jeudi 22 novembre 2012

L’homme est une femme comme les autres



Avec la fin de l’Empire de Queen Bee et le retour de la démocratie, la ruche est passée par un sas de dépressurisation et a connu une phase de relâchement total. Les abeilles voguaient au gré du vent, goûtant à un moelleux bien-être qu’elles n’espéraient plus. «Tu veux dire que tu glandais encore plus qu’avant ?» ont sous-entendu certains esprits mal intentionnés de mon entourage. Pas du tout, mais le lâcher prise est souvent nécessaire et salvateur pour faire table rase du passé et mieux rebondir. Mes camarades et moi-même avions besoin de réapprendre à penser librement et à prendre des initiatives seules, sans demander la permission pour tout à une souveraine despotique. Et puis, le bateau n’allait pas complètement à la dérive puisque nous avions un nouveau commandant. Je dis bien «un» car l’ordre suprême des mâles avait estimé impossible de substituer à Queen Bee, si exceptionnelle et irremplaçable, une autre Elle qui aurait toujours souffert de la comparaison et aurait fini en camisole et sous prozac à force de vouloir effacer son souvenir indélébile. Ainsi, par une bel après-midi de juillet, celui que j’appellerai C est entré dans notre vie par la petite porte.

Pour favoriser son intégration, Queen Bee l’avait convié à sa dernière soirée d’adieux, la plus belle et la plus somptueuse de toutes. Elle trônait au milieu de la pièce, entourée de ses adoratrices en pleurs et couverte d’offrandes pour l’achat desquels les plus fanatiques d’entre nous nous avaient saignées jusqu’à l’os, menaçant de dénoncer les non-contributrices. C s’était ainsi retrouvé l’unique mâle dans une assemblée de vingt-cinq femmes partageant un moment d’une rare intensité émotionnelle et, aussi à l’aise qu’un chien dans un jeu de quilles, il avait balbutié quelques mots avant de prendre la poudre d’escampette. Me tenant un peu à l’écart avec d’autres insoumises, je n’avais même pas entendu son nom. Nous avons ensuite regagné nos alvéoles respectives en province et pendant plusieurs mois C n’a été qu’une voix lointaine au téléphone.

Contre toute attente et même à travers ce prisme technologique, C a rapidement su imposer sa patte. Tout d’abord, il a généralisé le tutoiement destiné à abattre les barrières hiérarchiques et créer une ambiance de travail authentique et conviviale. Très échaudée par la pseudo-décontractitude professionnelle nord-américaine dans laquelle j’ai baigné autrefois, j’avoue me méfier du « Tu Tout de Suite » et préfère observer et attendre avant d’accorder ma confiance. Mais C a marqué des points dans d’autres domaines. Au cours de chacune de nos conversations, il était en permanence à l’écoute, n’imposait pas son avis et savait se remettre en question, en faisant toujours preuve de beaucoup de douceur et d’humilité. Grâce à cette approche pleine de féminité, C peut se réjouir d’avoir pris l’exact contre-pied de sa prédécesseuse qui nous avait replongées dans l’obscurantisme de l’Ancien Régime. Curieuse ironie du sort: c’est un homme qui nous a fourni les armes pour gagner notre émancipation.

Mais la période «C au téléphone» ne pouvait pas durer éternellement et il était temps pour lui d’affronter la meute. La date de la cérémonie d’adoubement de C a été fixée et toutes les abeilles ont été rappelées à la ruche pour l’occasion. Tard dans la soirée précédant le jour J, j’ai reçu un appel. C’était C. Il me dit :

« - Bonsoir Maya. Je ne te dérange pas.

- Bonsoir C. Non, je répétais pour le «Grand Bourdonnement».

- Le quoi ?

- Le «Grand Bourdonnement», c’est la cérémonie qui clôturera ton intronisation. Il y aura des chants, des danses, des tours de magie. L’abeille de Lyon va même tenter de cracher des flammes. C’est la tradition.

- J’ai le trac. J’ai peur de ne pas être à la hauteur.

- Ne t’inquiète pas. Tu t’en sors bien. Tu es à 90% de côte de popularité. Continue à jouer la carte de la modestie et de la normalité, c’est la tendance du moment.

- Tu crois ?

- J’en suis sûre.

- Je te demanderai juste une faveur. Après mon discours d’introduction, je vais inviter l’assistance à intervenir. Pourras-tu poser une première question afin de lancer la machine ? J’aimerais éviter le flop.

- Tu peux compter sur moi mais à une condition: la suppression définitive des séminaires de développement personnel et des stages de clown. Plus jamais ça.

- Promis !

- Juré ?

- Craché !

- Djobi ?

- Djoba ! »

J’ai mal dormi cette nuit-là, trop occupée à peaufiner mon intervention stratégique. Le lendemain, je suis arrivée pratiquement la dernière. C m’a accueillie avec soulagement. Il se dandinait d'un pied sur l'autre visiblement très mal à l’aise et était couvert de traces de rouge à lèvres. Toujours pour stimuler les rapports, il avait autorisé le bisou matinal en plus du tutoiement et en subissait les conséquences. Il a tout de même réussi une harangue honorable destinée à nous faire partager sa pensée «visionnaire » et a conclu en donnant le signal convenu : «J’ai suffisamment parlé et suis prêt maintenant à répondre à vos questions. Je vous écoute ». C’était à moi de jouer. Sans hésitation, je dis: «Est-ce qu’on peut t’appeler Bosley ?*». J’ai poursuivi mon raisonnement : «En ces temps troublés de crise et de perte de repères, nous avons besoin d’images rassurantes et de références fortes; or, qui de mieux que ce personnage qui a bercé notre enfance et le démarrage de la vie d’adulte de nos vétérantes ? Bosley, c’est à la fois notre père, notre frère, notre meilleur ami gay… ». Les autres abeilles me fusillaient du regard, sans doute jalouses de ne pas avoir lancé l’idée. Elles secouaient la tête et faisaient des effets de cheveux, espérant être repérées pour être l’un des trois anges leaders. Hélas pour elles, les « Drôles de Dames », c’est bien plus qu’un sourire dentifrice et un brushing indécoiffable !

C a fini par réagir timidement : « Je ne pourrais pas plutôt être Charlie**? ». On sentait une blessure d’enfance profonde et toujours présente. Je répondis : « Non C, tu n’y es pas du tout. Charlie c’est la figure strauss-kahnienne par excellence. Charlie, c’est l’argent, le bourbon, les cigares, les femmes en minishorts… Bref tout ce que nous exécrons par-dessus tout. » Penaud, C a murmuré : « C’est OK pour Bosley ».

Prise de pitié, l’une de mes camarades a alors orienté le débat vers un autre point essentiel : « Comment va Queen Bee ? ». C avait soigneusement préparé sa réponse : « Elle va très bien et vous embrasse toutes. » Là, je savais qu’il mentait car j’avais appris de source sûre que depuis sa désinvestiture, Queen Bee traînait chez elle en pyjama, désormais accro à l’alcool, au tabac et aux talk-shows de l’après-midi, et rejetait systématiquement les solutions proposées par le Pôle Emploi, jugeant cette administration trop plébéienne. Sur ce dernier point, elle n’avait peut-être pas tout à fait tort. No Pasaran.

*Gestionnaire asexué et bedonnant de l’agence de détectives dans la série « Les Drôles de Dames ».
** Employeur mystérieux des « Drôles de Dames » dont on ne voit jamais le visage.



jeudi 14 juin 2012

Les adieux à la Reine !


Notre président tout neuf nous a promis un changement radical et profond mais il ne croyait pas si bien dire car, avant même sa prise de pouvoir officielle, l’impensable s’est produit : Queen Bee, ma responsable hiérarchique bien aimée, a annoncé  son abdication. La nouvelle est tombée dans ma boîte mail le vendredi  11 mai à 17h. Guidée sans doute par mon intuition, je n’étais pas, comme d’habitude à cette heure,  en train de vaquer à des activités extra-professionnelles non avouables, mais connectée au réseau dans le cadre rassurant de mon salon. J’ai ainsi vécu en direct et depuis mon canapé l’évènement et tous les bouleversements qu’il a engendré. Dans un message poignant, notre reine nous a expliqué qu’elle partait non pas par choix mais au regard de sa situation personnelle ( ?), nous a demandé de faire preuve de courage et de continuer le combat entrepris  et a conclu avec quelques citations pompeuses d’auteurs dont elle ne connaissait pas le nom.

L’humanité a connu de grandes tragédies comme la Mort d’Elvis ou la Guerre du Vietnam mais aucune n’a jamais suscité autant d’émoi ni de tristesse que la perspective du départ prochain de notre royale icône. La ruche est en deuil. Les abeilles zigzaguent sans but et ne produisent plus de miel. Une cellule de soutien psychologique a été constituée et le centre d’appels a été saturé en quelques minutes. Après l’envoi de ce qui s’apparente à un missile scud, chacune de mes collègues qui je vous le rappelle sont toutes des femmes dispersées un peu partout en France, ont posté en mettant en copie la Terre entière des mots d’adieux déchirants à celle qu’elles identifiaient tour à tour et entre deux sanglots à une mère, une sœur, une maîtresse ou encore une déesse. Si les ordinateurs pouvaient pleurer, notre pays aurait été enseveli sous des flots de larmes. J’ai mesuré l’ampleur du fanatisme et de la manipulation psychologique lorsque l’une des abeilles a évoqué le rôle déterminant de Queen Bee dans le mouvement féministe. J’ai dû intervenir en aparté pour expliquer à cette âme égarée que la politique rétrograde pratiquée par notre département visant à nous transformer en femmes  au foyer des années 50 ne représentait en rien une avancée pour les femmes. Penaude, mon interlocutrice m’a promis de lire Simone de Beauvoir et Elisabeth Badinter.

En ce qui me concerne, je n’étais ni gaie ni triste, j’étais juste abasourdie par cette nouvelle incroyable. Je me disais également : « Damned, elle m’a devancée ! ». J’en étais là dans mes réflexions lorsque la ligne rouge a retenti. Maya, you are needed ! Pronto !  C’était Queen Bee. Comme à son habitude, elle est allée droit au but et a dit : « Abeille Maya, l’heure est grave. L’équilibre géopolitique planétaire est en jeu.  Je connais votre expérience dans les relations internationales et j’ai besoin de vous pour être mon porte-parole. Je compte sur vous et j’espère que vous ne me décevrez pas. » Moi qui avait été cantonné jusqu’alors dans ce job à des échanges franco-français, j’ai pu renouer pour quelques jours avec les grands de ce monde et tenir tête à des reporters avides de scoops appartenant à des medias aussi divers que le New York Times, le Der Speigel ou encore Aljazeera. La Reine Elizabeth II a même proposé de lui laisser la vedette à l’occasion de son jubilé de diamant et de rebaptiser la journée Bee-Day.

La question qui taraudait tous ces vautours affamés était de connaître les mystérieuses raisons personnelles qui contraignaient Queen Bee à se retirer de la scène en pleine gloire. La principale intéressée n’avait fait aucune déclaration officielle et chacun élaborait des hypothèses plus ou moins vraisemblables. Notre Reine aurait fricoté d’un peu trop près avec les Sarkozystes et elle devait se faire oublier. Elle aurait rencontré Dieu et entrait dans les ordres. Elle délocaliserait la ruche en Inde… Familière des rouages de l’appareil interne, j’avais ma propre interprétation. Queen Bee était mariée avec Felipe III qui allait devenir son N+1 et les fonctions respectives des deux altesses royales n’étaient plus compatibles. Ainsi elle sacrifiait ses ambitions au profit de la carrière de  son époux, prouvant une nouvelle fois que l’égalité entre les sexes reste encore une lointaine utopie. Je lâchais en pâture une version simplifiée de cette information : « La situation est comparable à celle du couple Strauss kahn Sinclair mais sans le fric et le bunga bunga ».

Mes camarades abeilles s’inquiétaient aussi de son remplacement et me poussaient à poser ma candidature pour le trône, disant que moi seule pourrait les défendre contre l’ordre des mâles. Bien que flattée par cette confiance, je répondis que je ne m’épanouissais que dans le contre-pouvoir et que l’idée de régner en lointaine banlieue parisienne m’était insupportable. Puis, je me dis que si la ruche me voulait vraiment comme nouvelle reine, je n’avais qu’à poser mes conditions qui seraient bien évidemment non négociables. J’ai commencé une liste qui n’est encore qu’une ébauche : 2,5 heures de travail par semaine depuis mon cher Sud, 52 semaines de RTT, déménagement de la ruche dans le XXème arrondissement de Paris, stage intensif de cool attitude et de glamour pour le personnel, appartement de fonction donnant sur les Buttes Chaumont pour le weekend, stricte application de la parité et unité spéciale d’hommes totalement dévouée à ma personne, budget réception illimité, hiver sponsorisé en Amérique du Sud pour moi et mon cercle proche…

Le moral des troupes en berne pendant plusieurs jours a fini par revenir. Le choix du cadeau de départ a fait notamment l’objet d’un débat acharné par e-mails car les abeilles n’étaient pas toutes d’accord sur la marque du sac à main. Une cérémonie d’adieu se prépare mais l’effet de surprise risque d’être quelque peu gâché suite à une erreur de manipulation  de l’abeille la plus ancienne et la moins douée pour les nouvelles technologies qui a fait suivre à Queen Bee tout l’historique des échanges. La machine s’est retournée contre l’homme. Quelle perfidie ! En attendant, Elle n’est toujours pas partie. God Save the Queen !

mercredi 16 mai 2012

Restons groupés
















"Paris brisé, Paris martyrisé, mais Paris libéré !" J’ai vécu la chute de l’empire sarkozien et la consécration de l’homme providentiel, François H, par procuration et à distance car ce fameux dimanche 6 mai je me trouvais en Crète pour une mission secrète et hautement stratégique. Époque et nouvelles technologies obligent, le score est tombé en début de soirée non pas par la voix de Radio Londres mais par sms : « Sarko battu par KO. C’est bon tu peux rentrer ! ». Il faut dire que peu de temps après chacune des 3 dernières présidentielles, j’étais, volontairement ou portée par le hasard des circonstances, partie m’installer à l’étranger. Fini le maquis, la France va enfin redevenir une terre chaleureuse et hospitalière. Courage restons ! J’ai un peu regretté de ne pas prendre part à la liesse collective après l’annonce des résultats, zouker avec Yannick Noah, débattre du poids de l’image du père avec Tanguy Hollande ou défaillir à cause de ce trop-plein de bonheur telle une groupie de Claude François un soir de concert mais je suis condamnée au destin cruel des nomades apatrides. Déjà en 1998, lors de la victoire des Bleus, je vivais en Angleterre.

Mais revenons aux raisons mystérieuses qui m’avaient amenée en Crète à ce moment charnière de l’histoire de France. L’objectif était de contribuer au succès et au rayonnement durable de François H. Comme l’un de ses illustres homologues, Barack Obama, notre nouveau président a construit sa campagne autour de deux thèmes forts : le changement et la sanitude. On ne l’a pas vu courir sur une plage affichant de parfaites tablettes de chocolat, mais chacun a pu admirer son corps svelte trouvé ou retrouvé flottant dans des costumes désormais trop grands. François H a ainsi utilisé de façon subtile le culte de la minceur si fondamental dans nos sociétés rassasiées et vieillissantes. Grâce à sa « fonte » fulgurante, François H a eu des disciples de la première heure. Ainsi ma chère amie désormais rebaptisée Irène François qui en guise de repas de réveillon à Budapest, nous a imposé des changements drastiques dans nos choix alimentaires et concocté un menu à base de poireau bouilli et de salade fade. Il est vrai qu’après quelques expériences traumatisantes de dégustation de la gastronomie locale, nous n’avions pas beaucoup d’options. De cette aventure, un mouvement est né dont le cri de rassemblement proclamé le poing levé est : « We fight the fat ! ». D’un commun accord, nous avons décidé de ne pas capitaliser sur les spécialités hongroises dans le grand combat national contre le gras, par égard pour nos compatriotes. Ces mets subtils pourraient éventuellement être utilisés en cas de guerre bactériologique. Quoi de mieux en effet qu’une bouchée du fameux poulet fourré à la mie pour venir à bout des plus féroces envahisseurs.

Il ne nous restait plus alors qu’à explorer de nouveaux horizons culinaires. Je n’étais donc pas en Crète pour évaluer la situation de la dette grecque et savoir si la France devrait mieux suivre Athènes ou Berlin mais pour en savoir plus sur les vertus miraculeuses du fameux régime crétois. Cela fait des années que les médias nous bassinent avec la longévité exceptionnelle de ses habitants, leur éternelle jeunesse, leur sveltesse ou encore leur santé éclatante. Qu’en est-il vraiment, sachant que les mêmes bienfaits sont associés à la cuisine à la graisse d’oie, or, étant originaire du Sud-Ouest, je me permets d’émettre quelques réserves...

Comme je ne fais jamais les choses à moitié, je me suis inscrite à une cure de décrassage de printemps proposant une immersion complète dans le pays et une application stricte des cinq piliers d’une santé optimale : marcher, bouger, manger sain, se coucher tôt, boire de l’eau et encore de l’eau. Il m’arrive de suivre certaines de ces bonnes pratiques mais jamais de manière simultanée, d’où la nécessité d’être coachée et stimulée par un groupe. A mon arrivée, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que j’étais la seule fille. Mes consœurs, bien qu’ultra-préoccupées par ces questions, privilégient sans doute des méthodes plus douces (Duncan, Zumba, Botox…). Mais au final, c’est plus apaisant et donc plus sain un groupe de garçons car, retenus par une sorte de pudeur naturelle, ils ne risquent pas de vous agresser par un flux continu de paroles dès le petit déjeuner ou vous faire subir le récit détaillé et sanglant d’un accouchement aux forceps. Je ne cite personne mais vous savez sans doute à qui je fais référence.

Concernant la réputation d’excellente santé des crétois, force est de constater qu’il y a une légère distorsion entre le mythe et la réalité. Le pays compte certes beaucoup de personnes très âgées qui affichent une vigueur stupéfiante mais en même temps elles n’ont pas le choix car elles constituent les forces vives de la nation, la Crète qui se lève tôt, car ce sont elles qui vont au champ, servent dans les restaurants, portent les bagages… Cela doit être une coutume locale de faire trimer les vieux et un moyen pour le gouvernement de garder sous clé le dossier épineux des pensions de retraite. Les plus jeunes, moins actifs, ont plus de mal à garder la ligne car ils n’ont qu’à tendre la main pour piocher dans des plats savoureux et gorgés d’huile d’olive servis par portions gargantuesques. Le look Demis Roussos est d’ailleurs très en vogue chez les mâles grecs – barbe et tunique large- pour masquer les bourrelets superflus. Je ne m’en suis pourtant pas trop mal sortie : moins 500 grammes en une semaine ! En Crète, on trouve aussi une multitude de boissons saines parmi lesquelles la bière, fortement conseillée en cas de courbatures, et surtout la fameuse potion magique, le raki, souvent distillé de façon artisanale et servi en généreuses rasades, à tout moment de la journée. Il était impossible de résister car nos hôtes étaient toujours plus que convaincants, surtout pour des esprits faibles ! Et puis l’alcool réveille l’envie de fumer, les tournées s’enchaînent et c'est la fin définitive des bonnes résolutions. On se vautre dans le malsain et ça fait du bien !

Leur besoin irrépressible de festoyer m’a ainsi fait réfléchir. Les crétois sont las de cette austère sanitude qui leur rappelle les mesures strictes que leur impose leurs dirigeants, cataclysme économique oblige. Dionysos était un Dieu grec et leur vraie nature ressurgit. Ils ont envie de transgression, d’ivresse et de vin. Monsieur François H, vous devriez vous en inspirer. Votre prédécesseur se saoulait au jus d’orange et vous devez vous démarquer, en prônant la convivialité décomplexée. Forte d’une expérience significative dans ce domaine, je me permets de briguer le poste de Ministre du Temps Libre et des Apéritifs. Dans l’attente de vos nouvelles, no pasaran nunca mas !

jeudi 15 mars 2012

MISSING. Mais où est donc passé Pépé ?














On m’a demandé de faire un portrait de Pépé pour ses quarante ans, un moment important qui mérite d’être marqué dignement. C’est le deuxième de la bande à franchir ce cap douloureux et irréversible et la tradition du cadeau est déjà installée : une biographie express et un pack de toiles d’un néo Picasso local dont la côte devrait monter et qui constitue un bon investissement. Les murs de nos maisons menacent ainsi d’être ornés d’œuvres identiques, reflets d’un angoissant conformisme. Par pitié et avis aux personnes concernées : si j’atteins cet âge canonique, soyez créatifs ou tapez dans l’authentique ! Je veux un Picasso, un vrai. Mais nous parlons d’un futur très lointain et d’ici là les tendances auront radicalement changé.

Pépé, rappelez-vous, c’est mon ami capitaliste, boursicoteur surdoué et négociateur compulsif. Je lui ai d’ailleurs consacré plusieurs chroniques, narrant son combat quotidien contre la vie chère et ses meilleurs coups en matière d’achats à prix cassés. Pépé craignait que ces récits ne le rendent impopulaire mais c’est le contraire qui s’est produit. Au fil des semaines, le nombre de ses fans n’a cessé de croître, des vocations sont nées et tous veulent en savoir toujours plus sur les trucs et astuces de Pépé. Parmi les thèmes les plus consultés, on trouve : devenir rentier avec des bons de parrainage, bénéficier d’avantages clients sans jamais rien acheter, se faire inviter en toutes occasions, faire craquer un vendeur pour qu’il vous change un objet abîmé par un neuf, obtenir réparation de Free… Pourtant Pépé a failli récemment passer l’âme à gauche, se sentant trahi par ses pairs et par le Dieu Capital. Il voulait tout plaquer et renoncer à son destin tout tracé de banquier. Nous avons alors entamé une rééducation qui promettait d’être longue et périlleuse, à base de discours social et de comportement anti-consommation. Mais la période indignée de Pépé aura été de courte durée car il a depuis été recueilli par une entreprise concurrente aux méthodes encore plus offensives et projette de voter frileusement Bayrou aux prochaines élections présidentielles.

Alors que je pensais que la personnalité complexe de Pépé constituait une source inépuisable d’inspiration, je me heurtais soudain à la panne. Je séchais, victime du syndrome de la page blanche. Que dire de nouveau, sans avoir l’impression de répéter en boucle les mêmes anecdotes ?

Heureusement, Pépé m’a donné l’occasion de sortir de cette impasse. Le jour J, je me trouvais chez lui en compagnie de tous ses amis pour un grand raout surprise en son honneur. Malgré de profondes disparités, nous avions tenus à être tous présents pour célébrer l’anniversaire de notre Pépé bien aimé. Oui mais voilà, le principal intéressé manquait à l’appel. Nous avons alors tout essayé pour le faire venir : bruit du froissement des billets glissés dans sa tirelire, odeurs de plats non épicés qui mijotaient, signaux de fumée de marijuana, strip-tease improvisé de Michalak… Rien n’y a fait. Pépé restait introuvable. L’inquiétude a alors commencé à monter. En proie à une crise d’agoraphobie, Pépé avait-il craint d’avoir trop de monde dans son 3 pièces et préféré fuir? Prenant subitement conscience du temps qui passe, Pépé s’était-il réfugié dans une clinique de chirurgie plastique ? Chacun y allait de son scénario mais l’hypothèse la plus vraisemblable était celle du kidnapping, ce dont nous avons eu rapidement confirmation. Mon portable a sonné, c’était l’ancien chef de Pépé. Notre ami était entre les mains de ses ex-collègues qui voulaient l’obliger à revenir. En effet, depuis son départ, c’était la déroute générale. L’entreprise subissait de graves revers financiers mais le pire était le moral en berne des employés qui n’avaient plus personne à qui s’identifier. La seule solution était sa réintégration et un commando de volontaires avait été constitué pour une mission peut être sans retour.

Son ancien chef me demandait conseil car il ne savait plus quoi faire. Malgré une proposition financière au-delà de toute espérance, la non utilisation de la violence et la profusion de plats préparés par un chef étoilé, Pépé semblait faible et ne réagissait pas. Je lui expliquais alors qu’on pouvait travailler des années aux côtés de quelqu’un sans jamais vraiment le connaître. Pépé était un petit être fragile et sensible qui nécessitait une attention constante. Les preneurs d’otage avaient-ils tenu compte de ses innombrables allergies alimentaires (épices, sel, gingembre, échalotes….), pelé les tomates (très important), veillé à ce qu’il dorme seul dans le noir complet, pensé à son huile pour les cheveux, son masque au concombre et ses gélules anti-acidité, prévu le supplément réductions du catalogue des 3 suisses en cas d’insomnie, susurré à son oreille plusieurs fois par jour le mot « gratuit »… ? A mesure que j’énumérais mes recommandations, je sentais mon interlocuteur de plus en plus perplexe. Je promis d’envoyer une liste détaillée des consignes à respecter pour obtenir un Pépé rassasié et coopératif. Aux dernières nouvelles, ses ravisseurs ont craqué et veulent à tout prix le relâcher. C’est Pépé qui ne veut plus partir car il a développé une nouvelle pathologie : la maladie de stockholm. Feliz cumpleaños cariño!