jeudi 30 avril 2009

Sur la route












J’ai toujours été attentive aux signes, aux symboles à déchiffrer qui pourraient donner un sens au flou artistique qui constitue notre vie. C’est pour cela que j’ai choisi de rentrer en France le jour de ma fête, me disant que cela me porterait forcément chance pour la suite.

Ironie du sort, à la même date se tenait un sommet franco-espagnol et l’Espagne accueillait pour la première fois en grandes pompes notre empereur Nicolas Ier au bras de sa poupée silencieuse. Notre histoire n’est qu’une succession de rendez-vous manqués ! A l’ordre du jour de cette réunion de «pose photos» politique figuraient plusieurs sujets d’actualité brûlants : en finir avec les méchants de l’ETA, mettre toujours plus de flics, sauver le monde du cochon fou etc. Mais que se chuchotaient vraiment à l’oreille ces deux polyglottes émérites que sont Sarkozy et Zapatero, aucun des deux ne parlant anglais, ni la langue de l’autre ? Mystère. Communiquaient-ils en morse ? Comme conséquence inévitable d’une polémique récente dénoncée haut et fort par la mère Ségolène, j’ai imaginé le travail délicat de l’interprète, transformé en arbitre d’une bagarre de récré.
Zapatero : « Tu m’as traité de gros abruti, c’est pas gentil. A la sortie du sommet, je te pète la gueule ».
Sarko : « C’est même pas vrai d’abord et puis il faut pas frapper un plus petit que soi. Carla, chérie, ya le grand là qui veut me taper…. »

Pendant que nos chefs d’état décidaient de l’avenir du monde, je roulais à vive allure vers mon destin, sur une petite route tortueuse et déserte, quelque part dans les Pyrénées. J’avais failli pour une fois à ma réputation de voyager léger et ma voiture pleine à craquer n’était pas sans rappeler celle des familles marocaines partant en vacances au pays, le cadavre de la grand-mère sur le toit en moins. Mon passage n’a pas échappé à l’œil averti des gardes frontières qui, en mal d’activité, m’ont ordonné de me ranger sur le bas côté. J’ai eu beau leur expliquer que j’étais, certes flattée d’être prise pour Arantxa Ixitutxu, terroriste basque de 21 ans, mais que j’étais un tout petit peu plus âgée et surtout apolitique, ils n’ont rien voulu savoir et m’ont ordonné de vider mon véhicule. Repensant avec horreur à la mission presque impossible du chargement, j’ai décidé de jouer la carte de la menace bactériologique. J’ai ainsi expliqué avec calme : « Vous avez entendu parler du premier cas de grippe porcine diagnostiqué en Espagne ? Hé bien, c’est moi. Je me suis échappée de l’hôpital ce matin. Je craignais la mise en quarantaine et surtout la perspective d’être brûlée vive au nom du bien être de la communauté. Je sais, j’ai vu trop de films mais, dans un pays dangereusement porté sur la religion et qui ne demande qu’à éliminer des jeunes païennes comme moi, on n’est jamais trop prudent. Je suis hyper contagieuse et si vous vous approchez de moi ou touchez à la voiture, je mords ». Les gendarmes qui étaient également fans de films gores et notamment de ceux où un simple contact suffit pour être transformer en zombie baveux, ont préféré garder leur distance et me laisser partir…

En France depuis quelques heures, je me demande si le voyage va s’arrêter ici. Tant de tours et de détours pour finalement revenir à la case départ. Après toutes ces années d’absence, le retour est-il encore possible ? Ne suis-je pas devenue l’Autre, la Bohémienne, cet étranger qui fait peur ? J’éprouve pourtant depuis un certain temps un réel besoin de poser mes valises, de renouer avec mes racines. Eternel dilemme. La sédentarisation est-elle la seule issue ? A l’image des clochards célestes de Kerouac n’est-il pas envisageable de se stabiliser dans le mouvement et de continuer la route ?

jeudi 23 avril 2009

La Retirada


















La Retirada, c’est le nom donné à l’exil des Républicains espagnols qui en 1939, après trois ans d’une guerre civile sanglante, ont fui leur pays tombé aux mains du généralissime Franco. Beaucoup ont traversé les Pyrénées à pied, dans la neige et le froid. Ce fut terrible, terrible. Autre contexte, autre époque, autre météo et autre mode de transport, je me prépare aussi à faire la grande traversée. Cap sur la France, Valérie rentrée maison, I go home.

Telle une Ségolène Royal s’excusant au nom de la France auprès du Premier Ministre espagnol Zapatero que notre empereur Nicolas Ier aurait traité de « gros abruti » (ce n’est pourtant pas du tout le genre de Sarko de faire des écarts de langage vulgaires), je me repends à mon tour. Les petites piques que j’ai pu envoyer à nos amis espagnols n’étaient que pour mieux les comprendre et les aimer. Mon cœur saigne. Ami lecteur, vois cette petite larme qui coule, au moment où j’écris ces mots. Queridos amigos, voy a echarles de menos muchissimo. No es un adios pero un hasta luego. La lucha continua ¡No pasaran ¡

Il ya tout de même des aspects auxquels je n’ai jamais pu m’habituer et ce en dépit d’une capacité d’adaptation maintes fois prouvée. Les gens de Saragosse se targuent d’avoir le climat le plus sain d’Espagne. Cela ne fait aucun doute avec des températures qui avoisinent les 50 degrés à l’ombre en été et surtout le fameux cirzo, le vent de « chez nous » qui souffle en rafales 24 heures sur 24 et balaie tout sur son passage. Combien de fois, ayant courageusement enfourché mon vélo et pédalant « à contre-courant », j’ai ressenti la fragilité de l’homme face aux éléments naturels déchainés et vu la mort de près, oscillant dangereusement vers les eaux turbulentes du fleuve Ebre. « L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant.», je songeais alors, en repensant soudain à Blaise Pascal et à mes cours de philo du lycée. C’est curieux les souvenirs qui reviennent dans les moments extrêmes.

Le monde des affaires aragonais m’a également laissé dubitative. Les entrepreneurs locaux sont de vrais cowboys qui traitent leurs employés comme du bétail et ont une conception progressiste du rôle de la femme dans la société qui se résume en ces termes : « Tais toi femme et reste à la maison. » Le problème se pose forcément quand on est une femme mais qu’on n’a pas l’âme femelle. Ces rescapés de l’âge de pierre ont aussi une ouverture au monde égale ou inférieure à zéro. Ils aiment dire que les marketeurs viennent souvent tester les nouveaux produits à Saragosse car si un produit fonctionne ici, il fonctionnera partout ailleurs. Le problème est qu’ils se méfient de l’Autre, de l’Etranger, ne laissent personne s'aventurer sur leur territoire et ne partent pas non plus explorer de nouveaux horizons, d’où un marché « consanguin », fermé et encore plus opaque si on est une femme. Je me suis cognée la tête mais eux aussi sur moi !

Cette semaine sera marquée par une succession d’adieux déchirants. J’ai du notamment annoncer la triste nouvelle à mes « copines » du club de sport. L’une des blondes, qui semble faire corps avec le décor tellement elle est assidue et qui, signe de total respect, veut toujours être avec moi pour les exercices à deux, m’a dit, ne cherchant pas à masquer son chagrin : « Et la gym? Comment tu vas faire ? Que vas-tu devenir ? ». Touchée par son inquiétude, je lui ai alors expliqué que, bien que Zaragoza soit The Place to Be et la ville qui dicte la mode et les nouvelles tendances (c’est bien connu !), il existait des clubs ailleurs et que, à force de déménagements, je pourrais presque écrire un guide sur le sujet. Son admiration à mon égard a alors grimpé en flèche, en même temps que son désespoir de me voir partir. La serrant dans mes bras, je lui alors promis de « toujours garder la cuisse ferme et le mollet galbé ». L’administration du club a prévu de mettre à l’entrée un drapeau en berne pendant plusieurs mois, le temps que le deuil se fasse.

Comme dans tout changement, je sais ce que je quitte mais je ne sais pas ce qui m’attend. Je me demande en effet quelles surprises l’avenir réserve à un scribouillard bohême comme moi dans un pays où le président parle en ces termes de mes camarades journaleux : « Les journalistes, ce sont des nullards, il faut leur cracher à la gueule, il faut leur marcher dessus, les écraser. Ce sont des bandits. Et encore, les bandits eux, ont une morale. » Nico, ta poésie illumine ma journée, toujours la grande classe. La liberté d’expression est-elle menacée d’extinction dans le pays des droits de l’homme ? Aurons-nous bientôt comme seule source d’information que le journal de Jean-Pierre Pernaut qui passera en boucle ? Non pas ça, plutôt le goulag ! Courage fuyons ! Mais pour aller où ?

dimanche 19 avril 2009

Consommation durable ?















Avec la crise, l'hyperconsommation s'est réduite comme peau de chagrin. Qui peut encore se permettre d’acheter sans regarder les prix ? De nos jours, tout se calcule, compare, mesure, pèse, sous-pèse, avant le passage à l’acte, désormais conscient et réfléchi.

L’un de mes amis que je rebaptiserai Pépé est passé maître dans l’art du marchandage. Sa devise est depuis toujours : « Il n’ya pas de petites économies. » et, en ces temps difficiles, son style approche de l’excellence. De passage dans ma ville natale, je l’ai accompagné dans une séance de shopping et ai pu observer l’artiste à l’œuvre, muette d’admiration et… d’effroi. En moins d’une heure, il a renouvelé son service de vaisselle grâce à des bons de réduction, dévalisé la réserve d’échantillons gratuits d’un grand magasin sans rien acheter, fait le plein de viande en promotion en payant avec des tickets restaurants, menacé un commerçant qui avait refusé une ristourne de 8 euros à sa mère etc.

Il faut dire que les chiffres, Pépé est tombé dedans quand il était petit. Porté par sa passion, il est devenu banquier, ne rate jamais son émission préférée, Combien ça coûte, et le soir il s’endort avec bonheur en songeant aux économies réalisées et à venir, tout en fredonnant le célèbre tube d’Abba : « Money, money, money, it’s a different world…». Pépé reconnaît que son comportement est un peu obsessionnel mais c’est ce qui fait sa spécificité et son charme. La photo de ce serial négociateur est placardée dans toutes les boutiques de la ville et il est interdit de séjour dans le magasin de mon père qui, après 50 ans de dur labeur, mérite de couler des jours paisibles.

J’ai suggéré à Pépé de coacher des « blondes comme moi » car, bien qu’ayant surmonté notre tendance naturelle aux achats compulsifs, nous n’en restons pas moins des victimes faciles pour des commerçants peu scrupuleux. Je me revois encore sortant du grand souk de Marrakech les bras chargés d’objets inutiles qui allaient me couter le prix fort en supplément bagages ou au bord de la crise de nerfs, en rade sur une petite route folle dominicaine, en train de supplier un garagiste louche de me porter secours. Chacun fait son beurre comme il peut dans cet univers impitoyable.

A l’inverse, certains affichent une forme de solidarité. On voit en effet fleurir des pancartes qui proposent des « menus anticrise » ou des « tarifs de crise ». S’agit-il véritablement de prix cassés ou de basses stratégies de marketing direct pour attirer le chaland ? La terminologie est de toute façon mal choisie car nous en avons assez de faire cheap et ces constants rappels de notre douloureuse réalité nous agacent plus qu’autre chose. Avis aux annonceurs : creusez-vous les méninges et privilégiez des tournures plus alléchantes comme équitable, populaire etc.

Dans un registre plus glamour, Londres, qui dicte toujours les nouvelles tendances, a remis à la mode la pratique du troc. Les soirées « swap » ou « vide dressing » font maintenant un tabac un peu partout. Le principe est simple et convivial : on donne ou échange des fringues, chaussures et accessoires à travers un réseau d’amateurs de mode. On fait ainsi du neuf avec du vieux, gaspille moins et recycle. C’est dans l’air du temps et en accord avec les exigences du développement durable. Malheureusement une mordue de shopping comme moi a du mal à lâcher un jean diesel contre un tee-shirt distendu de chez H&M, Made in India par un enfant de 5 ans payé symboliquement 1 euro par mois. Il ya des limites à l’entraide et à la solidarité. Contaminée par Pépé, je vois surtout dans ces rencontres un moyen de renouveler ma garde-robe sans me ruiner. Je n’ai pas trop de scrupules car sans la baisse du pouvoir d’achat tous ces enfants gâtées de la société de consommation n’auraient connu comme grande messe de rassemblement que les soldes, où ils se seraient entre-tués pour un bout de chiffon. Je vais d’ailleurs proposer à Pépé de faire le plein de vieilles fripes pourries et, telles les vamps avec nos caddies pleins à craquer, nous irons les troquer contre du Gucci, Prada… Pour gagner en crédibilité, nous pourrons même mettre des fausses étiquettes. « Si, si, c’est du Dior, collection automne-hiver 2004 », mentirons-nous, en prenant notre air le plus innocent. Pépé salive déjà mais il y a un hic, ces soirées sont en général réservées aux filles. Cela m’a donné l’idée de lancer des rencontres mixtes mais attention on échangera des vêtements et uniquement des vêtements. A bientôt pour le premier rendez-vous « troc dating» où vous serez tous conviés.

samedi 11 avril 2009

Joyeuses Pâques














L’Espagne est l’un des pays européens parmi les plus sévèrement touchés par la crise économique mondiale et le taux de chômage pourrait atteindre 20% d’ici la fin de l’année. En réaction à la morosité générale, des articles proposant des alternatives pour ne plus subir le problème mais lui faire face se multiplient. On nous incite par exemple à changer de métier et à nous recentrer sur des choses qui nous tiennent vraiment à cœur. C’est un peu ce que je suis en train de vivre à travers cette incursion de quelques semaines dans l’enseignement catholique, avec quelques réserves tout de même. En ces temps qui boitillent, l’Eglise est un secteur qui embauche. Avis aux candidats !

Immergée dans ce nouvel univers, je reste tout de même sur mes gardes, attentive aux signes de fanatisme religieux ostensibles mais tout semble dangereusement normal. Il y a évidemment les inévitables portraits de Jésus et autres divinités moins starisées, des affiches appelant à manifester contre l’avortement, la chronique matinale de la « voix de Dieu » mais les adolescents ont le droit de se vêtir comme leurs homologues du « monde libre » et je n’ai encore croisé personne en soutane. L’endoctrinement se fait de manière plus subtile. Au détour d’un couloir, je tombe sur une affiche dont le titre m’interpelle car c’est la traduction en espagnol du célèbre film interprété par James Dean, La Fureur de Vivre. La référence est évidente car on voit un jeune homme chevelu tenant négligemment une guitare. Il semble en pleine déroute, comme le souligne le slogan principal « Tu es perdu ? ». Il faut s’approcher pour lire ce qui est écrit en bas et en tout petit. Une solution à son mal être lui est suggérée : « DEVIENT JESUITE ! », avec l’adresse d’une page web pleine de promesses : http://www.jesuitas.es/. Ils sont forts en com ces cathos !

Par curiosité, j’ai visité le site. J’ai pu constater une nouvelle fois les efforts faits au niveau de la promotion de l’image : ergonomie claire et soignée, couleurs vives, multiples photos de fêtes et de voyages, rubrique carrière avec des témoignages enthousiastes de disciples de Jésus. On trouve même une section FAQ qui stipule, entre autres, que les candidatures féminines ne sont pas acceptées. Zut alors, c’est toujours la même chose, les chouettes boulots sont toujours réservés aux hommes... Poursuivant la lecture de la rubrique, j’en ai appris d’avantage sur les conditions maritales et matérielles. Le rédacteur essaie de noyer le poisson mais deux mots clés finissent par s’imposer : « CELIBAT et PAUVRETE ». Tout de suite, la perspective « d’entrer dans les ordres » est moins séduisante, voire carrément inconcevable.

Je pourrais d’ailleurs interroger les confesseurs de la basilique Pilar sur leurs avantages, primes, RTT etc. Cela ferait un papier terrible qui aurait comme chapô : « Petites confidences d’un confesseur. Il a tout entendu, il vous dit tout. » Avant de vivre à Saragosse, je pensais que cette fonction d’ « Oreille de Dieu » n’existait que dans les vieux films italiens. Pourtant ces hommes sont bien réels, enfermés dans leur petite guitoune sinistre. Les non initiés aux us et coutumes catholiques comme moi hésitent à leur demander le chemin des toilettes ou de la banque la plus proche, en anglais bien sûr. Dieu est un concept international après tout. Pardon Seigneur j’ai péché !

Le quotidien El Pais révélait cette semaine un autre coup de maître de l’Eglise espagnole, en matière de recrutement. La Semana Santa bat son plein en ce moment et avec elle le défilé presque ininterrompu des processions. Or il y a un an, la ville de Melilla en Andalousie a frôlé le drame. Faute d’un nombre suffisant de porteurs, la Vierge Maria Santisima a failli rater sa grande sortie. Les organisateurs ont été plus prévoyants cette année en enrôlant 34 sans papiers, arrivés illégalement en Espagne et résidant dans un centre de rétention. Ils avaient également pensé faire appel à des Machu Picchu au chômage mais leur taille moyenne ne dépassant pas 1m50 les bras levés, la Vierge aurait fait un parcours en rase-motte, indigne de sa sainteté.

Les pays d’origine de ces clandestins ne laissent point de doute sur leur ferveur catholique : Inde, Maroc, Pakistan… Le maire de Melilla a déclaré que Dieu était le même pour tous et salué l’effort d’intégration de ces « volontaires ». Il semble que l’Eglise remette au goût du jour l’évangélisation forcée. Dans leur rêve d’Europe, ces catholiques tout neufs dont la connaissance de l’espagnol doit se résumer à « Si Señor » pouvaient-ils imaginer que leur premier job serait figurant dans un bal masqué organisé par le Ku Klux Klan ? Joyeuses Pâques.

samedi 4 avril 2009

Le plus beau métier du monde ?




















Comme titre, j’avais pensé également à « Bienvenue en Enfer » mais je me suis dit qu’on tombait trop dans le tragique. Vous l’aurez compris, ma mission actuelle de professeur dans le collège « Maria Jesus El Salvador » n’a pas éveillé en moi une vocation tardive pour l’enseignement, loin de là. Il n’y a rien de jouissif à apprendre trois mots de français à une bande de gamins agités ni à jouer le rôle du méchant flic car au fond je suis comme eux. Moi aussi j’ai envie de pouffer en entendant les élucubrations de la « voix de Dieu » qui prêche la bonne parole tous les matins dans les haut parleurs (avant 10h, c’est France Inter ou rien), tirer les cheveux de la petite grosse à lunettes, me faire remarquer en allant cinq fois aux toilettes, dormir sur la table (surtout pendant le sermon matinal), jeter des bouts d’élastique sur mon copain Carlos (un jour je saurai pourquoi), faire l’école buissonnière…

On me dit que j’ai de la chance car les classes comptent à peine une vingtaine d’élèves et que ce sont des enfants relativement faciles, dressés dès le plus jeune âge, suivant les bonnes vieilles méthode jésuites. Il faut souligner tout de même que nous sommes en Espagne et que le niveau sonore des bavardages est tel qu’il double, voire triple les effectifs réels et la consommation d’aspirine des professeurs. Je pense soudain à ma mère qui totalise 38 ans de bons et loyaux services dans l’enseignement public et elle m’inspire une admiration grandissante. Elle a tenu bon face à des hordes de fauves toujours plus enragés et n’a pas pris un aller simple pour l’une des nombreuses «maisons de fous » sponsorisées par l’Education Nationale ni fait le choix des armes comme Isabelle Adjani dans La Journée de la Jupe. Dans ce film sorti récemment, Adjani interprète le rôle d'une professeur de français malmenée, chahutée, humiliée par sa classe dans un collège difficile de la banlieue parisienne et qui finit par prendre ses élèves en otages suite à la découverte d'une arme dans le sac d'un des adolescents. Le scénariste est probablement un vétéran de la « guerre de l’éducation ».

Je compatis en pensant au chemin de croix des professeurs de musique, obligés d’entendre chaque jour des centaines d’élèves massacrer à la flûte les grands classiques, ou des professeurs de philosophie, qui ont pour mission impossible d’inculquer les rudiments de la pensée de Platon à une assistance ignare nourrie de non culture hollywoodienne.

Je me repens car moi aussi j’ai péché, en étant bavarde, inattentive, rebelle, insolente… C’est promis je ferai mon mea culpa si je recroise l’un de mes anciens professeurs.

Cette expérience aura été tout de même bénéfique car je songeais il ya quelques temps préparer le CAPES, attirée par la garantie d’un emploi stable et le sentiment d’avoir une vraie utilité sociale. Cette option est désormais définitivement écartée. J’ai fermé pour toujours la porte de l’enseignement secondaire l’année de mon bac et il n’y aura pas de retour en arrière.

Qui ose parler de vocation pour définir ce métier ? Les professeurs sont tout simplement jetés en pâture, condamnés à survivre en milieu hostile et à essayer tant bien que mal de sauver leur peau. Je défis ceux qui aiment utiliser le slogan « enseignants feignants » de venir tester ne serait-ce que quelques heures leur capacité de résistance. La tendance actuelle est aux échanges de postes, histoire de sortir de la routine et de voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Avis donc aux amateurs : venez vivre 24h de la vie d’un professeur !

A ce sujet, un canadien a eu une idée originale en 2007. Ne sachant pas ce qu’il voulait faire dans la vie, ce jobtrotter a décidé de tester un emploi par semaine pendant un an, et il a ainsi occupé successivement 52 postes en 52 semaines (http://www.oneweekjob.com/). Quel métier je pourrais bien essayer maintenant ? Médecin urgentiste bien sûr ! Je nourris un vieux rêve depuis toujours : répondre « Oui, moi » à la question « Y a-t-il un médecin dans l’assistance ?» puis établir un diagnostic long et complexe en utilisant de pseudo termes scientifiques latins et surtout je voudrais vérifier le mythe selon lequel les hôpitaux sont de vastes baisodromes où l’on croise des Georges Clooney à tous les coins de couloirs… Georges, j’arrive !