jeudi 28 mai 2020

Les Chemins de la Liberté



Le gouvernement a entrouvert nos cages depuis deux semaines. Certains commerçants dont l'activité n'avait pas été estimée essentielle dans la situation d'urgence ont pu remonter le rideau métallique de leurs boutiques et essayent de sauver leurs affaires. Les salons de coiffure ne désemplissent pas. Pas de repos pour les braves. Ça shampouine sec, rattrape les coupes mulets et camoufle les signes du temps qui n'est plus suspendu. Je passe mon tour pour le moment. J'ai les cheveux longs et suis encore préservée des racines honteuses qui pourraient trahir mon âge avancé. Il y a moins de bousculades chez les esthéticiennes. Sauf pour celles qui revendiquent le droit de garder leurs poils et y trouvent une forme d’affirmation sociale, retournez au plus vite vous faire chouchouter dans un institut de beauté. Cela fait un bien fou et toutes les précautions sont prises. Camarades garants du glamour, vous nous avez manqué et on commence à se sentir moins moches. Cette sinistre période où l'on traînait en jogging informe malgré nous semble enfin révolue. Merci de nous rendre notre humanité !

Demain, Édouard Philippe, notre Premier Ministre bien-aimé, nous révéle les grandes lignes de la phase trois qui démarrera le mardi 2 Juin, juste après le Pont de la Pentecôte, histoire de prolonger un peu plus la pénitence. Le suspense reste entier et les pronostics vont bon train sur les réseaux sociaux. Les bookmakers s'en donnent à cœur joie: rouge, vert, orange, plages, bars, salles de sport, rayon élargi à 300km ... On se croirait dans une mauvaise série de Netflix. Je demande à parler aux scénaristes. Jusqu'au bout, on aura été traités comme des enfants et contenus dans une cocotte minute prête à exploser.

Le week-end de l'Ascension a eu des faux airs de l'Eté 36, même si le front actuel n'est pas exactement populaire. Comme à l'époque des premiers congés payés, les citadins trop longtemps privés de nature sont partis à bicyclette et l'esprit joyeux découvrir les campagnes environnantes. Avec le soleil retrouvé, ils souriaient béatement et l'ivresse des montagnes les gagnait dès 200 mètres d'altitude. 

J’ai retrouvé avec bonheur l’Ariège, territoire verdoyant et sauvage, après deux mois de confinement strict en ville où l'on finit par pleurer à la simple vision d'un coquelicot émergeant difficilement entre deux trottoirs. Peuplé de cheveux longs, de grands lits et de musique, le département compte une multitude de Maisons Bleues de Maxime Le Forestier. Dans la faune locale, les télétravailleurs isolés et sacrifiés au capitalisme sont des exceptions. Le WiFi est crypté, les zones blanches prédominent et l'on prône un mode de vie alternatif et communautaire. 4x4 s'abstenir ! Avec ma vieille twingo et ma coupe Janis Joplin post Covid, je me fonds parfaitement dans le décor. L’ambiance Summer of Love a pourtant été brutalement interrompue par l’intrusion d’un employé de mairie qui installait des barrières autour du parking municipal. Dans notre imaginaire fortement ébranlé par l’enfermement, cela correspondait à de nouvelles restrictions et la fin d’un espoir de salut. Le fonctionnaire a maladroitement tenté de défendre l’évidente mesure anti-aspirants au retour à la terre : « Pas du tout Messieurs-Dames, cela vient d’un arrêté plus ancien. ». Les babas cools du camion d’à côté ont oublié leur positionnement pacifique et sont partis en klaxonnant avec indignation. 

Depuis Toulouse et même avec un bras très long, il n’est pas possible d'atteindre la mer en appliquant la règle des 100km. Largement relayées dans les médias, les mesures appliquées pour contrôler l’accès aux plages arrivent cependant à contenir notre frustration. Le choix est proposé entre la version dynamique et le risque d’être poursuivi par un disciple du Gendarme de Saint Tropez si l’on tente de faire bronzette sur sa serviette ou la version statique et la mise en enclos sur réservation. La Grande Bleue attendra. 

Les parisiens sont les moins bien lotis. Les jardins et les parcs restent fermés au public et seuls quelques bords de pelouses sont accessibles et pris d'assaut. Le tourisme improbable en banlieue pourrait être une option. Le 93 célébré récemment dans Les Misérables, film primé à Cannes, n'est pas dénué d'exotisme mais manque de vertes prairies et de vues dégagées. 

Il faut saluer le joli coup réalisé par le Ministère du Tourisme pour nous faire re-découvrir la France et promouvoir le concept de la micro-aventure près de chez soi.  Mais une campagne de communication musclée n'aurait-elle pas suffi, plutôt qu'une pandémie doublée d'une crise économique et sociale ?

Je dois vous laisser car Édouard est sur le point de prendre l'antenne. Je précise qu'il s'agit d'Édouard avec un grand E, le magnifique, le magicien, le magique Édouard Baer qui illumine nos jours et nos nuits, grâce à sa fantaisie et sa voix de radio envoûtante. Un Édouard peut en chasser un autre, surtout quand il a un tel charisme et qu'il sait porter comme personne la barbe de trois jours. Mon objectif est désormais d'être reconfinée avec lui pour l'épisode 4. No Pasaran ! 

samedi 16 mai 2020

Le Jour d'Après



Le déconfinement, c'est maintenant. En mai, fais ce qu'il te plaît mais avec les gestes barrière. Ce mois d'habitude si charmant, prometteur de farniente et de renouveau avec sa ribambelle de jours fériés dont on a oublié la signification originelle, a perdu toute sa légèreté. Personne ne se projette au delà de 24 heures ni à plus de 100 km. Nous avons basculé dans le monde d'après mais la date du 11 mai n'entrera sans doute jamais dans l'Histoire.

Dès que le feu vert a été donné, j'ai sauté sur mon vélo pour ne rien rater et renouer avec le tumulte de la ville. J'ai essayé de faire abstraction des moteurs qui vrombissaient derrière moi car je ne pédalais pas assez vite. Les chauffards ont rongé leur frein pendant huit semaines et voici venu le moment du défoulement. J'ai vainement cherché les marquages des pistes cyclables temporaires supposées promouvoir la mobilité douce. "Rien que des mots... Parole, parole, parole...". On nous aurait menti?


Un sentiment de vertige m'a envahie lorsque j'ai franchi le Pont Neuf qui surplombe la Garonne, accentué par la perte des repères spatio-temporels. Je ne m'étais rendue que trois fois dans le centre pendant le confinement, le cœur battant et avec la sérénité d'un juif s'échappant du ghetto de Varsovie. Jean-Paul Kauffman, journaliste et otage au Liban pendant 3 ans, décrit parfaitement ces symptômes de stress post-traumatiques dans son autobiographie.

Je n'ai vu aucun char portant des GI américains triomphants ni de bals improvisés dans la rue. Il n'y avait que des gens hagards et masqués qui marchaient péniblement, à l'écart les uns des autres. La distanciation sociale est désormais notre lot quotidien.

Les employés de boutiques regardaient  timidement les badauds derrière leurs visières en plastique, obligés de vendre à tout prix, malgré la peur de la contagion. J'étais moi même déchirée entre les bons principes de consommation responsable et l'envie irrépressible de faire du shopping. Lassée de voir ses rides en gros plan lors des séances Skype, l'une de mes proches dont je tairai l'identité a pris rendez-vous pour faire des injections de botox. Au diable la culpabilisation, nous revendiquons le droit d'être féminines et futiles à nouveau ! Gare tout de même au choc de la perte de pouvoir d'achat et au potentiel retour des Gilets Jaunes sur le devant de la scène. «On est là ! Même si Macron le veut pas, nous on est là ! Pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur, même si Macron le veut pas, nous on est là !». Il ne manquait plus qu'eux.

Les applaudissements le soir à 20H ont perdu en intensité, les primes Covid promises aux personnels de première ligne tardent à venir, le gouvernement noie le poisson en parlant de canonisation des héros le 14 juillet. Des médailles ne suffiront pas à résoudre les problèmes ni à sauver l'hôpital. La grogne monte dans les rangs des blouses blanches et les manifestations reprennent, avec la répression policière inhérente. Les soldats du secteur public, après avoir combattu le virus main dans la main, se retrouvent à nouveau face à face, dans des camps ennemis.

La fête est déjà terminée à Paris. Les apéritifs de la victoire, collés serrés au bord du Canal Saint Martin, ont fait désordre et Castaner a sifflé la fin de la récré. Les français sont incorrigibles mais tellement humains. On n'est pas sérieux quand on a étouffé trop longtemps dans des appartements minuscules et ne nous rabattez pas les oreilles avec le courage exemplaire d'Anne Frank!

Cette ambiance morose donne envie de rester chez soi pour profiter encore de la magie du temps suspendu. Et si, comme l'a prédit Michel Houellbec avec l'optimisme qui le caractérise, la société n'avait tiré aucune leçon de cette parenthèse inattendue et continuait à foncer droit dans le mur, dans un contexte très dégradé ? Syndrome de la Cabane extirpe toi de ces corps innocents ! 

La misère sociale est également plus visible. Au cours de cette première grande sortie, deux personnes dont la mise soignée ne laissait pas supposer l'indigence m'ont demandé une pièce ou un ticket restaurant. La mendicité devient un sport compliqué avec l’accélération de la digitalisation des modes de paiement. Plus loin, un Punk à chiens m'a interpellée pour un tout autre motif : " C'était toi la tarte à l'oignon? Trop bonne, la tarte ! J'ai vu ta photo sur le site. C'est quand tu veux pour une nouvelle fournée. Les restos du Cœur ont réouvert mais c'est pas la même came". J'ai en effet apporté ma modeste contribution culinaire à un mouvement citoyen qui fournit des repas aux sans-abris. " Merci, ai-je répondu. Ce sera avec grand plaisir et on ne vous oublie pas. C'est juste qu'on est tous un peu déconfis avec la pseudo liberté retrouvée et totalement jetlagués dès qu'on s'éloigne trop de notre quartier. Ça va s'arranger." 


Pourvu que ces élans de solidarité ne soient pas que des feux de paille. Beaucoup de bonnes volontés individuelles ont surgi depuis le début de la crise sanitaire et il faut miser sur le collectif.  El pueblo unido, jamás será vencido ! Vivement le reconfinement lundi ! No Pasaran ! 

vendredi 8 mai 2020

L’ Armée des ombres




1er mai 2020 et 46ème jour de confinement. La météo est maussade et le muguet a le bourdon. Pas de cortèges de vieux syndicalistes, ni de stands bières saucisses et encore moins de camions avec du gros son pour danser derrière. On peut uniquement défiler en ligne ou taper sur une casserole à la fenêtre pour signifier son insoumission. L'inventivité individuelle est incroyable : des Playmobil brandissent des pancartes sur Twitter, L'Internationale fait vibrer les cœurs sur Facebook, mais il manque l'émulation collective et les bains de foule. Melechon a pris un râteau sur les réseaux sociaux. Rien ne vaut le terrain et les pavés, même si les plages sont fermées.
Des visionnaires tels que Karl Marx, Friedrich Engels ou encore Rosa Luxemburg, militante et théoricienne du mouvement socialiste, se sont battus pour un changement de société et un monde du travail où le capitalisme  offrirait une place digne à l’être humain. Que penseraient-ils de cette drôle de guerre, où l'on célèbre tardivement des professions dénigrées et où le télétravail ou plutôt le travail à distance forcé et dégradé devient légion ? 

Beaucoup de gens applaudissent les personnels qui sont au front, tous les soirs à 20h : « Bravo aux soignants », « Bisous à l’équipe de Carrefour Express », « Merci à nos héros ».... Vous exprimez haut et fort votre reconnaissance mais vous allez aux manifs pour défendre le service public et dénoncer la fracture sociale? Il n’y a pas de héros, il n’y a que des gens ordinaires qui font bien leur boulot. Dans ces temps troublés de pseudo unité nationale, le recours à la rhétorique guerrière feint d’élever à la grandeur des gens qu’on sous-traite dans l’échelle sociale. 

Je suis un soldat de la troisième ligne, à l'activité définie comme non essentielle pour surmonter la crise actuelle. Certes, les chargées de relations publiques viennent bien après la farine et le papier toilette dans la liste des éléments fondamentaux, mais nous ne sommes pas seulement des êtres futiles qui traînent dans les cocktails, serrent des mains et sourient sur les photos. Quand l’épidémie aura été vaincue, les gentils organisateurs permettront de relancer les rencontres conviviales et soutenir le secteur événementiel fortement impacté. Votre Ministre des Apéritifs reprendra bientôt du service !

Comme un quart des français, j'ai été balancée chez moi le 16 mars dernier avec pour consignes de ne pas bouger et de maintenir ma productivité, loin de mon terrain de jeu habituel. Sauve qui peut, trois dossiers embarqués à la hâte et cap sur la maison. Les hommes ne naissent pas égaux en matière de logement et pour la majorité télétravail rime avec cohabitation familiale compliquée ou claustrophobie dans un appartement trop petit. À la libération, je propose de rebattre les cartes et de rééquilibrer les situations. « Échange HLM surpeuplé à Clichy-sous-Bois contre villa avec vue sur mer. » Tous chez Guillaume Canet au Cap Ferret !

Pendant ces longues semaines d’enfermement, j'ai vu la nature refleurir à travers la vitre, enchaînée à mon bureau improvisé. Je travaille depuis longtemps de façon autonome et nomade mais il y a une différence entre l'éloignement choisi et subi. Nous avons pris le maquis malgré nous.

Plus que jamais ce chamboulement radical fait ressortir l'absurdité du monde de l'entreprise et l'inutilité de certaines fonctions. Nos N++++ n'ont de cesse de s'approprier les formules du moment comme « se réinventer », « préparer l'après », « se mettre en mode agile » alors qu'ils font strictement l'inverse et répètent à l'infini leurs erreurs habituelles. 

Le droit à la déconnection existe mais pour beaucoup de personnes les jours se confondent avec les nuits, les weekends et les vacances ont disparu de leurs agendas surchargés. Cela peut s’expliquer par la peur du vide, le besoin de tromper l’ennui ou le retour du spectre de la récession. Certaines entreprises ont mis à disposition de leurs employés des cellules d’écoute psychologique pour se couvrir en cas de pépin.  


Distanciation sociale oblige, mes interlocuteurs sont désormais des visages flous et hirsutes sur un écran ou de simples ronds avec des initiales qui parlent, lorsqu’on coupe les caméras pour soulager le réseau. La femme qui ne sourit jamais, alias Cruella la Directrice Générale, nous rassure régulièrement sur You Tube et nous indique comment mieux vivre ensemble cette grande aventure collective. Le scénario est digne d’un blockbuster d’anticipation dans lequel les hommes seraient gouvernés par un état totalitaire et équipés de puces électroniques détectant leurs mouvements et perçant leurs pensées les plus secrètes. L’ambiance reste pleinement apaisée et bienveillante. 

Comble de l’absurde, j’ai passé mon entretien professionnel le 8ème jour du confinement. Ma responsable hiérarchique, obsédée par le contrôle et le reporting, a insisté pour le maintenir, m’incitant à faire abstraction de la déflagration qui venait de nous frapper. « Le monde est en train de s’écrouler et tu me demandes de me projeter et de fixer des objectifs par rapport à des opérations qui sont annulées. Ma seule ambition est de survivre. », ai-je indiqué en introduction. La bullshit jobeuse a aussitôt buggé et cessé de pianoter sur son clavier. Ont suivi trois heures de dialogue de sourds, un téléphone fracassé contre le mur et une envie miraculeusement surmontée de fumer des substances illicites mais j’ai eu gain de cause. Victoire par KO. Rien n’a été défini et nous reprendrons cet échange le plus tard possible. 

Ce premier acte de résistance a marqué l’entrée dans une nouvelle phase : l’acceptation et la reprise en main. Éprouvante et passionnante, la période révèle plus que jamais notre capacité à nous adapter, à faire preuve de rigueur, de réactivité, de créativité et de solidarité professionnelle ou pas.  Les chamailleries se transposent dans la galaxie numérique avec toujours en conclusion l'incontournable "Prends-bien soin de toi!", fortement chargé en hypocrisie sociale. 

J’ai hâte de retrouver la vraie vie et l’overdose technologique me guette. Le téléphone est un pis-aller, les e-mails une corvée et Skype est laid comme une télé d’hôpital. L’un de mes amis lance une bande pré-enregistrée de gamins braillards lorsque les réunions Zoom s’éternisent trop, afin de pouvoir s’éclipser pour urgence parentale. Je tiens à préciser qu’il n’a pas d’enfants. 

La bonne ou mauvaise nouvelle est que le télétravail va continuer voire se généraliser. Nous sommes toujours là, bientôt déconfinés, mobilisés, révoltés et allons écrire une vraie charte quant à cette nouvelle façon de travailler. Nous ne reviendrons pas à la normalité car la normalité, c’était le problème. Rendez-vous dedans, dehors ou quelque part dans le cloud étoilé. No Pasaran.