mercredi 16 mai 2012

Restons groupés
















"Paris brisé, Paris martyrisé, mais Paris libéré !" J’ai vécu la chute de l’empire sarkozien et la consécration de l’homme providentiel, François H, par procuration et à distance car ce fameux dimanche 6 mai je me trouvais en Crète pour une mission secrète et hautement stratégique. Époque et nouvelles technologies obligent, le score est tombé en début de soirée non pas par la voix de Radio Londres mais par sms : « Sarko battu par KO. C’est bon tu peux rentrer ! ». Il faut dire que peu de temps après chacune des 3 dernières présidentielles, j’étais, volontairement ou portée par le hasard des circonstances, partie m’installer à l’étranger. Fini le maquis, la France va enfin redevenir une terre chaleureuse et hospitalière. Courage restons ! J’ai un peu regretté de ne pas prendre part à la liesse collective après l’annonce des résultats, zouker avec Yannick Noah, débattre du poids de l’image du père avec Tanguy Hollande ou défaillir à cause de ce trop-plein de bonheur telle une groupie de Claude François un soir de concert mais je suis condamnée au destin cruel des nomades apatrides. Déjà en 1998, lors de la victoire des Bleus, je vivais en Angleterre.

Mais revenons aux raisons mystérieuses qui m’avaient amenée en Crète à ce moment charnière de l’histoire de France. L’objectif était de contribuer au succès et au rayonnement durable de François H. Comme l’un de ses illustres homologues, Barack Obama, notre nouveau président a construit sa campagne autour de deux thèmes forts : le changement et la sanitude. On ne l’a pas vu courir sur une plage affichant de parfaites tablettes de chocolat, mais chacun a pu admirer son corps svelte trouvé ou retrouvé flottant dans des costumes désormais trop grands. François H a ainsi utilisé de façon subtile le culte de la minceur si fondamental dans nos sociétés rassasiées et vieillissantes. Grâce à sa « fonte » fulgurante, François H a eu des disciples de la première heure. Ainsi ma chère amie désormais rebaptisée Irène François qui en guise de repas de réveillon à Budapest, nous a imposé des changements drastiques dans nos choix alimentaires et concocté un menu à base de poireau bouilli et de salade fade. Il est vrai qu’après quelques expériences traumatisantes de dégustation de la gastronomie locale, nous n’avions pas beaucoup d’options. De cette aventure, un mouvement est né dont le cri de rassemblement proclamé le poing levé est : « We fight the fat ! ». D’un commun accord, nous avons décidé de ne pas capitaliser sur les spécialités hongroises dans le grand combat national contre le gras, par égard pour nos compatriotes. Ces mets subtils pourraient éventuellement être utilisés en cas de guerre bactériologique. Quoi de mieux en effet qu’une bouchée du fameux poulet fourré à la mie pour venir à bout des plus féroces envahisseurs.

Il ne nous restait plus alors qu’à explorer de nouveaux horizons culinaires. Je n’étais donc pas en Crète pour évaluer la situation de la dette grecque et savoir si la France devrait mieux suivre Athènes ou Berlin mais pour en savoir plus sur les vertus miraculeuses du fameux régime crétois. Cela fait des années que les médias nous bassinent avec la longévité exceptionnelle de ses habitants, leur éternelle jeunesse, leur sveltesse ou encore leur santé éclatante. Qu’en est-il vraiment, sachant que les mêmes bienfaits sont associés à la cuisine à la graisse d’oie, or, étant originaire du Sud-Ouest, je me permets d’émettre quelques réserves...

Comme je ne fais jamais les choses à moitié, je me suis inscrite à une cure de décrassage de printemps proposant une immersion complète dans le pays et une application stricte des cinq piliers d’une santé optimale : marcher, bouger, manger sain, se coucher tôt, boire de l’eau et encore de l’eau. Il m’arrive de suivre certaines de ces bonnes pratiques mais jamais de manière simultanée, d’où la nécessité d’être coachée et stimulée par un groupe. A mon arrivée, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que j’étais la seule fille. Mes consœurs, bien qu’ultra-préoccupées par ces questions, privilégient sans doute des méthodes plus douces (Duncan, Zumba, Botox…). Mais au final, c’est plus apaisant et donc plus sain un groupe de garçons car, retenus par une sorte de pudeur naturelle, ils ne risquent pas de vous agresser par un flux continu de paroles dès le petit déjeuner ou vous faire subir le récit détaillé et sanglant d’un accouchement aux forceps. Je ne cite personne mais vous savez sans doute à qui je fais référence.

Concernant la réputation d’excellente santé des crétois, force est de constater qu’il y a une légère distorsion entre le mythe et la réalité. Le pays compte certes beaucoup de personnes très âgées qui affichent une vigueur stupéfiante mais en même temps elles n’ont pas le choix car elles constituent les forces vives de la nation, la Crète qui se lève tôt, car ce sont elles qui vont au champ, servent dans les restaurants, portent les bagages… Cela doit être une coutume locale de faire trimer les vieux et un moyen pour le gouvernement de garder sous clé le dossier épineux des pensions de retraite. Les plus jeunes, moins actifs, ont plus de mal à garder la ligne car ils n’ont qu’à tendre la main pour piocher dans des plats savoureux et gorgés d’huile d’olive servis par portions gargantuesques. Le look Demis Roussos est d’ailleurs très en vogue chez les mâles grecs – barbe et tunique large- pour masquer les bourrelets superflus. Je ne m’en suis pourtant pas trop mal sortie : moins 500 grammes en une semaine ! En Crète, on trouve aussi une multitude de boissons saines parmi lesquelles la bière, fortement conseillée en cas de courbatures, et surtout la fameuse potion magique, le raki, souvent distillé de façon artisanale et servi en généreuses rasades, à tout moment de la journée. Il était impossible de résister car nos hôtes étaient toujours plus que convaincants, surtout pour des esprits faibles ! Et puis l’alcool réveille l’envie de fumer, les tournées s’enchaînent et c'est la fin définitive des bonnes résolutions. On se vautre dans le malsain et ça fait du bien !

Leur besoin irrépressible de festoyer m’a ainsi fait réfléchir. Les crétois sont las de cette austère sanitude qui leur rappelle les mesures strictes que leur impose leurs dirigeants, cataclysme économique oblige. Dionysos était un Dieu grec et leur vraie nature ressurgit. Ils ont envie de transgression, d’ivresse et de vin. Monsieur François H, vous devriez vous en inspirer. Votre prédécesseur se saoulait au jus d’orange et vous devez vous démarquer, en prônant la convivialité décomplexée. Forte d’une expérience significative dans ce domaine, je me permets de briguer le poste de Ministre du Temps Libre et des Apéritifs. Dans l’attente de vos nouvelles, no pasaran nunca mas !