Camarades canards boiteux, malmenés par une époque agressive et anxiogène, où chacun est en permanence au bord du pétage de plombs, je vous ai compris. Hyperactivité, pression professionnelle et sociale, surexposition aux nouvelles technologies…. Les dangers et les ennemis ne sont plus les même qu’autrefois et nous assaillent insidieusement, modifiant notre manière de penser et de percevoir et causant des dommages irréversibles. Longtemps, je me suis crue insubmersible et capable de tout affronter, sans trembler ni me plaindre mais, à mon tour, j’ai fini par craquer. Ma devise était : « Toujours plus loin, toujours plus haut ! », jusqu’à l’explosion en plein vol. Je vous rassure, je n’ai pas coulé comme le Titanic et n’ai pas non plus été internée en HP. J’ai juste eu une crise de spasmophilie de magnitude 200 sur l’échelle de Richter ! Cette « attaque » a surgi sans crier gare des tréfonds de mon inconscient et a été suivie par quelques semaines brumeuses où j’étais poursuivie par les stigmates de l’angoisse qui, telles des forces maléfiques, allaient et venaient, menaçant de rompre mon équilibre psychologique.
Pendant cette
période, j’ai mené un combat quotidien et sans relâche contre des sensations de
vertiges, picotements, bourdonnements d’oreilles et autres symptômes variés et
perfides, qui, d’après ma psy et bonne fée, n’étaient que des chimères que je
somatisais mais qui semblaient pourtant très réels. Moi qui déclarais au
maximum une grippe bénigne tous les dix ans et boudais les blouses blanches, je
suis devenue subitement plus hypocondriaque que Pépé et Woody Allen réunis,
focalisant sur le moindre fourmillement inhabituel et de ce fait lanceur
d’alerte. Je m’en suis remise totalement au corps médical pour me guider dans
cette épreuve et gagner le repos de l’âme. J’ai ainsi subi une batterie de
tests et scanné mon corps sous tous les angles et au final rien, je suis en
parfaite santé, il s’agit juste d’un dérèglement ponctuel de mes neurones.
Parmi les moments les plus pénibles, je retiendrai tout particulièrement le
visionnage en temps réel de mon anatomie avec mon nom et mon âge qui
clignotaient sur l’écran télé du centre de radiologie. Après de longues minutes
passées dans la peau d’un condamné à mort, je me suis retenue de ne pas
embrasser le médecin sur la bouche lorsqu’il a fini par lâcher le fameux :
« RAS ! » libérateur.
Dans tout malheur, il y a du bon et j’ai le sentiment
que cette expérience m’a aidée à grandir et à parvenir à une forme
d’apaisement. Grâce à l’adoption d’une meilleure
hygiène de vie, j’ai retrouvé sveltesse et teint célestin que vous êtes déjà
nombreux à m’envier ! Cela a cependant un prix et, désormais victime
du marketing du bien être, je me ruine en produits bio et ai rejoint les rangs
des aficionados du yoga qui recherchent la respiration perdue, dans
l’atmosphère suffocante et saturée par l’odeur capiteuse du patchouli de
gymnases bondés. Le Nirvana est proche !
J’ai aussi appris à davantage m’ouvrir aux autres. En effet,
en interrogeant mon entourage, j’ai réalisé que je n’étais pas un cas isolé et
que ces maux étaient très fréquents et touchaient plus particulièrement les
femmes. Ouf, je n’étais pas folle et surtout pas seule. L’une de mes collègues
et ma meilleure amie ont même fait preuve d'une solidarité absolue et déclenché la même pathologie. C’est sympa les filles, je sais que je
suis une source d’inspiration pour vous, mais ce n’était vraiment pas la
peine ! Je n’ai pas essayé non plus de vous refiler le bébé, en espérant
m’en débarrasser. On ne joue pas à
« Chat » et la contamination n’est pas transférable par une simple
tape sur l’épaule.
Nourrie par les récits de rescapées et bénéficiant d’une séniorité
indiscutable, j’ai pu apporter
à mes sœurs d’infortune de précieux conseils et faciliter leur appréhension du
phénomène. Je ne suis pas allée jusqu'à leur revendre sous le manteau mon
surplus d’anxiolytiques mais je leur ai fortement recommandé de s’armer de
bananes et de chocolat noir, munitions revigorantes dont je ne me sépare plus
même si elles sont réduites en bouillie au fond du sac à main, et surtout j’ai
partagé avec elles ma théorie inspirée de « ça », Le best-seller de Stephen King. Le roman raconte la lutte entre des
enfants terrorisés devenus adultes et une entité maléfique connue sous le nom
de « ça » qui prend la
forme de leurs peurs les plus profondes et se présente sous la forme d’un clown
sanguinaire. Pour arriver à faire disparaître « ça », les protagonistes doivent se convaincre qu’il
n’est que le produit de leur imagination et ne peut pas leur faire de mal. Il
suffit d’appliquer la même méthode pour venir à bout de l’anxiété. Vous avez peut être croisé récemment une automobiliste
qui paraissait frappadingue car, agrippée au volant et en agitant la tête,
elle répétait inlassablement : « Tout ceci n’est pas réel. Je ne
risque rien. »…. Et bien c’était moi, non pas en proie à un nouvel accès
de folie mais mettant en pratique le seul remède efficace contre l’angoisse. Je
ne me féliciterai jamais assez d’avoir su faire preuve d’éclectisme en matière
de culture et de ne pas avoir considéré la littérature d’horreur comme un genre
mineur.
Il semble que la Bête a été domptée mais chut car les
symptômes pourraient réapparaître. Ce n’est qu’un début, continuons le combat !
Cette chronique est dédiée à Cécile, Maya et Valou bien que cette dernière ait
préféré opter pour une bonne vieille fracture du genou, à mes parents et mes proches
dont le soutien a été très précieux et à l’équipe d’intervention de choc, Jacky
et François, auxquels je voue une reconnaissance éternelle. No pasaran !