jeudi 14 juin 2012

Les adieux à la Reine !


Notre président tout neuf nous a promis un changement radical et profond mais il ne croyait pas si bien dire car, avant même sa prise de pouvoir officielle, l’impensable s’est produit : Queen Bee, ma responsable hiérarchique bien aimée, a annoncé  son abdication. La nouvelle est tombée dans ma boîte mail le vendredi  11 mai à 17h. Guidée sans doute par mon intuition, je n’étais pas, comme d’habitude à cette heure,  en train de vaquer à des activités extra-professionnelles non avouables, mais connectée au réseau dans le cadre rassurant de mon salon. J’ai ainsi vécu en direct et depuis mon canapé l’évènement et tous les bouleversements qu’il a engendré. Dans un message poignant, notre reine nous a expliqué qu’elle partait non pas par choix mais au regard de sa situation personnelle ( ?), nous a demandé de faire preuve de courage et de continuer le combat entrepris  et a conclu avec quelques citations pompeuses d’auteurs dont elle ne connaissait pas le nom.

L’humanité a connu de grandes tragédies comme la Mort d’Elvis ou la Guerre du Vietnam mais aucune n’a jamais suscité autant d’émoi ni de tristesse que la perspective du départ prochain de notre royale icône. La ruche est en deuil. Les abeilles zigzaguent sans but et ne produisent plus de miel. Une cellule de soutien psychologique a été constituée et le centre d’appels a été saturé en quelques minutes. Après l’envoi de ce qui s’apparente à un missile scud, chacune de mes collègues qui je vous le rappelle sont toutes des femmes dispersées un peu partout en France, ont posté en mettant en copie la Terre entière des mots d’adieux déchirants à celle qu’elles identifiaient tour à tour et entre deux sanglots à une mère, une sœur, une maîtresse ou encore une déesse. Si les ordinateurs pouvaient pleurer, notre pays aurait été enseveli sous des flots de larmes. J’ai mesuré l’ampleur du fanatisme et de la manipulation psychologique lorsque l’une des abeilles a évoqué le rôle déterminant de Queen Bee dans le mouvement féministe. J’ai dû intervenir en aparté pour expliquer à cette âme égarée que la politique rétrograde pratiquée par notre département visant à nous transformer en femmes  au foyer des années 50 ne représentait en rien une avancée pour les femmes. Penaude, mon interlocutrice m’a promis de lire Simone de Beauvoir et Elisabeth Badinter.

En ce qui me concerne, je n’étais ni gaie ni triste, j’étais juste abasourdie par cette nouvelle incroyable. Je me disais également : « Damned, elle m’a devancée ! ». J’en étais là dans mes réflexions lorsque la ligne rouge a retenti. Maya, you are needed ! Pronto !  C’était Queen Bee. Comme à son habitude, elle est allée droit au but et a dit : « Abeille Maya, l’heure est grave. L’équilibre géopolitique planétaire est en jeu.  Je connais votre expérience dans les relations internationales et j’ai besoin de vous pour être mon porte-parole. Je compte sur vous et j’espère que vous ne me décevrez pas. » Moi qui avait été cantonné jusqu’alors dans ce job à des échanges franco-français, j’ai pu renouer pour quelques jours avec les grands de ce monde et tenir tête à des reporters avides de scoops appartenant à des medias aussi divers que le New York Times, le Der Speigel ou encore Aljazeera. La Reine Elizabeth II a même proposé de lui laisser la vedette à l’occasion de son jubilé de diamant et de rebaptiser la journée Bee-Day.

La question qui taraudait tous ces vautours affamés était de connaître les mystérieuses raisons personnelles qui contraignaient Queen Bee à se retirer de la scène en pleine gloire. La principale intéressée n’avait fait aucune déclaration officielle et chacun élaborait des hypothèses plus ou moins vraisemblables. Notre Reine aurait fricoté d’un peu trop près avec les Sarkozystes et elle devait se faire oublier. Elle aurait rencontré Dieu et entrait dans les ordres. Elle délocaliserait la ruche en Inde… Familière des rouages de l’appareil interne, j’avais ma propre interprétation. Queen Bee était mariée avec Felipe III qui allait devenir son N+1 et les fonctions respectives des deux altesses royales n’étaient plus compatibles. Ainsi elle sacrifiait ses ambitions au profit de la carrière de  son époux, prouvant une nouvelle fois que l’égalité entre les sexes reste encore une lointaine utopie. Je lâchais en pâture une version simplifiée de cette information : « La situation est comparable à celle du couple Strauss kahn Sinclair mais sans le fric et le bunga bunga ».

Mes camarades abeilles s’inquiétaient aussi de son remplacement et me poussaient à poser ma candidature pour le trône, disant que moi seule pourrait les défendre contre l’ordre des mâles. Bien que flattée par cette confiance, je répondis que je ne m’épanouissais que dans le contre-pouvoir et que l’idée de régner en lointaine banlieue parisienne m’était insupportable. Puis, je me dis que si la ruche me voulait vraiment comme nouvelle reine, je n’avais qu’à poser mes conditions qui seraient bien évidemment non négociables. J’ai commencé une liste qui n’est encore qu’une ébauche : 2,5 heures de travail par semaine depuis mon cher Sud, 52 semaines de RTT, déménagement de la ruche dans le XXème arrondissement de Paris, stage intensif de cool attitude et de glamour pour le personnel, appartement de fonction donnant sur les Buttes Chaumont pour le weekend, stricte application de la parité et unité spéciale d’hommes totalement dévouée à ma personne, budget réception illimité, hiver sponsorisé en Amérique du Sud pour moi et mon cercle proche…

Le moral des troupes en berne pendant plusieurs jours a fini par revenir. Le choix du cadeau de départ a fait notamment l’objet d’un débat acharné par e-mails car les abeilles n’étaient pas toutes d’accord sur la marque du sac à main. Une cérémonie d’adieu se prépare mais l’effet de surprise risque d’être quelque peu gâché suite à une erreur de manipulation  de l’abeille la plus ancienne et la moins douée pour les nouvelles technologies qui a fait suivre à Queen Bee tout l’historique des échanges. La machine s’est retournée contre l’homme. Quelle perfidie ! En attendant, Elle n’est toujours pas partie. God Save the Queen !