Point de trêve estivale. Les conflits sociaux qui ont
rythmé notre quotidien au cours des derniers mois nous poursuivent sur notre
lieu de vacances et en particulier à la plage. Alors que vous pensez goûter une tranquillité bien méritée, mollement
allongé sur votre serviette, les doigts
de pied en éventail, restez sur vos gardes car ce sentiment d’apaisement n’est
qu’un leurre. Il est impossible
d’échapper aux réalités du monde et les piqûres de rappel sont nombreuses. Le débat
politique continue dans le sable.
Conscient de ce phénomène, un opposant forcené du mariage
pour tous a ainsi survolé il y a quelques jours la station chic de La Baule à
bord d’un ULM, tractant une banderole de vingt mètres avec l’inscription « Hollande Démission ».
Pour ce militant, il s’agissait plus d’une opération de fidélisation que de
conquête car il prêchait devant un public de convaincus. Bienvenue chez les Bourges ! Le passage
de l’avion n’a pu susciter qu’adhésion et enthousiasme parmi les lézards de
droite. Flash mob improvisée et ambiance survoltée. Je vois les caniches et les enfants soulevés en offrandes vers le ciel pour obtenir le revirement
politique tant attendu, les drapeaux tricolores gammés ressortis pour cet instant providentiel…
J’imagine aussi la terreur qui a du s’emparer des rares partisans de François H
présents. Les pauvres devaient creuser des terriers pour échapper à cette
inquiétante liesse collective. Un ami gay égaré dans le marché de la
ville a cru revivre les manifs anti-mariage. « Il y avait des Christine
Boutin partout. J’avais l’impression d’être un juif traqué durant la France de
Vichy. »
La plage de mon enfance est beaucoup plus populaire. Une partie de ma famille en est originaire et
je me sens comme une enfant du pays. J’ai la chance de pouvoir y aller par tous
les temps et en toutes saisons. Quand l’été arrive, il faut apprendre à
partager avec les envahisseurs dont la survie dépend de l’appropriation illusoire
d’un lopin de sable ou d’un morceau de de soleil. Je suis de gauche, donc proche
du peuple même avide de bonheur bon marché, je fais corps avec le prolétariat
en claquettes et torse poil, je supporte les bruits de raquettes et de vendeurs
de chichis, je brandis l’étendard Pernod Ricard. Mais parfois c’est dur de ne
pas trahir ses idéaux ! Ma capacité d’acceptation est mise à rude épreuve surtout quand vient le pic
de fréquentation du mois d’août. Ça débarque de partout et ça veut consommer
sans mesure. Courage fuyons !
Le seul aspect intéressant est que la plage devient alors un
immense terrain d’observation. Chaussée de lunettes de camouflage, j’épie mes
voisins à leur insu. J’ai été à bonne école car ma mère, sous un faux air
tranquille de dame bienveillante férue de sudokus, ne perd pas une miette du
spectacle et peut constituer en quelques heures des fiches détaillées sur
chacun des estivants présents dans son champ visuel. Une vraie détective de
plage. Avec elle, on sait tout de leur origine géographique, de la composition
de leur famille, de leurs pratiques
sexuelles et de leurs éventuels problèmes conjugaux. C’est mieux que la télé, un
vrai feuilleton.
Lentement mais sûrement je suis ses traces. Je remarque
notamment ce sympathique barbu et sa femme intégralement voilée qui, à l’ombre
d’un parasol, regardent jouer leurs charmantes petites filles. Les enfants
communiquent spontanément sans prendre conscience de possibles différences
ou d’incompatibilités fondamentales et je
glousse intérieurement en voyant ces mêmes petites filles s’amuser avec les
petits-enfants de retraités au fort accent pied-noir et avec une tribu de mini-blonds de
l’Est voués au cruel destin « Bière-Saucisse » comme en témoigne la
ceinture abdominale de leurs parents. Tandis que les enfants rient innocemment,
une tension très fortement palpable s’installe entre les familles piégées dans
une coexistence improbable. Je songe alors à me proposer comme médiateur de plage et
organiser un grand débat sur le thème de la compatibilité entre l’Islam et de la République. J’hésite encore à
me lancer n’étant pas sûre de la réceptivité du public par rapport à cette
approche novatrice. Qu’en pensez-vous ? No pasaran !