mardi 31 mars 2009

Printemps social à l'espagnole














Tous les coachs professionnels conseillent la pratique régulière de sport en période de recherche d’emploi, afin de garder un moral et un tonus d’acier. Fidèle à ces préceptes, je me rends presque tous les jours dans un club de fitness, plein à craquer de « desesperate housewifes ». Sans me fondre dans la masse de ces fausses blondes désœuvrées, je suis désormais acceptée, même si je ne participe pas au débat quotidien sur les derniers rebondissements de Fama, la Star Académie espagnole version danse. Ma nationalité fait toujours l’objet d’un jeu de devinettes interminable : russe, anglaise, américaine, roumaine… Autre conséquence de leur connaissance étendue de l’étranger, j’ai renoncé à la prononciation correcte de mon prénom pour opter pour une version hispanisée, intelligible de toutes : « Baleria ».

Les journées se suivent et se ressemblent, pourtant aujourd’hui, il régnait une atmosphère particulière, presque électrique et cela n’avait rien à voir avec le changement d’heure ou le brusque rafraichissement du temps. Un rassemblement s’était formé dans le vestiaire où le volume sonore était encore plus élevé que d’habitude. Une des blondes a foncé vers moi : « tu es au courant, ils vont avancer tous les cours de 30mn ». J’ai pris un air bouleversé, mesurant l’impact majeur sur mon emploi du temps surchargé. J’ai pensé aussi que cela allait impliquer une réorganisation totale pour toutes ces femmes : écourter la sieste, décaler la séance de manucure, trouver un autre créneau pour le 5 à 7 heures avec Tony de la muscu, renoncer à leurs devoirs de mère et laisser Juju rentrer seul de l’école pour ne pas rater le cours d’abdos-fessiers etc. La vie semble parfaite et soudain tout s’écroule. La blonde a poursuivi, porte-parole de la grogne collective : « C’est sûrement à cause de la nouvelle prof de funky. Depuis son arrivée, il n’y en a que pour elle et elle impose ses horaires. Quelle garce ! ». Que faire alors ? Un boycottage collectif du cours de funky s’est rapidement organisé. J’ai exprimé ma solidarité, tout en émettant quelques réserves quant à mon implication, ne sachant pas si je serais là dans un mois et n’ayant rien contre la brunette funkera.

Il y a eu aussi dimanche dernier une mobilisation massive, d’ampleur nationale. Les rues des grandes villes espagnoles étaient noires de monde ou plutôt rouges, de la couleur des tee-shirts et des casquettes des participants. De loin, on aurait pu croire à un sursaut de l’extrême gauche pour proposer une alternative à la dépression économique et sociale mais la symbolique des couleurs est trompeuse et il s’agissait en fait de la première grande manifestation contre un projet du gouvernement espagnol d'autoriser pleinement l'avortement. Des slogans comme "Il n'existe pas le droit de tuer, il existe le droit de vivre", étaient en tête des cortèges. Une jeune fille à peine sortie de l’adolescence, tenant une poussette multiplace dans chaque main, hurlait : « Avortons la loi, pas la vie ». Les vieux n’ont pas le monopole du bigotisme et la séparation entre l’Eglise et l’Etat est loin d’être consommée en Espagne.

Les milieux catholiques, farouchement opposés au projet de loi, n’ont pas lésiné sur le budget communication. Le coût de la manifestation de dimanche est estimé à 100 000 euros et les évêques ont lancé une campagne anti-avortement, diffusée sur 1.300 panneaux à travers le pays, pour dénoncer le fait que, selon eux, les animaux en voie de disparition comme les lynx sont mieux protégés que les embryons humains.

Actuellement, l'avortement n'est autorisé en Espagne qu'en cas de viol dans un délai maximum de 12 semaines de grossesse, de malformations du fœtus (22 semaines) ou en cas de "danger pour la santé physique ou psychique de la mère" (sans limitation de temps). Que diraient les 343 salopes signataires du fameux manifeste en 1971 de cette législation encore féodale ?

Heureusement d’autres images de l’actualité s’inscrivent plutôt dans l’héritage de mai 68 : les manifestations contre le processus de Bologne, qui prévoit la mise en place d’un espace européen de l’éducation supérieure. Les étudiants espagnols sont particulièrement mobilisés contre ces réformes, dénonçant la commercialisation de l’université et le glissement vers un système élitiste. Il ya régulièrement de « joyeux affrontements » avec les forces de l’ordre. « Autrefois, nous n'avions que le pavot. Aujourd'hui, le pavé », chantaient leurs aînés. Des dizaines d’entre eux occupent également les locaux des universités. Ces actions, en plus de leur portée révolutionnaire, permettent à ces jeunes d’expérimenter la vie en communauté, d’échapper au tanguysme généralisé et de profiter d’un hébergement à moindre coût. Seul inconvénient et comme le commentait une étudiante qui avait approché les « territoires occupés » : cela commence à sentir le fauve. En effet l’option, pourtant économique, femme de ménage équatorienne n’est pas incluse dans le package squat. L’idéalisme de ces jeunes sera-t-il plus fort que l’odeur pestilentielle ? Courrez camarades, le vieux monde est derrière vous…

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