jeudi 15 mars 2012

MISSING. Mais où est donc passé Pépé ?














On m’a demandé de faire un portrait de Pépé pour ses quarante ans, un moment important qui mérite d’être marqué dignement. C’est le deuxième de la bande à franchir ce cap douloureux et irréversible et la tradition du cadeau est déjà installée : une biographie express et un pack de toiles d’un néo Picasso local dont la côte devrait monter et qui constitue un bon investissement. Les murs de nos maisons menacent ainsi d’être ornés d’œuvres identiques, reflets d’un angoissant conformisme. Par pitié et avis aux personnes concernées : si j’atteins cet âge canonique, soyez créatifs ou tapez dans l’authentique ! Je veux un Picasso, un vrai. Mais nous parlons d’un futur très lointain et d’ici là les tendances auront radicalement changé.

Pépé, rappelez-vous, c’est mon ami capitaliste, boursicoteur surdoué et négociateur compulsif. Je lui ai d’ailleurs consacré plusieurs chroniques, narrant son combat quotidien contre la vie chère et ses meilleurs coups en matière d’achats à prix cassés. Pépé craignait que ces récits ne le rendent impopulaire mais c’est le contraire qui s’est produit. Au fil des semaines, le nombre de ses fans n’a cessé de croître, des vocations sont nées et tous veulent en savoir toujours plus sur les trucs et astuces de Pépé. Parmi les thèmes les plus consultés, on trouve : devenir rentier avec des bons de parrainage, bénéficier d’avantages clients sans jamais rien acheter, se faire inviter en toutes occasions, faire craquer un vendeur pour qu’il vous change un objet abîmé par un neuf, obtenir réparation de Free… Pourtant Pépé a failli récemment passer l’âme à gauche, se sentant trahi par ses pairs et par le Dieu Capital. Il voulait tout plaquer et renoncer à son destin tout tracé de banquier. Nous avons alors entamé une rééducation qui promettait d’être longue et périlleuse, à base de discours social et de comportement anti-consommation. Mais la période indignée de Pépé aura été de courte durée car il a depuis été recueilli par une entreprise concurrente aux méthodes encore plus offensives et projette de voter frileusement Bayrou aux prochaines élections présidentielles.

Alors que je pensais que la personnalité complexe de Pépé constituait une source inépuisable d’inspiration, je me heurtais soudain à la panne. Je séchais, victime du syndrome de la page blanche. Que dire de nouveau, sans avoir l’impression de répéter en boucle les mêmes anecdotes ?

Heureusement, Pépé m’a donné l’occasion de sortir de cette impasse. Le jour J, je me trouvais chez lui en compagnie de tous ses amis pour un grand raout surprise en son honneur. Malgré de profondes disparités, nous avions tenus à être tous présents pour célébrer l’anniversaire de notre Pépé bien aimé. Oui mais voilà, le principal intéressé manquait à l’appel. Nous avons alors tout essayé pour le faire venir : bruit du froissement des billets glissés dans sa tirelire, odeurs de plats non épicés qui mijotaient, signaux de fumée de marijuana, strip-tease improvisé de Michalak… Rien n’y a fait. Pépé restait introuvable. L’inquiétude a alors commencé à monter. En proie à une crise d’agoraphobie, Pépé avait-il craint d’avoir trop de monde dans son 3 pièces et préféré fuir? Prenant subitement conscience du temps qui passe, Pépé s’était-il réfugié dans une clinique de chirurgie plastique ? Chacun y allait de son scénario mais l’hypothèse la plus vraisemblable était celle du kidnapping, ce dont nous avons eu rapidement confirmation. Mon portable a sonné, c’était l’ancien chef de Pépé. Notre ami était entre les mains de ses ex-collègues qui voulaient l’obliger à revenir. En effet, depuis son départ, c’était la déroute générale. L’entreprise subissait de graves revers financiers mais le pire était le moral en berne des employés qui n’avaient plus personne à qui s’identifier. La seule solution était sa réintégration et un commando de volontaires avait été constitué pour une mission peut être sans retour.

Son ancien chef me demandait conseil car il ne savait plus quoi faire. Malgré une proposition financière au-delà de toute espérance, la non utilisation de la violence et la profusion de plats préparés par un chef étoilé, Pépé semblait faible et ne réagissait pas. Je lui expliquais alors qu’on pouvait travailler des années aux côtés de quelqu’un sans jamais vraiment le connaître. Pépé était un petit être fragile et sensible qui nécessitait une attention constante. Les preneurs d’otage avaient-ils tenu compte de ses innombrables allergies alimentaires (épices, sel, gingembre, échalotes….), pelé les tomates (très important), veillé à ce qu’il dorme seul dans le noir complet, pensé à son huile pour les cheveux, son masque au concombre et ses gélules anti-acidité, prévu le supplément réductions du catalogue des 3 suisses en cas d’insomnie, susurré à son oreille plusieurs fois par jour le mot « gratuit »… ? A mesure que j’énumérais mes recommandations, je sentais mon interlocuteur de plus en plus perplexe. Je promis d’envoyer une liste détaillée des consignes à respecter pour obtenir un Pépé rassasié et coopératif. Aux dernières nouvelles, ses ravisseurs ont craqué et veulent à tout prix le relâcher. C’est Pépé qui ne veut plus partir car il a développé une nouvelle pathologie : la maladie de stockholm. Feliz cumpleaños cariño!