jeudi 16 juillet 2009

Sur le divan de Madame B



















Madame B exerce le beau métier d’esthéticienne et c’est à elle qu’incombe la lourde tâche d’accompagner des centaines de femmes dans leur combat acharné contre l’ennemi de toujours : le poil. Mais il est impossible de résumer Madame B à sa seule profession. Au fil des années, elle est devenue une complice, une amie, une source d’inspiration et pour beaucoup d’entre nous, une légende vivante. A l’aube de la quarantaine, cette femme jusqu’alors restée au foyer a compris qu’un destin plus grand l’attendait et s’est engagée dans cette guerre sans merci. Ils doivent tous disparaître. No pasaran !

Lors de chaque séance, Madame B respecte le même rituel. Elle étale, tire, triture, arrache avec dextérité puis inspecte à la loupe le moindre millimètre de peau pour s’assurer qu’aucun élément disgracieux ne lui a échappé. Son salon est aussi propice à l’introspection et aux confidences. En effet, comment ne pas se sentir nue et vulnérable, les jambes en l’air pliées à 45 degrés, le souffle coupé pour ne pas penser à la douleur que va provoquer de manière imminente l’arrachage d’un coup sec ? Il ya beaucoup de choses que l’on dit, de secrets que l’on révèle dans ces moments extrêmes. Madame B est aussi un peu sorcière et lit l’avenir dans les poils comme d’autres dans le mare de café. J’émets tout de même quelques réserves quant à ses dons de voyance car où es-tu pygmalion fortuné qui doit changer ma vie ? Peut être avais-tu pris les traits d’un crapaud afin de tester la motivation de la princesse ? Ah le jeu cruel des apparences…

Certaines femmes cependant n’ont pas fait le choix des armes comme cette allemande entre deux âges rencontrée il ya quelque temps qui préfère garder ses poils, revendiquant l’égalité entre les sexes et le droit de faire comme les hommes. A ses yeux, l’épilation est une forme d’aliénation dictée par une société machiste qui ne voudrait voir que des poupées soumises. Dans les années 70, les militantes féministes brûlaient leurs soutiens-gorge; quant à mon interlocutrice, elle laisse les poils recouvrir son corps, affrontant le monde extérieur de manière naturelle. Tout au long de cet échange instructif de points de vue, je contemplais l’épais pelage de ses jambes et me demandais ce qu’en pensait son mari qui n’avait pas prononcé un mot. Subit-il cet acte de liberté ou en est-il l’initiateur sournois ? Une bonne couche de poils n’est-elle pas plus efficace que la burkha pour s’assurer que sa femme échappe à la convoitise des autres hommes ? Beurk. Au diable la parité. Au risque de passer pour une femme objet, je fais le choix de la cire, de la spatule et de la peau lisse.

L’innovation technologique nous a également fourni une nouvelle solution radicale, l’épilation au laser, mais pour rien au monde, je ne priverais Madame B et ses consœurs de leur gagne pain. Un outil froid et impersonnel ne peut remplacer une véritable aventure humaine. Au gré de mes voyages, j’ai même pu observer des différences notables dans les pratiques et rapporter un rapport ethnologique complet à Madame B. A Londres, les cabines sinistres installées au fond de salles de sport ont une hygiène plus que douteuse, et on s’interroge sur la provenance et la formation des « masseuses » qui proposent à la clientèle masculine la formule « complète ». Les « époileuses » québécoises prônent la communion avec la nature, fredonnent des chants indiens pour favoriser le réveil de la spiritualité et utilisent des substances bio nauséabondes, décrites comme infaillibles pour venir à bout des poils les plus tenaces. En République Dominicaine, l’ambiance est à la fête et la prestation se fait en rythme et en musique. Je défie quiconque de normalement constitué de parvenir à se détendre pendant un soin visage, alors que le bachata et le merengue résonnent à plein tube. Vive la France et vive Madame B. Son adresse est jalousement gardée et transmise par bouche à oreille à des personnes soigneusement triées sur le volet. Avis aux candidats à l’expérience : il y aura beaucoup de demandeurs mais peu d’élus !

dimanche 5 juillet 2009

Oh les filles, oh les filles…















La communication est une affaire de femmes. Chaque jour qui passe en apporte une nouvelle preuve, en particulier dans mon poste actuel. Mes collègues sont des femmes, ma chef est une femme et lorsque nous nous réunissons en séminaire national, on croirait être dans un meeting du MLF recomposé pour l’occasion ou aux Olympiades du club Tupperware. Toutes pour une et une pour Toutes ! Mort aux hommes ! No pasaran !

Ce type de rencontre peut aussi rapidement virer au cauchemar, même pour la représentante du « sexe faible » que je suis. Imaginez une trentaine de femmes rassemblées dans la moiteur d’un espace réduit. Après le rituel inévitable de l’évaluation de l’assistance sur les critères majeurs poids-tour de poitrine-marque de sac à main qu’exécute chaque participante avec application, le son monte si fort que l’on doit crier pour s’entendre. Ça piaille de tous les côtés. Chacune parle avec animation de choses futiles et inutiles, convaincue de captiver son auditoire. Ma collègue binôme me lance un regard traqué et semble sur le point de s’évanouir. Je l’invite à prendre de grandes bouffées d’air, lui rappelant que nous serons libérées dans quelques heures. Je songe en même temps avec effroi à la formation de cinq jours obligatoire programmée en mars. Une semaine entière toutes ensembles… L’angoisse me gagne à mon tour.

Je sais par expérience que ces grands moments fédérateurs imaginés par des directeurs de Ressources Humaines sadiques n’engendrent que des divisions durables et débouchent sur des guerres de clans sans fin. Je repère d'ailleurs très vite celles qui ne seront pas mes copines, notamment cette cagole de Nice, plus toute jeune même si elle essaie de dissimuler le temps qui passe à grands renforts de couches de fond de teint. En plus, elle a un regard dur et perçant. Mon binôme ne la trouve pas sympa non plus. Nous portons donc notre dévolu sur les représentantes de Bordeaux et Lyon, deux vieilles routières du métier qui sont stratégiquement positionnées à côté du bar et qui, l’alcool aidant, nous font des révélations fort utiles sur la face cachée de la boîte et les travers de nos consœurs. Et hop, encore un petit coup !

Messieurs, il y en a pour tous les goûts : des petites, des grandes, des rondes, des blondes, des rousses, des douces, des plates, des garces et notre réseau tentaculaire est présent dans toutes les régions de France. Le brouhaha de basse-cour est soudain interrompu par l’arrivée de notre reine, notre mère à toutes, notre Geneviève de Fontenay qui a renoncé à sa noble coiffe pour entrer dans le secteur public. Il faut que je pense à lui suggérer de choisir un hymne de campagne pour mieux haranguer les foules, sensuel à la Julio chantant : « Vous les femmes, vous le charme… », ou plus musclé façon Sardou : « Femmes des années 80, femmes jusqu’au bout des seins… ». A toi Geneviève !

Hélas la présentation de cette Geneviève sans chapeau se révèle monotone et interminable, ce que n’arrange pas le réveil forcé à cinq heures du matin. J’expérimente plusieurs stratégies de lutte contre l’endormissement : changer de position, croiser et décroiser les jambes, boire beaucoup d’eau, feindre de prendre des notes… L’heure du déjeuner arrive enfin. Le plan de table nous est favorable et nous retrouvons avec une joie non dissimulée nos nouvelles comparses de Bordeaux et Lyon. J’interroge alors la lyonnaise sur cette surreprésentation féminine pour le moins étrange. Habituée à la question, elle me répond sans sourciller : « Il ya eu un garçon une fois mais il a tenu deux jours. Ce type de mission nécessite d’être sur tous les fronts, or les hommes sont mono-tâches, c’est bien connu. » J’apprends donc qu’il ya des postes faits pour les femmes et qui leur sont réservés. Et si le sexisme dans le travail avait été inventé par les femmes ? La lyonnaise complète son argumentation : « Il faut savoir aussi user de ses atouts pour s’imposer. » En résumé, nous sommes des rabatteuses, dont la réussite dépend de notre capacité à gonfler les lèvres et bomber la poitrine. Avec ses airs de Super Nany castratrice, je me demande quelles sont les armes secrètes de cette lyonnaise. Cagoule, fouet et menottes ?

L’après-midi est encore plus pénible, principalement à cause de la combinaison dangereuse chaleur/ vin rouge. J’ai un instant la sensation de me retrouver sur les bancs du lycée, en train de subir un bourrage de crâne soit disant pédagogique. Alors que nous nous croyons définitivement condamnées, un commando composé exclusivement d’hommes surgit de nulle part pour mettre un terme à notre agonie. Il s’agit de l’équipe informatique venue nous livrer nos nouveaux ordinateurs. Les malheureux rasent les murs, tête basse, craignant sans doute de recevoir un mauvais coup ou une balle perdue. Ils doivent penser que nous sommes une sorte de société secrète qui prépare un soulèvement général pour que triomphe enfin la cause féminine. Hélas aucun des appareils ne fonctionne. Super Nanny me lance un regard désabusé comme pour dire : « Tu vois j’avais raison, même dans leur supposé domaine d’excellence, ils n’arrivent même pas à faire les choses correctement. » En effet, l’informatique est l’équivalent masculin du secteur de la communication : il n’ya que des hommes. Nous pourrions envisager une réflexion sur de possibles synergies communes. En même temps, je vois difficilement lesquelles, même si j’ai joué une fois à la PlayStation. Qui a dit que les opposés s’attirent ?