mardi 23 mars 2010

Les nouveaux gourous




















Il y a un an je démarrais ce blog avec en toile de fond la crise économique mondiale qui telle une araignée malfaisante s’abattait sur ma vie. Depuis, je suis sortie du dédale sans fin des couloirs du Pôle Emploi et passée du côté lumineux de la Force, celui des gens stables et privilégiés qui peuvent regarder l’avenir avec confiance et sérénité. Faut-il en conclure que la crise n’est plus qu’un mauvais souvenir ? La réponse est non. Le confort matériel n’apporte qu’un réconfort partiel et la quête de sens persiste, voire s’intensifie. Pur produit de la génération X ou Y, je tâtonne dans l’âge adulte, me demandant comment tout a pu passer si vite. Stop ! Laissez-moi un peu de temps. Je ne suis pas encore prête à être responsable, propriétaire, mère de famille, amie des bêtes …

Dieu est mort depuis longtemps, les politiques font du rase-motte et le lien humain disparaît au profit de dialogues de sourds par iphones interposés. Vers qui peuvent alors se tourner les brebis égarées dans mon genre, afin de trouver une oreille attentive et bienveillante ? Les options sont multiples et de nouveaux modèles de « guides spirituels » jaillissent de toutes parts.

« Dis-moi ce que tu rêves, je te dirai qui tu es…. », m’a susurré mon psy tout neuf, lors de notre premier entretien. Et oui, après quelques hésitations, j’ai fini par suivre la tendance générale. Maître Woody avait bien annoncé dès les années 80 que nous finirions tous sur le divan.
Je peux ainsi parler librement de ma terreur bizarre du CDI, source de cauchemars inracontables, de mes choix professionnels paradoxaux : j’encourage tous les jours des gens à épargner et à investir alors que, nomade devant l’éternel, je vis au jour le jour et fuis la sédentarisation comme la peste. En même temps, je me demande comment mon interlocuteur arrive à s’intéresser aux petites misères déballées par chacun toutes les vingt minutes. Car ça défile dans la salle d’attente. C’est comme au marché ou chez le dentiste. On croise ses voisins, ses collègues et même ses amis. On feuillette Voici avec une désinvolture feinte. Ce rendez-vous devient un prétexte comme un autre : « je ne peux pas, j’ai psy ». L’ambiance est rassurante aussi : point de dangereux schizophrènes oscillant sur leur chaise, les autres patients ont l’air étrangement normaux, enfin presque… Une femme sans âge aux longs cheveux fillasses déroge à la règle. On dirait Samara, l’enfant maléfique du film Le Cercle, qui aurait grandi. Elle transporte un énorme cabas qui est, j’en suis sûre, remplie de cassettes vidéos ensorcelées. De toute façon, l’époque du VHS est révolue. Plus personne, à part mes parents, ne possède encore de magnétoscope. Vade retro, Satanas !

Un autre phénomène résulte de la recherche du bien-être à tout prix et de l’harmonie avec soi : le développement du coaching. Amour, beauté, sport, travail, on peut être guidé dans tout mais gare aux amateurs et aux charlatans. En effet, au milieu de professionnels sérieux, se glissent de nombreux prédicateurs autoproclamés dont l’influence peut être plus que néfaste. J’ai ainsi appris avec stupeur et effroi que Denise L, informaticienne déchue et syndicaliste aigrie trimballant un trop plein de rancœurs et de frustrations tenaces, s’est improvisée coach, au moment le plus fort de sa dépression. Ma chère LN Stein est tombée entre ses griffes mais heureusement, endurcie par l’Intifada et la vie au kibboutz, a su résister au lavage de cerveau. C’est curieux cette idée de vouloir accompagner les autres alors qu’on est soi-même au plus mal. Denise L est pourtant loin d’être un cas isolé. Il y a aussi cette coach en image qui ressemble à un croque mort anorexique, cette soi-disant pro du recrutement qui finit par être orientée et soutenue par ses propres disciples ou encore cette grande prêtresse de la gymnastique de relaxation qui couvre d’insultes les malheureux retardataires. Cette galerie de névrosés irrécupérables me fait soudain prendre conscience que tout ne va pas si mal pour moi. Je me vois bien d’ailleurs dire à mon psy avec une lucidité très allenienne : « Des années ont passé... J'ai toujours un psy... et six psys, sept boulots, quatorze pays et trois maris plus tard, je n'ai toujours rien réglé dans ma vie. »