mercredi 5 mars 2014

Redemption run




Le fait de revivre dans sa ville natale est source de constantes joies quotidiennes, notamment car cela occasionne de croiser au hasard des rues des visages familiers, parfois presque méconnaissables, victimes impuissantes de manipulations perfides à partir d’un logiciel de vieillissement de l’image. Qu’est-il arrivé au bogosse du lycée qui capitalise désormais pour retrouver un peu de son sex-appel perdu sur la combinaison calvitie et embonpoint, remise au goût du jour par François H, notre président bien-aimé ? La déchéance physique n’est cependant rien par rapport à la dégradation morale. Quelle ne fut pas ma surprise en effet de reconnaître dans ce gros macho en 4X4 qui cherchait à doubler mon vélo en hurlant : « Dégage salope de bobotte !!! », le chef de file de l’époque de mes premières manifs. Camarade, il semble que tu aies renoncé au port du keffieh et à la défense des idéaux marxistes pour prendre un mauvais virage et t’engluer de manière irréversible dans la beauferie.
Mais le plus drôle - ou pas. Tout dépend du point de vue et de la capacité de chacun à prendre du recul - est de tomber sur de « vieilles connaissances » filles. La confrontation est rarement pleine de bienveillance et, d’un coup d’œil expert, on se jauge mutuellement et sans détour. Ainsi, j’ai revu il y a peu de temps mon ennemie jurée de 5ème, la terrible Lucie P. Elle trottinait péniblement le long du Canal du Midi, les cheveux gras, des poches profondes sous les yeux et la cellulite débordant d’un jogging informe. La scène se passait par un dimanche matin ensoleillé et une foule hétéroclite encombrait les berges, s’échinant à faire un semblant d’exercice dans l’espoir de compenser tant bien que mal ses excès et d’atteindre l’absolution par le sport. La charte olympique précise que : "La pratique du sport est un droit de l’homme. », et que : « Chaque individu doit avoir la possibilité de faire du sport sans discrimination d’aucune sorte. » mais la tolérance a des limites. Heureusement le reste de la semaine est réservé aux vrais aficionados du running qui sont prêts à braver vent et tempêtes pour avoir leur dose quotidienne d’endorphine.
Lucie P tressaillit en me voyant. Il faut dire que j’avais fière allure, splendidement moulée dans une tenue très près du corps, et que la légèreté de ma foulée était démultipliée par une élégante queue de cheval qui se balançait suivant le rythme de mes mouvements. Les êtres ne sont pas tous égaux face à l’héritage génétique et Lucie P en prit brutalement conscience. Victoire par KO pour Maya ! Galvanisée par cette brève rencontre, je pulvérisais ce jour-là mes records de chrono et diffusais sur mon passage des ondes de plaisir qui ne laissèrent pas indifférente la gent masculine en baskets.
J’ai commencé à courir à l’aube de la trentaine, âge où l’on n’a plus le même enthousiasme pour les virées en boîte de nuit et où l’on aspire à plus d’authenticité et à une meilleure hygiène de vie, et, depuis, je ne me suis jamais arrêtée. La sensation de bien-être que cela procure m’est indispensable et s’est avérée être un précieux remède dans les moments difficiles. Je fais partie de ces convertis improbables, shootés à l’hormone du bonheur, qui n’ont de cesse d’aller toujours plus loin et toujours plus haut, en surenchérissant sur leurs performances. Une addiction en chasse une autre. Les clubbers d’hier sont devenus les runners d’aujourd’hui. Seuls quelques fêtards non repentis, dotés d’un métabolisme étrangement résistant, continuent à mener les deux pratiques de front. Chapeau les gars mais c’est quoi votre truc ?
Je suis désormais totalement intégrée à la secte de ces drôles de gens, qui, de leur plein gré, mettent leurs corps à la peine jusqu’à l’épuisement et se nourrissent de pâtes et de bananes séchées. Notre communauté en pleine expansion est devenue la cible privilégiée de campagnes de pub coup de poing nous vantant les vertus de vêtements techniques hors de prix et de substances énergétiques suspectes, destinés à nous rendre invincibles. Certains aspects dans l’image véhiculée sont tout de même à repenser pour conquérir et fidéliser de nouveaux adeptes. Je pense en particulier au classement par âge dans les courses officielles dicté par le Fédération de l’Athlétisme qui fait des plus de 23 ans des seniors avant de ranger définitivement les plus de 39 ans dans la catégorie vétérans. Difficile de croire alors à des possibilités physiques repoussées à l’infini et à une solution palliative aux affres du temps. Laissez-nous courir jusqu’au bout du rêve et faites que la machine ne se rouille jamais ! Ce message est dédié à tous mes amis joggeurs, randonneurs, marathoniens et trailers de tous horizons et de tous poils mais aussi à Lucie P qui doit persévérer dans ses efforts. No pasaran !