jeudi 5 novembre 2015

Le mal du siècle





















Camarades canards boiteux, malmenés par une époque agressive et anxiogène, où chacun est en permanence au bord du pétage de plombs, je vous ai compris. Hyperactivité, pression professionnelle et sociale, surexposition aux nouvelles technologies…. Les dangers et les ennemis ne sont plus les même qu’autrefois et nous assaillent insidieusement, modifiant notre manière de penser et de percevoir et causant des dommages irréversibles. Longtemps, je me suis crue insubmersible et capable de tout affronter, sans trembler ni me plaindre mais,  à mon tour, j’ai fini par craquer. Ma devise était : « Toujours plus loin, toujours plus haut ! »,  jusqu’à l’explosion en plein vol. Je vous rassure, je n’ai pas coulé comme le Titanic et n’ai pas non plus été internée en HP. J’ai juste eu une crise de spasmophilie de magnitude 200 sur l’échelle de Richter ! Cette « attaque » a surgi sans crier gare des tréfonds de mon inconscient et a été suivie par quelques semaines brumeuses où j’étais poursuivie par les stigmates de l’angoisse qui, telles des forces maléfiques, allaient et venaient, menaçant de rompre mon équilibre psychologique.

Pendant cette période, j’ai mené un combat quotidien et sans relâche contre des sensations de vertiges, picotements, bourdonnements d’oreilles et autres symptômes variés et perfides, qui, d’après ma psy et bonne fée, n’étaient que des chimères que je somatisais mais qui semblaient pourtant très réels. Moi qui déclarais au maximum une grippe bénigne tous les dix ans et boudais les blouses blanches, je suis devenue subitement plus hypocondriaque que Pépé et Woody Allen réunis, focalisant sur le moindre fourmillement inhabituel et de ce fait lanceur d’alerte. Je m’en suis remise totalement au corps médical pour me guider dans cette épreuve et gagner le repos de l’âme. J’ai ainsi subi une batterie de tests et scanné mon corps sous tous les angles et au final rien, je suis en parfaite santé, il s’agit juste d’un dérèglement ponctuel de mes neurones. Parmi les moments les plus pénibles, je retiendrai tout particulièrement le visionnage en temps réel de mon anatomie avec mon nom et mon âge qui clignotaient sur l’écran télé du centre de radiologie. Après de longues minutes passées dans la peau d’un condamné à mort, je me suis retenue de ne pas embrasser le médecin sur la bouche lorsqu’il a fini par lâcher le fameux : « RAS ! » libérateur.

Dans tout malheur, il y a du bon et j’ai le sentiment que cette expérience m’a aidée à grandir et à parvenir à une forme d’apaisement. Grâce à  l’adoption d’une meilleure hygiène de vie, j’ai retrouvé sveltesse et teint célestin que vous êtes déjà nombreux à m’envier ! Cela a cependant un prix et, désormais victime du marketing du bien être, je me ruine en produits bio et ai rejoint les rangs des aficionados du yoga qui recherchent la respiration perdue, dans l’atmosphère suffocante et saturée par l’odeur capiteuse du patchouli de gymnases bondés. Le Nirvana est proche !

J’ai aussi appris à davantage m’ouvrir aux autres. En effet, en interrogeant mon entourage, j’ai réalisé que je n’étais pas un cas isolé et que ces maux étaient très fréquents et touchaient plus particulièrement les femmes. Ouf, je n’étais pas folle et surtout pas seule. L’une de mes collègues et ma meilleure amie ont même fait preuve d'une solidarité absolue et déclenché la même pathologie. C’est sympa les filles, je sais que je suis une source d’inspiration pour vous, mais ce n’était vraiment pas la peine ! Je n’ai pas essayé non plus de vous refiler le bébé, en espérant m’en débarrasser. On  ne joue pas à « Chat » et la contamination n’est pas transférable par une simple tape sur l’épaule.

Nourrie par les récits de rescapées et bénéficiant d’une séniorité indiscutable, j’ai pu apporter à mes sœurs d’infortune de précieux conseils et faciliter leur appréhension du phénomène. Je ne suis pas allée jusqu'à leur revendre sous le manteau mon surplus d’anxiolytiques mais je leur ai fortement recommandé de s’armer de bananes et de chocolat noir, munitions revigorantes dont je ne me sépare plus même si elles sont réduites en bouillie au fond du sac à main, et surtout j’ai partagé avec elles ma théorie inspirée de  « ça », Le best-seller de Stephen King. Le roman raconte la lutte entre des enfants terrorisés devenus adultes et une entité maléfique connue sous le nom de « ça » qui prend la forme de leurs peurs les plus profondes et se présente sous la forme d’un clown sanguinaire. Pour arriver à faire disparaître « ça », les protagonistes doivent se convaincre qu’il n’est que le produit de leur imagination et ne peut pas leur faire de mal. Il suffit d’appliquer la même méthode pour venir à bout de l’anxiété. Vous avez peut être croisé récemment une automobiliste qui paraissait frappadingue car, agrippée au volant et en agitant la tête, elle répétait inlassablement : « Tout ceci n’est pas réel. Je ne risque rien. »…. Et bien c’était moi, non pas en proie à un nouvel accès de folie mais mettant en pratique le seul remède efficace contre l’angoisse. Je ne me féliciterai jamais assez d’avoir su faire preuve d’éclectisme en matière de culture et de ne pas avoir considéré la littérature d’horreur comme un genre mineur.

Il semble que la Bête a été domptée mais chut car les symptômes pourraient réapparaître. Ce n’est qu’un début, continuons le combat ! Cette chronique est dédiée à Cécile, Maya et Valou bien que cette dernière ait préféré opter pour une bonne vieille fracture du genou, à mes parents et mes proches dont le soutien a été très précieux et à l’équipe d’intervention de choc, Jacky et François, auxquels je voue une reconnaissance éternelle. No pasaran !