mercredi 27 mai 2009

Sous les pavés la plage















Le mai le joli mai en barque vers une rive inconnue. Période du renouveau et de l’éveil des sens après la langueur de l’hiver, le mois de mai est aussi plein de ces rendez-vous incontournables, chers aux français. Ayant expérimenté les quatre saisons pour rentrer de longs séjours à l’étranger, je ne saurais que recommander ce moment très spécial qui permet de retrouver facilement ses repères. Les années passent, défilent à la vitesse grand V, les mois de mai se ressemblent jusqu’à se confondre.

Vient d’abord le festival de Cannes, un « marronnier » comme un autre. Cette grande messe du cinéma, avec ses paillettes et ses starlettes de tout poil, est devenu un mythe, une sorte de rite que l’on reproduit chaque année et qui nous manquerait presque s’il s’absentait. Pendant une dizaine de jours, tous les regards sont braqués sur cette « bourgade » de la côté d’Azur que le monde entier nous envie. Paradis pour cinéphiles, gigantesque supermarché du film, Cannes est aussi un miroir aux alouettes et la terre de tous les contrastes. Là-bas coexistent sans pour autant se côtoyer les célébrités et les anonymes, les riches et les pauvres, les beaux et les moches. C’est le règne des apparences et du paraître. Les horizons sont internationaux mais les flots bleus de la Méditerranée disparaissent sous les rangées de yachts. Les nantis se pavanent devant les plébéiens qui les admirent de loin sous un soleil écrasant ou une pluie battante, sans songer à s’abriter tellement ils sont absorbés par le spectacle. Mais le vrai privilège n’est-il pas de profiter de la quiétude des salles obscures ou de fuir très vite en disant : « Tout ce protocole m’insupporte. Je n’en peux plus, Cannes se passera de moi. »? Pour vivre heureux, vivons cachés.

Et pendant ce temps que se passe t-il dans le reste du pays ? Mai est aussi traditionnellement le mois où la grogne sociale atteind son climax, avec en têtes de file, les étudiants, farouchement opposés à la réforme des universités dictée par le gouvernement. Cependant la mobilisation estudiantine commence à s’éteindre. L’approche des vacances, la peur de rater les examens ont eu raison de ce mouvement sans précédent. Capitulation globale alors ? Non ! Car une université peuplée d’irréductibles gaulois résiste encore et toujours à l’oppresseur. Il s’agit de mon ancienne fac, celle des « Rouges » : l’Université du Mirail, à Toulouse. C’est le genre d’endroit dont on ressort au minimum socialiste. Mais quelle est donc la potion magique qui procure une telle ténacité à ces révolutionnaires en herbe ? Le secret de la préparation est jalousement gardé depuis des générations. L’abus d’alcool et de substances illicites étant dangereux pour la santé, le souci du bien être collectif m’impose de ne pas divulguer cette information.

Rien n’a changé depuis mon départ. Les jeunes continuent à se battre pour étudier des matières improbables et pouvoir s’engager dans des filières qui ne servent à rien sinon à acquérir une certaine culture. Les cours commencent au mieux à l’approche de Noël, une fois passés les classiques blocages de la rentrée universitaire. C’est ensuite l’épreuve de force pour trouver une place dans les amphis surpeuplés, résister à l’appel de l’école buissonnière tellement tentant et ne pas trop chercher à donner un sens au chaos général. Mon goût pour l’autonomie dans le travail hors de tout cadre strict a du naître à cette époque. Je suis un pur produit de ce système, certes déconnecté des réalités, mais qui forge notre capacité de penser. Alors que les futures « élites de la nation » récitaient en chantant les noms des entreprises du CAC 40 avant de les retranscrire en braille, j’apprenais le français du 13ème siècle et réfléchissais à des questions cruciales comme « le développement du rock et le hurlement romantique ». Ce savoir précieux me sert tous les jours et je revendique le droit de faire des études dites « inutiles » qui font de nous des « prolos de la culture ». La notion de « secteurs d’avenir » est d’ailleurs tellement fluctuante qu’il vaut mieux se consacrer à ce qu’on aime et ce pour quoi on a un certain talent, même si c’est peu viable sur le plan pécuniaire.

La question est surtout de savoir si le système actuel donne envie de se battre pour travailler. Les mots clés associés au monde du travail ne sont pas très encourageants : harcèlement moral, souffrance, licenciement, stress etc. On est bien loin du vieil adage : « le travail, c’est la santé de l’homme ». Où est l’espoir, où est le rêve ? Faut-il alors imiter nos voisins espagnols, la « génération 1000 euros », qui accumule les diplômes pour reculer au maximum le moment fatidique de l’entrée dans la vie « active ». Plutôt que réformer l’université, ne vaut-il pas mieux réformer l’entreprise ? Pourquoi ce serait toujours les mêmes qui doivent s’adapter ? La lucha continua, no pasaran !

mardi 19 mai 2009

L'Enfer, c'est les autres













J’ai toujours aimé les grandes villes et le sentiment d’immense liberté qu’elles procurent. Chaque coin de rue est prometteur de nouvelles aventures et on peut se fondre dans l’anonymat de la foule, tout en se laissant porter par le torrent de l’énergie urbaine. Je dois être une des rares nostalgiques du métro parisien ; non pas du RER A aux heures de pointe bien évidemment, qui transfère tous les jours les esclaves modernes de leur lointaine banlieue à leur cage de verre, mais plutôt des lignes aériennes qui semblent survoler la ville. La promiscuité forcée des transports en commun n’est pas seulement source de stress mais peut aussi créer de vrais moments de poésie et être à l’origine de belles rencontres. Plusieurs sites Internet comme http://www.paribulle.com/ ont ainsi été créés pour permettre aux citadins de « retrouver un regard croisé dans le métro ». Je dois admettre que pour ma part je suis plus tombée sur des pervers ou des sociopathes que sur de beaux ténébreux. L’ivresse procurée par les bains de foule a des limites. Conséquence inverse de la surpopulation, on finit par étouffer et on a besoin de s’échapper. Vite de l’air !

Curieusement, je me suis souvenue de tout ça, en dînant avec un ami en terrasse d’un restaurant de Toulouse. Victime de son succès, la Ville Rose a vu arriver une déferlante de parisiens et, sans avoir encore perdu son âme, a considérablement grossi et s’est embourgeoisée. Le Parisien est un modèle qui s’exporte mal. On croise de temps en temps un Bobo égaré, directement débarqué de l’Est Parisien, qui cherche désespérément des repères familiers (resto bio, bar lounge, concept store etc.) ou des catholiques versaillais, tout de bleu marine vêtus, qui dénotent avec la chaleur et les couleurs du midi. Grand moment de solitude lorsque, par malchance, on se retrouve au restaurant dans une table à deux à côté d’un de ces petits couples bien propres sur eux. L’imagination au pouvoir semble alors un concept bien lointain. Dans la famille Grenouille de Bénitier, je demande la jeune promise qui prend un air paniqué lorsqu’on fait mine d’approcher de sa table, semblant dire : « Oh mon Dieu, ces provinciaux dégénérés vont nous contaminer avec leur accent et leurs habitudes dégoutantes ». Dans ce cas, il faut employer les grands moyens pour convaincre la donzelle ne plus jamais sortir de chez elle, comme par exemple parler très fort et sans aucune gêne du projet, déjà amorcé, d’être mère porteuse pour un couple de transsexuels brésiliens sans papiers, tout en mangeant avec les doigts. Succès garanti !

Heureusement, ce soir là, l’atmosphère était plutôt désinhibée, voire carrément débridée. Nous avions en effet à notre droite deux vétérans de l’époque du Power of Love, preuves vivantes que l’abus d’alcool n’est pas forcément dangereux pour la santé. Certes Janis et Jim n’avaient plus la ligne de leurs vingt ans mais affichaient une étonnante vitalité et une remarquable descente. Les plats n’étaient pas encore arrivés qu’ils avaient déjà sifflé deux bouteilles de rosé. C’est là où Janis qui avait étanché sa soif mais pas calmé sa faim s’est tournée vers moi, en hoquetant et en beuglant : « Céééé bonnnn ???? ». Heureusement le serveur est arrivé à la rescousse et on ne les a plus entendus, sauf pour faire des commentaires sur le bon vieux temps qui s’en est allé et la France, « ce pays de cons ». Quelques bouteilles de vins plus tard, nous avons eu droit à l’instant culturel, lorsque nos deux charmants voisins ont essayé de déchiffrer, en clignant un œil, la plaque de rue écrite en occitan, se demandant par quel étrange coup du destin ils avaient bien pu se retrouver en Espagne. Ils ont finalement décidé de tituber jusqu’au prochain bar, tendrement enlacés et se soutenant mutuellement. C’est beau l’amour.

Dans un style moins "sixties revival", nous avions également derrière-nous un couple d’échangistes exhibitionnistes quinquagénaires. Elle, le facies grimaçant à cause des excès de lifting, décrivait à voix haute et avec moult détails croustillants les orgies organisées dans ses multiples propriétés et les problèmes sexuels de son entourage et Lui, avait tous les sens en éveil pour ne pas louper le passage du moindre jupon dans un périmètre de 50 mètres. A la même table, mangeait en silence un autre couple, faire-valoir résignés et soumis de leurs efforts pour se faire remarquer et briller en public. J’espère au moins que la vieille peau les a invités. Et enfin, à bâbord, incroyable mais vrai, il y avait la femme qui allumait des cigarettes plus vite que son ombre et qui parvenait à avaler fumée et nourriture en même temps.

Quelle formidable mise en scène, respectant parfaitement la règle des trois unités. En un lieu, en un soir, les vieux démons de l’alcool, de la drogue et du sexe s’étaient donné rendez-vous. Rock’n roll is not dead !

vendredi 15 mai 2009

Pépé, Dada, Gaby et les autres
















Les amours passent, les amis restent. Cette expression parle, je pense, à la majorité d’entre nous. Je suis loin d’exceller dans tous les domaines mais je dois dire que, côté amitié, j’ai toujours été gâtée. Dans les années 1990, par un matin brumeux à Barcelone, une mystérieuse bohémienne m’avait prédit que je voyagerais beaucoup et que je serais toujours entourée. La suite a prouvé qu’elle n’avait pas tout à fait tord. Nouveau coup du destin : à un tournant de ma vie et sans faire un mauvais remake de la célèbre chanson de Bruel, je vais partager un appartement avec les amis avec qui je vivais à Londres, il ya 10 ans. On s’était dit rendez-vous... Quant à savoir si on est devenu des grands hommes, je dirais que l’on fait ce qu’on peut. Après des joies, des peines et des itinéraires séparés, nos chemins se croisent à nouveau, mais cette fois dans le Sud de la France.

Les garçons, vous n’avez pas pris une ride. Le Temps, cet ennemi impitoyable, a glissé sur vos visages sans laisser la moindre empreinte, et je ne dis pas ça seulement dans un objectif de bonne entente à la maison. Mais que vont donc penser les voisins de notre drôle de trio ? Etrange époque que la nôtre où les schémas traditionnels disparaissent au profit de combinaisons improbables. Nous sommes les exemples vivants du fait que la vie n’est pas un long fleuve tranquille. J’envie parfois ceux qui ont une existence dite « stable » mais aussitôt surgit la vision aliénante du pavillon de banlieue avec pelouse impeccablement tondue, enfants blonds souriant outrageusement, le tout sous la protection de Lassie chien fidèle. Je sais, je suis trop radicale et il existe certainement un juste milieu entre l’Insoumission et la famille Ricoré. De toute façon, nous n’aurons pas d’animal de compagnie, suite à l’adoption ratée d’un chat égaré dans les faubourgs londoniens. A l’époque, le pauvre animal avait été banni à l’unanimité, à cause de son incapacité à s’autogérer au niveau alimentation et hygiène. La jeunesse est cruelle. Pardon à nos amis les bêtes !

Rien n’est pourtant jamais acquis en amitié, bien précieux qu’il faut savoir entretenir par des efforts constants. A ce sujet, notre ami commun, Pépé le Terrible, nous a mis à l’épreuve cette semaine, à l’occasion d’une assistance imposée à son déménagement. 28 degrés, monter, descendre 5 étages sans ascenseur avec des charges toujours plus lourdes, jusqu’au moment où l’on perd la notion du temps et on arrête de compter. Cela vaut tous les cours de step du monde et pendant que j’exécutais docilement l’exercice, je songeais qu’il faudrait que j’en parle à ma copine blonde qui se morfond à Saragosse depuis mon départ. Il ya effectivement une vie en dehors du club de sport !

Alors que j’étais au bord de l’agonie, accrochée à la rampe de l’escalier, une toute jeune fille, gagnée par la pitié, est venue à ma rescousse : « Madame, vous avez besoin d’aide ? ». J’ai décidément perdu l’habitude du formalisme français qui, en plus, nous vieillit prématurément. J’ai cependant préféré passer outre, profitant de ce coup de main inespéré et me disant que cela ne pouvait que faire du bien à cet enfant, qui avait vraiment besoin de perdre une dizaine de kilos. J’ai aussi invité Pépé à la remercier chaleureusement. Il m’a alors répondu : « Surveille-là, elle va sans doute chourer un truc ». Ce sentiment de méfiance est tellement caractéristique des français qui ne peuvent concevoir les actes solidaires et désintéressés.

En parlant de générosité, Pépé, n’oublie jamais ce que nous avons fait pour toi. Cette aventure collective a été certes fédératrice et je garderai un souvenir impérissable du contact de nos corps ruisselant de sueur, collés serrés dans le camion, mais j’ai eu mal au dos pendant deux jours. Et puis, notre esprit solidaire t’émeut mais, tu nous connais, tout se paie trés cher. Notre effort sera donc directement proportionnel au nombre de caisses de champagne que mon œil attentif n’a pu que repérer pendant l’exécution des travaux forcés. Marque également en rouge la date du 6 juin, jour de notre déménagement. Nous te réservons un traitement de faveur dont nous peaufinons encore les détails. Avis aux amateurs d’expérience en groupe, on recrute !

jeudi 7 mai 2009

Le miracle de la vie














Au départ ce papier devait porter le titre « Le péril jeune » et dénoncer les risques engendrés par le taux de fécondité exponentiel en France. En effet, au bout de 3 jours dans notre beau pays, je souffrais déjà d’agoraphobie, cernée de toutes parts par des régiments de poussettes et des défilés de ventres ronds. C’est la crise mais la France pond. Mes compatriotes sont-elles dopées aux hormones ? L’Espagne qui clame pourtant sa « catholic pride » est battue par KO. Nous avons passé la barre des 2 enfants par femme alors que nos voisins espagnols atteignent à peine le résultat passable de 1,3. On est des championnes, on est des championnes…

Oui mais voilà, une chose survenue hier m’a fait voir le problème d’un œil nouveau et a éveillé en moi un soupçon d’instinct maternel. Emile, 3, 5kg, 50cm est arrivé ! N’échappant pas à la tendance nationale, Cécile, mon amie de toujours, s’est elle aussi reproduite. Témoin privilégiée de l’événement, je me suis surprise à être submergée d’émotion et même verser quelques petites larmes. Bienvenido pequeñito Emilio dans notre monde cruel et impitoyable !

Cet enfant démarre tout de même dans la vie avec des atouts de taille. Il a manifesté son envie de sortir en plein apéro et a eu, comme spectatrices de son entrée en scène, deux bonnes fées de premier choix : David et moi. Cécile a ainsi bénéficié de notre expertise en matière d’enfant dans ce moment crucial. Dès le début de l’alerte, nous avons échangé un long regard interrogatif tout en nous félicitant de ne pas avoir à gérer la situation en solo. Puis, pendant que Cécile se tordait de douleur avec l’accélération des contractions, je lui disais de souffler fort comme je l’avais vu faire dans de nombreux films, tandis que David se jetait sur le repas laissé à l’abandon pour prendre des forces. Tout est ensuite allé très vite et nous nous sommes révélés excellents dans l’improvisation et la poésie de l’instant : taxi-service jusqu’à la clinique, animation de la salle d’attente en reprenant en chœur les morceaux de la Nouvelle Star qui passait sur le minuscule écran télé, évaluation du potentiel sexuel du personnel hospitalier (ce mythe du Docteur Clooney, quelle arnaque !), coaching et gestion du stress du futur Papa…

J’avais suivi de loin la préparation des hostilités. Cécile, bien que savourant pleinement cette étape déterminante de sa vie, me confiait sa méfiance vis-à-vis de certaines pratiques et l’envers du décor de la vie de futurs parents. Comme dans beaucoup de domaines, la mode est au bio et de nombreux adeptes vantent les mérites de l’accouchement à l’ancienne, chez soi, sur la table de la cuisine ou à même le sol, pour tout ressentir pleinement et ne pas être contaminés par les appareils obstétriques. Amis masochistes, libres à vous de tourner le dos à la modernité mais souffrez en silence. Mon amie n’a pas échappé non plus aux rites de passage incontournables et vécu des moments presque surréalistes comme cette séance de piscine pour futures mamans où la monitrice en transe imitait le chant du dauphin. C’est aussi le règne du chacun pour soi, notamment pour obtenir une place en crèche. Tous les coups sont permis, même les bakchichs, et que le meilleur gagne !

Mi querida gordita te voilà prête (ou pas tout à fait ?) pour le grand rôle de ta vie. Attention aux pièges dont nous avons déjà parlé et notamment de ne pas tomber dans le culte de l’enfant roi ! Je promets en échange de porter une oreille attentive aux questions hautement complexes et délicates de la gestion des couches culottes. Profite de l'âge de l'innocence car plus tard quand il sera grand et qu’il sortira avec ses pots, tu trembleras d’angoisse en repensant à ta propre adolescence dont nous avons partagé quelques glorieux épisodes. Mais laissons donc tous ces cadavres bien enfouis au fond du placard. Je ne dirai rien même sous la torture !