Le fait de revivre
dans sa ville natale est source de constantes joies quotidiennes, notamment car
cela occasionne de croiser au hasard des rues des visages familiers, parfois
presque méconnaissables, victimes impuissantes de manipulations perfides à
partir d’un logiciel de vieillissement de l’image. Qu’est-il arrivé au bogosse du
lycée qui capitalise désormais pour retrouver un peu de son sex-appel perdu sur la combinaison calvitie et embonpoint, remise
au goût du jour par François H, notre président bien-aimé ? La déchéance physique n’est cependant rien par rapport
à la dégradation morale. Quelle ne fut pas ma surprise en effet de reconnaître dans
ce gros macho en 4X4 qui cherchait à doubler mon vélo en hurlant :
« Dégage salope de bobotte !!! », le chef de file de l’époque de
mes premières manifs. Camarade, il semble que tu aies renoncé au port du keffieh
et à la défense des idéaux marxistes pour prendre un mauvais virage et
t’engluer de manière irréversible dans la beauferie.
Mais le plus drôle
- ou pas. Tout dépend du point de vue et de la capacité de chacun à prendre du
recul - est de tomber sur de « vieilles connaissances » filles. La
confrontation est rarement pleine de bienveillance et, d’un coup d’œil expert, on se jauge mutuellement et sans détour. Ainsi, j’ai revu il y a peu de
temps mon ennemie jurée de 5ème, la terrible Lucie P. Elle
trottinait péniblement le long du Canal du Midi, les cheveux gras, des poches
profondes sous les yeux et la cellulite débordant d’un jogging informe. La
scène se passait par un dimanche matin ensoleillé et une foule hétéroclite
encombrait les berges, s’échinant à faire un semblant d’exercice dans l’espoir
de compenser tant bien que mal ses excès et d’atteindre l’absolution par le
sport. La charte olympique précise que : "La pratique du sport est un
droit de l’homme. », et que : « Chaque individu doit avoir la
possibilité de faire du sport sans discrimination d’aucune sorte. » mais
la tolérance a des limites. Heureusement le reste de la semaine est réservé aux
vrais aficionados du running qui sont prêts à braver vent et tempêtes pour
avoir leur dose quotidienne d’endorphine.
Lucie P
tressaillit en me voyant. Il faut dire que j’avais fière allure, splendidement
moulée dans une tenue très près du corps, et que la légèreté de ma foulée était
démultipliée par une élégante queue de cheval qui se balançait suivant le
rythme de mes mouvements. Les êtres ne sont pas tous égaux face à l’héritage
génétique et Lucie P en prit brutalement conscience. Victoire par KO pour
Maya ! Galvanisée par cette brève rencontre, je pulvérisais ce jour-là mes
records de chrono et diffusais sur mon passage des ondes de plaisir qui ne
laissèrent pas indifférente la gent masculine en baskets.
J’ai commencé à
courir à l’aube de la trentaine, âge où l’on n’a plus le même enthousiasme pour
les virées en boîte de nuit et où l’on aspire à plus d’authenticité et à une
meilleure hygiène de vie, et, depuis, je ne me suis jamais arrêtée. La
sensation de bien-être que cela procure m’est indispensable et s’est avérée
être un précieux remède dans les moments difficiles. Je fais partie de ces
convertis improbables, shootés à l’hormone du bonheur, qui n’ont de cesse
d’aller toujours plus loin et toujours plus haut, en surenchérissant sur leurs
performances. Une addiction en chasse une autre. Les clubbers d’hier sont devenus
les runners d’aujourd’hui. Seuls quelques fêtards non repentis, dotés d’un
métabolisme étrangement résistant, continuent à mener les deux pratiques de
front. Chapeau les gars mais c’est quoi votre truc ?
Je suis désormais
totalement intégrée à la secte de ces drôles de gens, qui, de leur plein gré, mettent
leurs corps à la peine jusqu’à l’épuisement et se nourrissent de pâtes et de
bananes séchées. Notre communauté en pleine expansion est devenue la cible
privilégiée de campagnes de pub coup de poing nous vantant les vertus de
vêtements techniques hors de prix et de substances énergétiques suspectes,
destinés à nous rendre invincibles. Certains aspects dans l’image véhiculée sont
tout de même à repenser pour conquérir et fidéliser de nouveaux adeptes. Je
pense en particulier au classement par âge dans les courses officielles dicté
par le Fédération de l’Athlétisme qui fait des plus de 23 ans des seniors avant
de ranger définitivement les plus de 39 ans dans la catégorie vétérans. Difficile
de croire alors à des possibilités physiques repoussées à l’infini et à une
solution palliative aux affres du temps. Laissez-nous courir jusqu’au bout du
rêve et faites que la machine ne se rouille jamais ! Ce message est dédié à
tous mes amis joggeurs, randonneurs, marathoniens et trailers de tous horizons
et de tous poils mais aussi à Lucie P qui doit persévérer dans ses efforts. No
pasaran !