jeudi 6 août 2009

Oedipe Roi





















Parmi les faits marquants de ces dernières semaines, j'en retiendrai surtout un : le départ à la retraite de mon père. Sa sortie de scène a été moins médiatisée que celle de Johnny H mais ramenée au microcosme toulousain, elle a tout autant bouleversé les foules. S'inspirant des méthodes de leurs lointaines cousines argentines, les vieilles du quartier ont formé le groupe des « Grands-mères de la place Mage » et se réunissent tous les jours pour chanter les louanges de leur boucher favori, dont elles espèrent secrètement le retour. Certaines mères de famille, sans doute terrifiées à l'idée d'une attaque bactériologique imminente, ont stocké des kilos et des kilos de viande qu'elles traînaient péniblement chez elle chaque jour, sans faillir sous le poids de sacs de congélation trois fois plus lourds qu'elles. L'hypermédiatisation de l'épidémie de grippe A peut expliquer en partie ces mouvements d'hystérie collective mais ne faut-il pas plutôt y voir une peur panique du changement et de la disparition des repères familiers et rassurants ? D'autres habitants ont pris des résolutions plus radicales et fait voeux de végétarianisme. Nul n'est irremplaçable ou presque.

C'est aussi une page de l'histoire de ma famille qui se tourne, le bon vieux temps qui s'en va et on ne s'en fout pas. Mon père dit qu'il ne faut pas faire de sentimentalisme, ni être trop nostalgique mais je n'y arrive pas. C'est plus fort que moi, même après un stage de 6 mois dans une ambiance exécrable, il m'est arrivé d'avoir les larmes aux yeux en faisant mes adieux. Alors que dans son cas, il est question de 50 longues années passées dans un commerce précédemment tenu par mes grands-parents. Mon père, lui, a gardé le sourire jusqu'au bout et ne s'est pas laissé gagné par l'émotion intense et perceptible de ses clients. Comment a-t-il fait ? Le moment était pourtant venu de tirer sa révérence et les multiples manifestations de sympathie lui ont prouvé qu'il avait joué un rôle essentiel dans la vie de ces gens. A travers des actes quotidiens et simples, il a transmis du bonheur et des valeurs à toutes ces personnes, comme il l'a fait pour sa famille. Merci pour tout, Papa ! Ah OEdipe quand tu nous tiens ! Est-ce qu'un jour on arrête d'être l'enfant rieur ou l'adolescent boudeur pour se métamorphoser en adulte pour de vrai aux yeux de ses parents ?

Difficile, voire impossible d'échapper à l'héritage familial. Nos parents restent à jamais nos modèles et nos références et en prime en vieillissant, on leur ressemble de plus en plus, reproduisant inconsciemment leurs gestes et petites manies. J'en débattais d'ailleurs il y a quelques jours avec celui que je ne présente plus, Pépé le Terrible, pour qui la figure paternelle est aussi une source d'inspiration, mais sur des aspects un peu différents. En effet, à l'occasion d'une escapade à la mer, j'ai découvert une facette de la personnalité de mon vieil ami jusqu'alors inconnue : Pépé Fangio, le Roi de la Route et c'est « Papa qui lui a tout appris ». Samedi noir des départs en vacances, embouteillages monstres à certains endroits mais il en fallait plus pour décourager notre fou du volant. Beaucoup de personnes se transforment en conduisant, comme gagnées par un sentiment de toute puissance. C'est aussi l'occasion d'affirmer sa masculinité.

Ce jour là, Pépé m'a fait la totale : collages de voitures en faisant des appels de phare, insultes des femmes en voiture trop respectueuses du code la route, doublage à droite par les voies d'accès pour gagner 5 mètres, injures en tous genres adressées aux autres automobilistes qui ne pourront jamais le dépasser en vitesse et en style etc. Un serial chauffard sommeillait en lui et ne demandait qu'à faire son coming out. Je comprends enfin pourquoi son père se déplace toujours à bicyclette : il a épuisé son crédit de points et n'a plus le droit de rejouer ! Le mien de père a passé son permis sur le tard et a été l'un des précurseurs du scooter en ville, faisant ainsi un pied de nez à la toute puissante déesse Voiture. Conséquence inévitable de mon éducation : je n'ai jamais fait attention à ceux qui friment au volant de véhicules de marques dont je ne retiens jamais les noms.

Tout se joue avant cinq ans. Jeunes parents, prenez garde, rongez votre frein et levez le pied car les conséquences pourraient être irréparables pour Junior qui gazouille sur son siège bébé mais ne perd pas une miette du spectacle !