-tu devenir ? ». Touchée par son inquiétude, je lui ai alors expliqué que, bien que Zaragoza soit The Place to Be et la ville qui dicte la mode et les nouvelles tendances (c’est bien connu !), il existait des clubs ailleurs et que, à force de déménagements, je pourrais presque écrire un guide sur le sujet. Son admiration à mon égard a alors grimpé en flèche, en même temps que son désespoir de me voir partir. La serrant dans mes bras, je lui alors promis de « toujours garder la cuisse ferme et le mollet galbé ». L’administration du club a prévu de mettre à l’entrée un drapeau en berne pendant plusieurs mois, le temps que le deuil se fasse.

Comme dans tout changement, je sais ce que je quitte mais je ne sais pas ce qui m’attend. Je me demande en effet quelles surprises l’avenir réserve à un scribouillard bohême comme moi dans un pays où le président parle en ces termes de mes camarades journaleux : « Les journalistes, ce sont des nullards, il faut leur cracher à la gueule, il faut leur marcher dessus, les écraser. Ce sont des bandits. Et encore, les bandits eux, ont une morale. » Nico, ta poésie illumine ma journée, toujours la grande classe. La liberté d’expression est-elle menacée d’extinction dans le pays des droits de l’homme ? Aurons-nous bientôt comme seule source d’information que le journal de Jean-Pierre Pernaut qui passera en boucle ? Non pas ça, plutôt le goulag ! Courage fuyons ! Mais pour aller où ?

dimanche 19 avril 2009

Consommation durable ?















Avec la crise, l'hyperconsommation s'est réduite comme peau de chagrin. Qui peut encore se permettre d’acheter sans regarder les prix ? De nos jours, tout se calcule, compare, mesure, pèse, sous-pèse, avant le passage à l’acte, désormais conscient et réfléchi.

L’un de mes amis que je rebaptiserai Pépé est passé maître dans l’art du marchandage. Sa devise est depuis toujours : « Il n’ya pas de petites économies. » et, en ces temps difficiles, son style approche de l’excellence. De passage dans ma ville natale, je l’ai accompagné dans une séance de shopping et ai pu observer l’artiste à l’œuvre, muette d’admiration et… d’effroi. En moins d’une heure, il a renouvelé son service de vaisselle grâce à des bons de réduction, dévalisé la réserve d’échantillons gratuits d’un grand magasin sans rien acheter, fait le plein de viande en promotion en payant avec des tickets restaurants, menacé un commerçant qui avait refusé une ristourne de 8 euros à sa mère etc.

Il faut dire que les chiffres, Pépé est tombé dedans quand il était petit. Porté par sa passion, il est devenu banquier, ne rate jamais son émission préférée, Combien ça coûte, et le soir il s’endort avec bonheur en songeant aux économies réalisées et à venir, tout en fredonnant le célèbre tube d’Abba : « Money, money, money, it’s a different world…». Pépé reconnaît que son comportement est un peu obsessionnel mais c’est ce qui fait sa spécificité et son charme. La photo de ce serial négociateur est placardée dans toutes les boutiques de la ville et il est interdit de séjour dans le magasin de mon père qui, après 50 ans de dur labeur, mérite de couler des jours paisibles.

J’ai suggéré à Pépé de coacher des « blondes comme moi » car, bien qu’ayant surmonté notre tendance naturelle aux achats compulsifs, nous n’en restons pas moins des victimes faciles pour des commerçants peu scrupuleux. Je me revois encore sortant du grand souk de Marrakech les bras chargés d’objets inutiles qui allaient me couter le prix fort en supplément bagages ou au bord de la crise de nerfs, en rade sur une petite route folle dominicaine, en train de supplier un garagiste louche de me porter secours. Chacun fait son beurre comme il peut dans cet univers impitoyable.

A l’inverse, certains affichent une forme de solidarité. On voit en effet fleurir des pancartes qui proposent des « menus anticrise » ou des « tarifs de crise ». S’agit-il véritablement de prix cassés ou de basses stratégies de marketing direct pour attirer le chaland ? La terminologie est de toute façon mal choisie car nous en avons assez de faire cheap et ces constants rappels de notre douloureuse réalité nous agacent plus qu’autre chose. Avis aux annonceurs : creusez-vous les méninges et privilégiez des tournures plus alléchantes comme équitable, populaire etc.

Dans un registre plus glamour, Londres, qui dicte toujours les nouvelles tendances, a remis à la mode la pratique du troc. Les soirées « swap » ou « vide dressing » font maintenant un tabac un peu partout. Le principe est simple et convivial : on donne ou échange des fringues, chaussures et accessoires à travers un réseau d’amateurs de mode. On fait ainsi du neuf avec du vieux, gaspille moins et recycle. C’est dans l’air du temps et en accord avec les exigences du développement durable. Malheureusement une mordue de shopping comme moi a du mal à lâcher un jean diesel contre un tee-shirt distendu de chez H&M, Made in India par un enfant de 5 ans payé symboliquement 1 euro par mois. Il ya des limites à l’entraide et à la solidarité. Contaminée par Pépé, je vois surtout dans ces rencontres un moyen de renouveler ma garde-robe sans me ruiner. Je n’ai pas trop de scrupules car sans la baisse du pouvoir d’achat tous ces enfants gâtées de la société de consommation n’auraient connu comme grande messe de rassemblement que les soldes, où ils se seraient entre-tués pour un bout de chiffon. Je vais d’ailleurs proposer à Pépé de faire le plein de vieilles fripes pourries et, telles les vamps avec nos caddies pleins à craquer, nous irons les troquer contre du Gucci, Prada… Pour gagner en crédibilité, nous pourrons même mettre des fausses étiquettes. « Si, si, c’est du Dior, collection automne-hiver 2004 », mentirons-nous, en prenant notre air le plus innocent. Pépé salive déjà mais il y a un hic, ces soirées sont en général réservées aux filles. Cela m’a donné l’idée de lancer des rencontres mixtes mais attention on échangera des vêtements et uniquement des vêtements. A bientôt pour le premier rendez-vous « troc dating» où vous serez tous conviés.

samedi 11 avril 2009

Joyeuses Pâques














L’Espagne est l’un des pays européens parmi les plus sévèrement touchés par la crise économique mondiale et le taux de chômage pourrait atteindre 20% d’ici la fin de l’année. En réaction à la morosité générale, des articles proposant des alternatives pour ne plus subir le problème mais lui faire face se multiplient. On nous incite par exemple à changer de métier et à nous recentrer sur des choses qui nous tiennent vraiment à cœur. C’est un peu ce que je suis en train de vivre à travers cette incursion de quelques semaines dans l’enseignement catholique, avec quelques réserves tout de même. En ces temps qui boitillent, l’Eglise est un secteur qui embauche. Avis aux candidats !

Immergée dans ce nouvel univers, je reste tout de même sur mes gardes, attentive aux signes de fanatisme religieux ostensibles mais tout semble dangereusement normal. Il y a évidemment les inévitables portraits de Jésus et autres divinités moins starisées, des affiches appelant à manifester contre l’avortement, la chronique matinale de la « voix de Dieu » mais les adolescents ont le droit de se vêtir comme leurs homologues du « monde libre » et je n’ai encore croisé personne en soutane. L’endoctrinement se fait de manière plus subtile. Au détour d’un couloir, je tombe sur une affiche dont le titre m’interpelle car c’est la traduction en espagnol du célèbre film interprété par James Dean, La Fureur de Vivre. La référence est évidente car on voit un jeune homme chevelu tenant négligemment une guitare. Il semble en pleine déroute, comme le souligne le slogan principal « Tu es perdu ? ». Il faut s’approcher pour lire ce qui est écrit en bas et en tout petit. Une solution à son mal être lui est suggérée : « DEVIENT JESUITE ! », avec l’adresse d’une page web pleine de promesses : http://www.jesuitas.es/. Ils sont forts en com ces cathos !

Par curiosité, j’ai visité le site. J’ai pu constater une nouvelle fois les efforts faits au niveau de la promotion de l’image : ergonomie claire et soignée, couleurs vives, multiples photos de fêtes et de voyages, rubrique carrière avec des témoignages enthousiastes de disciples de Jésus. On trouve même une section FAQ qui stipule, entre autres, que les candidatures féminines ne sont pas acceptées. Zut alors, c’est toujours la même chose, les chouettes boulots sont toujours réservés aux hommes... Poursuivant la lecture de la rubrique, j’en ai appris d’avantage sur les conditions maritales et matérielles. Le rédacteur essaie de noyer le poisson mais deux mots clés finissent par s’imposer : « CELIBAT et PAUVRETE ». Tout de suite, la perspective « d’entrer dans les ordres » est moins séduisante, voire carrément inconcevable.

Je pourrais d’ailleurs interroger les confesseurs de la basilique Pilar sur leurs avantages, primes, RTT etc. Cela ferait un papier terrible qui aurait comme chapô : « Petites confidences d’un confesseur. Il a tout entendu, il vous dit tout. » Avant de vivre à Saragosse, je pensais que cette fonction d’ « Oreille de Dieu » n’existait que dans les vieux films italiens. Pourtant ces hommes sont bien réels, enfermés dans leur petite guitoune sinistre. Les non initiés aux us et coutumes catholiques comme moi hésitent à leur demander le chemin des toilettes ou de la banque la plus proche, en anglais bien sûr. Dieu est un concept international après tout. Pardon Seigneur j’ai péché !

Le quotidien El Pais révélait cette semaine un autre coup de maître de l’Eglise espagnole, en matière de recrutement. La Semana Santa bat son plein en ce moment et avec elle le défilé presque ininterrompu des processions. Or il y a un an, la ville de Melilla en Andalousie a frôlé le drame. Faute d’un nombre suffisant de porteurs, la Vierge Maria Santisima a failli rater sa grande sortie. Les organisateurs ont été plus prévoyants cette année en enrôlant 34 sans papiers, arrivés illégalement en Espagne et résidant dans un centre de rétention. Ils avaient également pensé faire appel à des Machu Picchu au chômage mais leur taille moyenne ne dépassant pas 1m50 les bras levés, la Vierge aurait fait un parcours en rase-motte, indigne de sa sainteté.

Les pays d’origine de ces clandestins ne laissent point de doute sur leur ferveur catholique : Inde, Maroc, Pakistan… Le maire de Melilla a déclaré que Dieu était le même pour tous et salué l’effort d’intégration de ces « volontaires ». Il semble que l’Eglise remette au goût du jour l’évangélisation forcée. Dans leur rêve d’Europe, ces catholiques tout neufs dont la connaissance de l’espagnol doit se résumer à « Si Señor » pouvaient-ils imaginer que leur premier job serait figurant dans un bal masqué organisé par le Ku Klux Klan ? Joyeuses Pâques.

samedi 4 avril 2009

Le plus beau métier du monde ?




















Comme titre, j’avais pensé également à « Bienvenue en Enfer » mais je me suis dit qu’on tombait trop dans le tragique. Vous l’aurez compris, ma mission actuelle de professeur dans le collège « Maria Jesus El Salvador » n’a pas éveillé en moi une vocation tardive pour l’enseignement, loin de là. Il n’y a rien de jouissif à apprendre trois mots de français à une bande de gamins agités ni à jouer le rôle du méchant flic car au fond je suis comme eux. Moi aussi j’ai envie de pouffer en entendant les élucubrations de la « voix de Dieu » qui prêche la bonne parole tous les matins dans les haut parleurs (avant 10h, c’est France Inter ou rien), tirer les cheveux de la petite grosse à lunettes, me faire remarquer en allant cinq fois aux toilettes, dormir sur la table (surtout pendant le sermon matinal), jeter des bouts d’élastique sur mon copain Carlos (un jour je saurai pourquoi), faire l’école buissonnière…

On me dit que j’ai de la chance car les classes comptent à peine une vingtaine d’élèves et que ce sont des enfants relativement faciles, dressés dès le plus jeune âge, suivant les bonnes vieilles méthode jésuites. Il faut souligner tout de même que nous sommes en Espagne et que le niveau sonore des bavardages est tel qu’il double, voire triple les effectifs réels et la consommation d’aspirine des professeurs. Je pense soudain à ma mère qui totalise 38 ans de bons et loyaux services dans l’enseignement public et elle m’inspire une admiration grandissante. Elle a tenu bon face à des hordes de fauves toujours plus enragés et n’a pas pris un aller simple pour l’une des nombreuses «maisons de fous » sponsorisées par l’Education Nationale ni fait le choix des armes comme Isabelle Adjani dans La Journée de la Jupe. Dans ce film sorti récemment, Adjani interprète le rôle d'une professeur de français malmenée, chahutée, humiliée par sa classe dans un collège difficile de la banlieue parisienne et qui finit par prendre ses élèves en otages suite à la découverte d'une arme dans le sac d'un des adolescents. Le scénariste est probablement un vétéran de la « guerre de l’éducation ».

Je compatis en pensant au chemin de croix des professeurs de musique, obligés d’entendre chaque jour des centaines d’élèves massacrer à la flûte les grands classiques, ou des professeurs de philosophie, qui ont pour mission impossible d’inculquer les rudiments de la pensée de Platon à une assistance ignare nourrie de non culture hollywoodienne.

Je me repens car moi aussi j’ai péché, en étant bavarde, inattentive, rebelle, insolente… C’est promis je ferai mon mea culpa si je recroise l’un de mes anciens professeurs.

Cette expérience aura été tout de même bénéfique car je songeais il ya quelques temps préparer le CAPES, attirée par la garantie d’un emploi stable et le sentiment d’avoir une vraie utilité sociale. Cette option est désormais définitivement écartée. J’ai fermé pour toujours la porte de l’enseignement secondaire l’année de mon bac et il n’y aura pas de retour en arrière.

Qui ose parler de vocation pour définir ce métier ? Les professeurs sont tout simplement jetés en pâture, condamnés à survivre en milieu hostile et à essayer tant bien que mal de sauver leur peau. Je défis ceux qui aiment utiliser le slogan « enseignants feignants » de venir tester ne serait-ce que quelques heures leur capacité de résistance. La tendance actuelle est aux échanges de postes, histoire de sortir de la routine et de voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Avis donc aux amateurs : venez vivre 24h de la vie d’un professeur !

A ce sujet, un canadien a eu une idée originale en 2007. Ne sachant pas ce qu’il voulait faire dans la vie, ce jobtrotter a décidé de tester un emploi par semaine pendant un an, et il a ainsi occupé successivement 52 postes en 52 semaines (http://www.oneweekjob.com/). Quel métier je pourrais bien essayer maintenant ? Médecin urgentiste bien sûr ! Je nourris un vieux rêve depuis toujours : répondre « Oui, moi » à la question « Y a-t-il un médecin dans l’assistance ?» puis établir un diagnostic long et complexe en utilisant de pseudo termes scientifiques latins et surtout je voudrais vérifier le mythe selon lequel les hôpitaux sont de vastes baisodromes où l’on croise des Georges Clooney à tous les coins de couloirs… Georges, j’arrive !