mardi 19 mai 2009

L'Enfer, c'est les autres













J’ai toujours aimé les grandes villes et le sentiment d’immense liberté qu’elles procurent. Chaque coin de rue est prometteur de nouvelles aventures et on peut se fondre dans l’anonymat de la foule, tout en se laissant porter par le torrent de l’énergie urbaine. Je dois être une des rares nostalgiques du métro parisien ; non pas du RER A aux heures de pointe bien évidemment, qui transfère tous les jours les esclaves modernes de leur lointaine banlieue à leur cage de verre, mais plutôt des lignes aériennes qui semblent survoler la ville. La promiscuité forcée des transports en commun n’est pas seulement source de stress mais peut aussi créer de vrais moments de poésie et être à l’origine de belles rencontres. Plusieurs sites Internet comme http://www.paribulle.com/ ont ainsi été créés pour permettre aux citadins de « retrouver un regard croisé dans le métro ». Je dois admettre que pour ma part je suis plus tombée sur des pervers ou des sociopathes que sur de beaux ténébreux. L’ivresse procurée par les bains de foule a des limites. Conséquence inverse de la surpopulation, on finit par étouffer et on a besoin de s’échapper. Vite de l’air !

Curieusement, je me suis souvenue de tout ça, en dînant avec un ami en terrasse d’un restaurant de Toulouse. Victime de son succès, la Ville Rose a vu arriver une déferlante de parisiens et, sans avoir encore perdu son âme, a considérablement grossi et s’est embourgeoisée. Le Parisien est un modèle qui s’exporte mal. On croise de temps en temps un Bobo égaré, directement débarqué de l’Est Parisien, qui cherche désespérément des repères familiers (resto bio, bar lounge, concept store etc.) ou des catholiques versaillais, tout de bleu marine vêtus, qui dénotent avec la chaleur et les couleurs du midi. Grand moment de solitude lorsque, par malchance, on se retrouve au restaurant dans une table à deux à côté d’un de ces petits couples bien propres sur eux. L’imagination au pouvoir semble alors un concept bien lointain. Dans la famille Grenouille de Bénitier, je demande la jeune promise qui prend un air paniqué lorsqu’on fait mine d’approcher de sa table, semblant dire : « Oh mon Dieu, ces provinciaux dégénérés vont nous contaminer avec leur accent et leurs habitudes dégoutantes ». Dans ce cas, il faut employer les grands moyens pour convaincre la donzelle ne plus jamais sortir de chez elle, comme par exemple parler très fort et sans aucune gêne du projet, déjà amorcé, d’être mère porteuse pour un couple de transsexuels brésiliens sans papiers, tout en mangeant avec les doigts. Succès garanti !

Heureusement, ce soir là, l’atmosphère était plutôt désinhibée, voire carrément débridée. Nous avions en effet à notre droite deux vétérans de l’époque du Power of Love, preuves vivantes que l’abus d’alcool n’est pas forcément dangereux pour la santé. Certes Janis et Jim n’avaient plus la ligne de leurs vingt ans mais affichaient une étonnante vitalité et une remarquable descente. Les plats n’étaient pas encore arrivés qu’ils avaient déjà sifflé deux bouteilles de rosé. C’est là où Janis qui avait étanché sa soif mais pas calmé sa faim s’est tournée vers moi, en hoquetant et en beuglant : « Céééé bonnnn ???? ». Heureusement le serveur est arrivé à la rescousse et on ne les a plus entendus, sauf pour faire des commentaires sur le bon vieux temps qui s’en est allé et la France, « ce pays de cons ». Quelques bouteilles de vins plus tard, nous avons eu droit à l’instant culturel, lorsque nos deux charmants voisins ont essayé de déchiffrer, en clignant un œil, la plaque de rue écrite en occitan, se demandant par quel étrange coup du destin ils avaient bien pu se retrouver en Espagne. Ils ont finalement décidé de tituber jusqu’au prochain bar, tendrement enlacés et se soutenant mutuellement. C’est beau l’amour.

Dans un style moins "sixties revival", nous avions également derrière-nous un couple d’échangistes exhibitionnistes quinquagénaires. Elle, le facies grimaçant à cause des excès de lifting, décrivait à voix haute et avec moult détails croustillants les orgies organisées dans ses multiples propriétés et les problèmes sexuels de son entourage et Lui, avait tous les sens en éveil pour ne pas louper le passage du moindre jupon dans un périmètre de 50 mètres. A la même table, mangeait en silence un autre couple, faire-valoir résignés et soumis de leurs efforts pour se faire remarquer et briller en public. J’espère au moins que la vieille peau les a invités. Et enfin, à bâbord, incroyable mais vrai, il y avait la femme qui allumait des cigarettes plus vite que son ombre et qui parvenait à avaler fumée et nourriture en même temps.

Quelle formidable mise en scène, respectant parfaitement la règle des trois unités. En un lieu, en un soir, les vieux démons de l’alcool, de la drogue et du sexe s’étaient donné rendez-vous. Rock’n roll is not dead !

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