mardi 15 décembre 2020

Y aura-t-il de la dinde à Noël ?

 













Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant dans lequel, simplement vêtue d'un pyjama et en chaussettes, je tente de gravir à contre-courant une piste de ski. La réalité est sur le point de dépasser la fiction et je ne serai bientôt plus seule à me débattre dans ce cauchemar récurrent. Pour favoriser un déconfinement maîtrisé et éviter de reproduire les erreurs consécutives à la première vague de la crise sanitaire, le gouvernement autorise la réouverture des stations de ski pour les fêtes de fin d'année, mais sans la réactivation des remontées mécaniques, provoquant une levée de bouclier dans les rangs de ceux qui vivent de l'or blanc.

Des esprits peu compatissants soulignent que les professionnels de la montagne ne devraient pas se plaindre car la neige n'est jamais au rendez-vous à Noël et qu’ils feraient mieux d’encaisser les aides de l'État, sans broncher. Certes mais, par un coup ironique du destin, il neige déjà à basse altitude et la saison s'annonce exceptionnelle.

Bienheureux les convertis aux raquettes ou au ski de randonnée, qui, grâce à leur rapport retrouvé à la nature, loin du béton et du bitume, pourront rayonner en toute autonomie. Les autres seront condamnés à faire des tours de parking, sans même avoir la consolation de l'après-ski. Les bars et les restaurants restent fermés et une bière à emporter n'a pas les mêmes vertus réparatrices que si elle est consommée au coin du feu.

Cette mesure n'est qu'un exemple de l'incohérence dans laquelle nous baignons et qui provoque la désorientation générale. Bienvenue en Absurdie.

Ma non essentialité est confirmée puisque je suis de nouveau barricadée malgré moi en 100% télétravail, avec interdiction formelle de me rendre au bureau ou d'effectuer des rendez-vous extérieurs. "C'est pour votre bien. Votre santé avant tout." Mon œil car quelques jours avant le reconfinement, je frôlais le blâme pour avoir refusé d'effectuer un déplacement inutile en pleine reprise de l'épidémie. Je ne fus pas la seule à m'insurger et il en résulta une chasse aux sorcières digne des pires moments du maccarthisme. On veut bien être de la chair à canon sacrifiée sur l'autel du Grand Capital mais on demande juste à comprendre.

L'équipe est dispersée dans toute la France et cela va faire un an que nous ne sommes pas vus. Nous échangeons exclusivement par téléphone, sans vraiment savoir qui est au bout du fil. Certains ont pu changer de sexe, quitter le pays ou se faire remplacer par leur ado précoce.

A l'exception des misanthropes pour lesquels le contexte actuel est du pain béni, les hommes sont des animaux épris de collectif et stimulés par les interactions sociales. Le distanciel à outrance finit par taper sur le système et il existe des signaux de faiblesse caractéristiques : difficulté d'allocution, identification à une Intelligence Artificielle, agressivité numérique... Les spécialistes préconisent de limiter le télétravail à 3 jours par semaine pour éviter des dommages collatéraux irréversibles.

Prenant en compte ces différents paramètres et toujours soucieuse de notre bien-être, la Direction a décidé de nous accorder une liberté conditionnelle à partir du 15 décembre. Nous pourrons nous déplacer une fois par semaine, sous réserve de moult validations par mail et concertations de couches de chefaillons.

Cette date marque aussi l'élargissement de notre zone de shopping, seule activité autorisée et unique divertissement potentiel. J'ai désappris à danser la salsa, la magie du cinéma ne fonctionne pas sur petit écran et j'ai versé une larme devant la porte close de mon pub préféré.

On va peut-être sauver Noël et la frénésie mercantile qui l'accompagne mais à quel prix ! Ce sont des êtres à bout de course qui vont se retrouver au pied du sapin. Les astres prédisent une déferlante de drames familiaux, suicides collectifs et Festen en tout genre. Le Couteau, La Dinde, la Bûche et le Xanax. La combinaison fonctionne aussi dans le désordre. Joyeux Noël ! No Pasaran !