mercredi 2 septembre 2020

Respire

 











« Et ça continue encore et encore. C’est que le début d’accord, d’accord... » Ce refrain de l’incontournable troubadour du Sud-Ouest, Francis Cabrel, me poursuit comme un air entêtant. Après 55 jours de confinement strict et une libération par étapes, la pénitence semblait suffisante mais, pas de repos pour les guerriers, le virus revient en force.

 

La parenthèse estivale n’a rien eu d’enchanteur. Le spectre de l’épidémie a continué de nous hanter avec toutes les incertitudes associées. On n’a eu de cesse d’hésiter à jouer à saute-frontière, danser collés-serrés ou juste s’étreindre. Humains trop humains, les jeunes se sont plus relâchés, mus par un irrépressible besoin de vivre.

 

Faute de boîtes de nuit, c’est le règne des free parties. De nombreuses soirées clandestines sont organisées, en privilégiant les coins paumés pour mieux se cacher des autorités et contourner la censure. Le tour de Creuse à vélo effectué au mois d’août avait pour ambition secrète de tester ces expériences interdites mais, on a eu beau laissé traîner nos oreilles dans des villages tombés aux mains d’alternatifs, rien n’a filtré. Trop vieux, trop socialement établis pour être invités à une communion électronique en pleine nature. Méfiez-vous cependant des apparences ! Notre génération dite X a connu la vie sans Internet mais aussi les premières raves, et notre fièvre festive est restée intacte !

 

Avec la rentrée, l’heure du châtiment a sonné. Mon département de résidence est classé rouge, non pas par rapport au bord politique des habitants, mais à cause du nombre conséquent de personnes infectées. Le port du masque est obligatoire partout et en permanence. Comble de l’absurde, la mesure concerne aussi les cyclistes, les joggeurs et les motards.

 

Les adeptes de la course à pied ont ainsi le choix entre renoncer à la pratique et grossir, se soumettre aux consignes et mourir par suffocation ou profiter de la fenêtre de tir entre 3h et 7h du matin et alimenter la rubrique des faits divers sordides du canard local. En mon âme et conscience, je prends le risque de rester à visage découvert en faisant mon footing, le masque à portée de main, prête à dégainer en cas de contrôle. Ce n’est pas de l’insoumission mais du bon sens et qu’on ne me parle pas des maudits français qui ne respectent rien.

 

Le masque peut tout de même être retiré pour satisfaire certains besoins essentiels : boire, manger et fumer. Chacun déterminera son ordre de priorités. Une vieille dame croisée dans un train régional avait détecté la faille dans le dispositif et mis au point une astucieuse stratégie. Pendant toute la durée du trajet, elle a mangé des cracottes avec une lenteur étudiée et sous l’étroite surveillance de la contrôleuse qui trépignait de ne pas pouvoir la verbaliser. Deux heures de voyage, 4 cracottes, arrêt sur image et pied de nez à l’ordre établi. Mamie Cracotte n’a pas poussé la provocation jusqu’à allumer une cigarette sur le quai de la gare. La tentation était pourtant grande mais des « Brigades de Santé » auraient pu rabrouer sans ménagement l’indomptable grand-mère.

 

Le masque est devenu un accessoire incontournable dont on doit supporter l’encombrante omniprésence. Il faut adapter ses armes de séduction et miser sur le brillant du cheveu et la magie du regard. Sale temps pour les yeux de poisson mort et les fronts marqués par la ride du lion.  La chaîne Marionnaud a tout de suite réagi et propose des promotions sur les mascaras et les ombres à paupières afin de révéler notre beauté intérieure. La nième rediffusion d’Angélique Marquise des Anges offre aussi des tutoriels précieux pour peaufiner les œillades coquines et faire tomber les masques et les pantalons.

 

Un nouveau confinement se profile et il s’agit d’anticiper et d’éviter de subir la situation. L’objectif est de ne pas se retrouver cloîtrer dans nos appartements en ville mais de tenter une aventure communautaire à la campagne, en misant sur l’autosuffisance et le retour à la terre. Un petit groupe est déjà constitué et il reste des places. On hésite encore entre l’Ariège dans la lignée des hippies de 68 et une île bretonne pour la touche Dix Petits Nègres. Les candidats potentiels sont invités à se manifester avant le 15 septembre pour un embarquement immédiat, en précisant leur scénario de prédilection : Autumn of Love ou Murder Party. No Pasaran !