lundi 22 juin 2009

Ojala















L’origine de cette expression, difficilement traduisible en français, remonte certainement à la période d’occupation de l’Espagne par les maures. « Ojala » exprime l’espoir, le souhait et l’espérance. Je ne sais pas si Dieu existe mais il semble que ma bonne étoile soit de retour. Pied de nez involontaire au pessimisme ambiant : je viens de trouver un job en province, en un mois, sans piston et sans vendre mon âme au diable. Ce changement de situation inattendu explique mon silence de ces dernières semaines mais je n’abandonne pas l’antenne pour autant. La lutte continue mais cette fois de l’intérieur. No pasaran.

Par une étrange ironie du sort, je me retrouve porte-parole d’une banque pas tout à fait comme les autres car elle défend des valeurs d’humanisme et de solidarité. Il s’agit de transmettre l’idée que le banquier est un ami mais sans fredonner des chansons grotesques comme ont pu le faire certains concurrents peu scrupuleux pour mieux dissimuler de sournoises tentatives de manipulation. Du moins, c’est ce qui est écrit sur la brochure et ce que mes nouveaux collègues clament en cœur, en jetant des poignées de fleurs. Je reste cependant sur mes gardes, maintenant une distance critique salvatrice. J’ai d’ailleurs su résister à la formation « lavage de cerveau » au siège de la société, en région parisienne.

Cela faisait longtemps que je n’avais pas fréquenté ce genre d’établissement. Un simple coup d’œil à l’organigramme suffit à comprendre la toute puissance du mâle, aucune femme dans les postes clés. L’égalité des chances est prônée pour tous mais pas forcément pour toutes. Les journées passent et se ressemblent avec leur rituel immuable : badgeuse, heures de présences obligatoires dans son coin d’open space aliénant décoré d’une plante de verte et de photos de famille, cantine avec les collègues où l’on commente avec animation les dernières avancées du dossier Bidul, son bonheur conjugal sur un mode comparatif ou sa chance de travailler à l'extérieur de Paris, ce lieu de perdition. J’ai un peu lissé mon itinéraire personnel pour tranquilliser les esprits et gagner ma place dans la secte mais l’artifice a des limites. Tout en feignant de prendre part au débat, j’implorais une instance divine charitable de mettre fin à mon supplice. En effet, ma vraie nature a vite repris le dessus et la certitude que je les quittais dans deux jours pour redevenir un électron libre, très loin dans le Sud de la France, sans horaire et sans contrainte, m’aidait à tenir. A la fin de chaque journée, je sautais dans le premier RER direction Paname, sans me retourner. Mon fidèle comité de libération m’attendait à la ligne de démarcation, à grands renforts de remarques désabusées et sarcastiques sur ces gens de banlieue. Ouf, j’étais sauvée.

Il peut y avoir plusieurs vies dans une vie et je suis d’en train d’écrire un nouveau chapitre, celui du retour aux sources, après moults tours et détours, ici et ailleurs. La Ville Rose semble d’ailleurs faire le V de la Victoire puisqu’elle célébrait ce weekend à la fois l’été, la fête des pères, la fête de la musique et la gay pride. Rien de nouveau sous le soleil mais une convergence exceptionnelle des planètes.

La fête battait son plein samedi dernier alors que la communauté gay et ses fidèles supporters paradaient dans les rues de la ville. Fuyant l’agitation de la foule, j’ai trouvé refuge dans un grand magasin climatisé, bien décidée à peaufiner ma stratégie d’attaque pour les soldes d’été. Ô surprise, il y avait déjà de nombreuses démarques et seules les vraies initiées étaient déjà en piste. Rapidement, j’étais étourdie par le tourbillon des pastilles bleues, jaunes, vertes, rouges, prometteuses de bonnes affaires. J’interrogeais alors un vendeur désœuvré et un tantinet efféminé sur leur mystérieuse signification. Ce dernier m’a répondu sur un ton agacé, en prenant de grands airs, comme si je posais une question de blonde. J’ai alors répliqué, sans perdre mon aplomb : « Désolée Chéri, je sais que tu préfèrerais être torse nu sur un char avec tes copines mais il faut rester poli et professionnel en toutes circonstances. En plus, je suis de votre côté depuis toujours, surtout en ce moment où je pratique la solidarité gay au quotidien ! ».

De toute façon, ce genre de célébration détone un peu en province et surtout, the Queen of the Queens, la Grande Dada, qui aurait pu donner une vraie consistance à l’évènement, avait été appelée d’urgence hors de la ville pour défendre une cause plus glamour. Reviens nous vite Néné ! La France a besoin de tes talents pour retrouver une touche de folie et briller de mille et une paillettes. We never have enough hats, gloves and pairs of shoes…

jeudi 4 juin 2009

I have a dream


















Elections obligent, l’Europe est sur toutes les lèvres ou presque. A défaut de pouvoir nous traîner aux urnes par les cheveux, les états concernés essaient de réveiller, à grand renfort médiatique, l’euro-citoyen qui sommeille en chacun de nous, en vain. Réaction mollassonne des publics concernés pour lesquels, cette « société des nations » nouvelle génération reste une organisation trop abstraite et bureaucratique. Et puis c’est quoi l’Europe pour nous, sinon un bailleur de fond aux ressources apparemment inépuisables qui sponsorisent des séjours de vacances Erasmus ou financent la construction de « moulins à vent » en Castille ?

Je fais partie de ces doux rêveurs qui aspirent à une Europe sociale et solidaire où tous les pays se prendraient par la main pour s’élancer dans une farandole endiablée, multicolore et pluriculturelle. « Free hugs » pour tous et mélangez-vous pour ne faire plus qu’un ! Je sais, il est temps de se réveiller et de dire adieux au monde merveilleux des Bisounours. Comment on s’embrasserait d’ailleurs : en se faisant 2, 3 ou 4 bises comme chez nous, à l’anglaise par une virile accolade, à pleine bouche de manière vorace suivant la technique des latins lovers italiens ou bien par un frôlement chaste et presque imperceptible venu des plaines glacées du Nord de l’Europe ? La question épineuse du baiser n’est qu’un exemple parmi des milliers d’autres destiné à souligner la complexité de cette alliance et l’ampleur du chantier.

Pourtant l’Europe, cette vieille dame très digne qui s’est relevée de tant de tragédies, est quelque part notre grand-mère à tous qui nous manque terriblement lorsque nous nous éloignons d’elle pour partir à la conquête de lointaines Amériques. Nous, européens, partageons un passé commun, une histoire collective plus jalonnée de querelles incessantes que de moments de paix. Petite histoire dans la grande Histoire, mon ultime expérience de collocation avec une allemande, Claudia, a constitué une étape déterminante dans le processus de réconciliation franco-allemand, le tout en Espagne.

Amies d’aujourd’hui, ennemies d’hier, nous avons su établir une cohabitation sereine basée sur la confiance et le dialogue. Pourtant il est arrivé que, confrontées à la médiocrité de la télévision espagnole et grâce au miracle des nouvelles technologies, nous savourions des instants de pure non communication, chacune avec casque Audio et ordinateur portable, à visionner nos programmes favoris, culturellement caractéristiques de nos origines respectives et impossibles à interchanger : Germany next's top model pour elle et Clara Sheller pour moi. Claudia aimait souligner qu’elle avait téléchargé légalement l’émission en podcast, en guettant ma réaction comme si elle me soupçonnait d’avoir rompu notre pacte de non agression. En effet, j’avais promis d’arrêter les téléchargements pirates, sous peine de terribles représailles. Claudia m’avait raconté que de nombreuses personnes avaient été arrêtées de manière arbitraire dans son pays et qu’on ne les avait plus jamais revues. Je n’étais certes pas restée indifférente à ces histoires dignes de la période la plus noire de la dictature de Pinochet mais j’aime vivre dangereusement… La rigueur germanique confrontée à la désobéissance civile typiquement française. Pardon Claudia, j’avoue je n’ai pas dit toute la vérité et rien que la vérité, mais je décline toute responsabilité quant à la chute malencontreuse de la barre de fer par la fenêtre qui a bien failli tuer la vieille peau du rez-de-chaussée.

A l’occasion de cette « aventure européenne », j’ai également pu constater à mes dépends l’inexactitude du mythe de la libre circulation des travailleurs. Dans une ambiance très kafkaïenne, j’ai passé mes premières semaines en Espagne à être ballotée d’une administration à une autre, toujours en quête d’un nouveau formulaire destiné à « régulariser » ma situation, pour finalement atterrir dans le sous-sol d’un commissariat sinistre, perdue au milieu d’une foule d’anonymes avec l’envie de hurler : « Je ne suis pas un numéro, je suis un être humain. ». Soudain l’espoir est revenu sous la forme d’un vague écriteau sur une porte indiquant : « Pour les européens, c’est ici que ça se passe ». Les candidats étaient divisés en deux catégories et j’ai abandonné à leur triste sort mes camarades d’infortune, non labellisés, et pour lesquels l’attente promettait d’être interminable. J’ai alors pénétré dans une pièce aveugle où était assis un petit bonhomme déprimant et déprimé, sorte de Woody Allen mais sans la lueur perverse dans le regard. Ses parents devaient le battre quand il était enfant. J’avais presque envie de le prendre dans mes bras pour lui dire que tout irait bien désormais mais je me suis vite ravisée, agacée par son zèle de fonctionnaire de la Stasi. Il ne comprenait pas pourquoi je n’avais pas deux noms de famille, ni dix prénoms de baptême comme tout bon espagnol et puis il n’a pas été sensible à mon humour lorsque j’ai dit que je demandais l’asile politique suite à la prise du pouvoir par l’Empereur Nicolas Ier, en France. Il faut dire que tout ce qui peut rappeler de près ou de loin l’époque de Napoléon est un sujet très sensible encore de nos jours en Espagne. Nos chers voisins ont la rancune tenace et nous en veulent encore pour cette intrusion momentanée sur leur territoire. Tous à vos manuels d’histoire ! Woody a finalement tamponné, en y mettant beaucoup de mauvaise volonté, mon passeport pour la liberté. Heureusement que j’ai eu droit à un accueil VIP.

La route de la construction européenne est longue et semée d’embûches. L’avenir de l’Union semble bien incertain. Il nous faudrait un homme providentiel, une figure emblématique fédératrice, notre Obama à nous. Mais j’y pense, bien sûr ! – – K – M (prénom masculin en cinq lettres) Président ! Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite…