Matin du 8 Mars. Le soleil brille
et les beaux jours semblent enfin de retour. Pourtant ce qui aurait pu être un
instant de bonheur simple est brutalement interrompu par la réception d’un mail
inopportun. Avec la bienveillance apparente qui accompagne les formules toutes
faites, mon entreprise s’est sentie obligée de saluer cette date particulière:
«Mesdames. Un grand bonjour en cette journée internationale de la femme …
Juste: Nous les femmes. 😀😀😀😀😀👍👍👍👍Bonne journée.»
Le message n’est pas signé et
le seul effort fait au niveau de la prose est l’insertion de smileys idiots. On
dirait du Julio Iglesias plagié! Les membres du Comité Directeur,
essentiellement composé d’irréductibles machos, sont en copie, comme s’ils nous
accordaient, grands seigneurs, un moment de grâce. Je ne suis pas un chien à
qui on donne un os à ronger pour quelques heures. Je revendique le droit de
choisir les groupes auxquels je souhaite être associée et refuse d’être rangée en
vrac dans le rayon «bonnes femmes». Si seulement ils avaient su trouver les
mots justes comme «open bar sur les chaussures», j'aurais pu me laisser
attendrir, mais toute marque de délicatesse est proscrite. # Je suis énervée et
envisage de traverser la frontière et rejoindre mes camarades espagnoles qui
ont appelé au boycott général. # M8 Paro. Le pays est paralysé par un
raz-de-marée féministe sans précédent. Les syndicats parlent de 5,3 millions de
grévistes dans les rues. # Bravo. Après les Indignados, un mouvement de
protestation massif est enclenché par l'Espagne.
La libération de la parole des
femmes a en réalité démarré il y a plusieurs mois de l'autre côté de
l'Atlantique. La gronde est partie d'Hollywood où une poignée d'actrices,
lassées d'écarter les cuisses en silence, se sont d'abord insurgées contre
l'élection d'un président à la misogynie décomplexée puis ont fait tomber de
son trône le nabab du cinéma, prédateur sexuel notoire mais jusqu'alors
nullement inquiété. L'ordre du monde qui permettait aux hommes de jouir d'une
immunité totale a été fortement ébranlé. Depuis ces dames sont divisées entre
les pasionaras du combat contre le harcèlement et les signataires d'une tribune
défendant «la liberté d'importuner». Entre les deux camps, mon cœur balance. Je
suis prête à monter sur les barricades pour dénoncer des comportements masculins
abusifs mais je fais aussi la différence entre badinage amoureux et drague
outrancière. Il ne faudrait pas tomber dans un modèle de société ultra-puritain
où les hommes honteux et traqués n'oseraient plus rien faire et où il serait
encore plus compliqué de se rencontrer !
Dans toutes les couches de la
société et bien au-delà du microcosme du show business, les femmes se sont
enfin senties légitimes pour s'exprimer et revendiquer leurs droits. Hasard du
calendrier et à mon modeste niveau, j'ai moi aussi «balancé mon porc», même si
je trouve l'expression répugnante et vulgaire, surtout car les cochons sont
loin d'être lubriques. # Metoo. J'aurais pu puiser dans mon livre de souvenirs
et décrire ce qui constitue les étapes obligatoires de l'apprentissage
sentimental d'une jeune fille: vieux professeurs libidineux, mains baladeuses
dans les transports, colocataire rêvant de rejouer les meilleures scènes de Sex
Friends, ambiance de travail ultra-torride où blagues salaces et coucheries
font partie intégrante de la fiche de poste, mais c'est un cas de sexisme
ordinaire que j'ai choisi d'évoquer, anodin en apparence mais pouvant causer un
réel préjudice.
Mon Harvey s'appelle Dédé Le
Corbeau et il sévissait il y a encore peu de temps dans l'entreprise où je
travaille, en tant que bénévole. Il doit ce sympathique sobriquet à son goût
immodéré pour la délation, sa marque de fabrique, sa signature. On trouve
fréquemment ce genre de profil dans les structures associatives ou à forte
vocation sociale. Ces sinistres sbires, protégés par l'alibi de l'engagement
militant, utilisent l'espace d'exercice qu'il leur est alloué pour se donner
une illusion d'importance et de pouvoir, à défaut d'être reconnu dans leur vie
familiale et professionnelle. Au lieu de mettre de côté leur ego au profit
d'une cause plus grande, ils se comportent en chefaillons et se défoulent sur
les personnes susceptibles de leur faire de l'ombre. Ils forment un petit
groupe, tous à la solde de Dédé. C'est une sorte de mafia dont les membres se
cooptent entre eux pour être sûrs de conserver leurs avantages et leurs
secrets.
Longtemps j'ai été indifférente à leurs manigances. Les enjeux étaient des places de parking, des bureaux ou de la gadgetterie. Il n'était pas rare non plus qu'ils fassent des caprices ou qu'ils pleurent si quelqu'un leur tenait tête. J'étais surtout affligée par le fait que des hommes d'âge mûr se montrent aussi pathétiques.
L'affaire a pris une nouvelle ampleur lorsqu'à la fin de l'été dernier, Dédé s'es vu relégué à une position très subalterne et a basculé définitivement du côté obscur de la force. Faute d'avoir le courage de s’insurger auprès de la direction, il s'en est pris à une cible plus accessible: moi. Il n'a eu de cesse alors de me critiquer par derrière et de rapporter à mes supérieurs de supposés dysfonctionnements. D'après ce que j'ai compris et sans en être le témoin direct, il remettait en cause la qualité de mon travail et mon intégrité professionnelle, en s'appuyant sur de vagues exemples et sans arguments réels. Je faisais à la fois trop de choses et pas assez. J'étais responsable de tout et n'importe quoi. Il est difficile de trouver le juste milieu quand on n'a comme un seul soutien qu'un doigt accusateur pointé dans le dos. Un vrai face-à-face aurait permis de désamorcer ces attaques en quelques minutes, mais Le Corbeau demeurait insaisissable.
Dédé est même allé jusqu'à fouiller dans ma vie privée et a brandi la preuve supposée irréfutable de ma culpabilité: l'entreprise que j'aurais créée en parallèle de mon activité principale. Malheureusement pour lui, j'avais renoncé depuis longtemps à mes velléités entrepreneuriales et fermé boutique, et de toute façon, cela était autorisé dans mon contrat d'embauche.
La coupe était pleine et j'ai sommé ma hiérarchie, qui m'avait assuré de son soutien indéfectible, d'intervenir. L'image de première de la classe que je véhicule depuis l'école primaire est parfois très utile. Mes cow-boys sont arrivés, gentils mais sans envergure et ramollis par la bienséance hypocrite qui rythme la vie en entreprise. Dédé a refusé la confrontation directe et comme certains s'étouffent dans leur alcool, il a continué à s'étrangler dans sa frustration. J'ai alors décidé de me faire justice moi-même en utilisant l'arme la plus efficace que je connaisse, la plume. J'ai donc rédigé un long plaidoyer à destination des hautes instances en appuyant sur les formules qui dérangent par les temps qui courent: «harcèlement moral», «environnement nocif», «discrimination»...
Les Ressources Humaines ont pour une fois joué leur rôle et condamné l’attitude de Dédé. Acculé, ce dernier n'a pas eu d'autre choix que de démissionner. Difficile en effet d'assumer au grand jour sa vilenie. Maya 0,5/ Dédé 0. Victoire en demi-teinte en effet car j'aurais aimé le confondre publiquement. Mais je ne me plains pas car j'ai eu une promotion, je suis montrée en exemple et les bénévoles restants filent droit et sont aux petits soins pour moi. La vermine a été enrayée.
La morale de ce sombre épisode est qu'il ne faut rien banaliser ni rien lâcher. Mais tout cela est déjà loin et l'histoire s'écrit définitivement ailleurs. Zut les blablacar pour Barcelone sont complets. Je tente le stop…. Le matriarcat commence maintenant. # No Pasaran.
Longtemps j'ai été indifférente à leurs manigances. Les enjeux étaient des places de parking, des bureaux ou de la gadgetterie. Il n'était pas rare non plus qu'ils fassent des caprices ou qu'ils pleurent si quelqu'un leur tenait tête. J'étais surtout affligée par le fait que des hommes d'âge mûr se montrent aussi pathétiques.
L'affaire a pris une nouvelle ampleur lorsqu'à la fin de l'été dernier, Dédé s'es vu relégué à une position très subalterne et a basculé définitivement du côté obscur de la force. Faute d'avoir le courage de s’insurger auprès de la direction, il s'en est pris à une cible plus accessible: moi. Il n'a eu de cesse alors de me critiquer par derrière et de rapporter à mes supérieurs de supposés dysfonctionnements. D'après ce que j'ai compris et sans en être le témoin direct, il remettait en cause la qualité de mon travail et mon intégrité professionnelle, en s'appuyant sur de vagues exemples et sans arguments réels. Je faisais à la fois trop de choses et pas assez. J'étais responsable de tout et n'importe quoi. Il est difficile de trouver le juste milieu quand on n'a comme un seul soutien qu'un doigt accusateur pointé dans le dos. Un vrai face-à-face aurait permis de désamorcer ces attaques en quelques minutes, mais Le Corbeau demeurait insaisissable.
Dédé est même allé jusqu'à fouiller dans ma vie privée et a brandi la preuve supposée irréfutable de ma culpabilité: l'entreprise que j'aurais créée en parallèle de mon activité principale. Malheureusement pour lui, j'avais renoncé depuis longtemps à mes velléités entrepreneuriales et fermé boutique, et de toute façon, cela était autorisé dans mon contrat d'embauche.
La coupe était pleine et j'ai sommé ma hiérarchie, qui m'avait assuré de son soutien indéfectible, d'intervenir. L'image de première de la classe que je véhicule depuis l'école primaire est parfois très utile. Mes cow-boys sont arrivés, gentils mais sans envergure et ramollis par la bienséance hypocrite qui rythme la vie en entreprise. Dédé a refusé la confrontation directe et comme certains s'étouffent dans leur alcool, il a continué à s'étrangler dans sa frustration. J'ai alors décidé de me faire justice moi-même en utilisant l'arme la plus efficace que je connaisse, la plume. J'ai donc rédigé un long plaidoyer à destination des hautes instances en appuyant sur les formules qui dérangent par les temps qui courent: «harcèlement moral», «environnement nocif», «discrimination»...
Les Ressources Humaines ont pour une fois joué leur rôle et condamné l’attitude de Dédé. Acculé, ce dernier n'a pas eu d'autre choix que de démissionner. Difficile en effet d'assumer au grand jour sa vilenie. Maya 0,5/ Dédé 0. Victoire en demi-teinte en effet car j'aurais aimé le confondre publiquement. Mais je ne me plains pas car j'ai eu une promotion, je suis montrée en exemple et les bénévoles restants filent droit et sont aux petits soins pour moi. La vermine a été enrayée.
La morale de ce sombre épisode est qu'il ne faut rien banaliser ni rien lâcher. Mais tout cela est déjà loin et l'histoire s'écrit définitivement ailleurs. Zut les blablacar pour Barcelone sont complets. Je tente le stop…. Le matriarcat commence maintenant. # No Pasaran.