jeudi 19 mars 2009

Que le peuple s'amuse !
















L’économie est en berne mais le moral des espagnols reste au beau fixe, dès qu’il s’agit de sortir et s’amuser. L’esprit de fête, tellement caractéristique de ce peuple, n’est pas encore mort, en témoigne un rendez-vous incontournable : las Fallas de Valence. Chaque année, en mars, Valence s’anime avec l’apparition d’immenses personnages de carton-pâte installés à tous les coins de rue. Pendant une semaine, l’ambiance est à son comble, entre processions, rafales de pétards le jour et feux d’artifice la nuit. Avant un grand feu de joie final, qui réduira en cendres ces sculptures éphémères...

Qui dit événement populaire dit mode de transport adéquat : l’autobus. La compagnie qui permet de relier Saragosse à Valence porte un nom particulièrement exotique et enchanteur : Autobuses Jimenez… Il réveille surtout des souvenirs d’enfance puisque qui n’avait pas un Jimenez dans sa classe, assis avec les rebelles du fond ? Dans mon cas, il s’agissait une famille de gitans fous qui ont persécuté et traumatisé des milliers d’écoliers. A la simple mention du nom de cette tribu d’enfants sauvages, nous fuyions sans nous retourner, nous délestant de tout surpoids inutile, comme nos cartables Tan’s pleins à craquer. L’apprentissage de la survie dès le plus jeune âge !

La fête commence pendant le voyage, et, peu importe le lieu ou l’occasion, les comportements sont universels. Le bus est plein de bandes de jeunes qui consomment de l’alcool sans modération, ne sachant pas exactement ce qu’ils célèbrent mais vivant l’instant pleinement. Profitez-en car vos homologues français sont désormais entrés dans l’ère de la prohibition généralisée, avec la nouvelle interdiction de vente d’alcool au moins de 18 ans. J’avoue avoir quelques réserves par rapport à ce type de rassemblement, depuis un certain été où j’avais travaillé comme serveuse pendant la Feria de Dax. Cette expérience m’a permis d’aborder la beuverie collective sous un autre angle et de connaître l’envers du décor, d’un point de vue sobre. Je me revois encore animée d’un profond sentiment de solitude avant d’aller courageusement prendre la commande de hordes de « rugbypèdes » assoiffés (et pas seulement d’alcool), et ce en dépit de cubis ingénieusement reliés à leur bouche par des tuyaux et fixés sur le dos. "Fataaaaal !"

Valence a une délicieuse spécialité : l’agua de Valencia, mélange de cava et de jus d’orange, mais les jeunes espagnols préfèrent le calimocho, préparation à base de vin rouge et de coca cola (ô sacrilège !). Cette potion maléfique aura raison de certains de mes compagnons de voyage. Il y en a un surtout qui ne verra jamais Valence, oublié comme un vieux chien galeux sur une aire d’autoroute. Il fait des grands signes mais aucun de ses « amis » ne semble avoir noté son absence. Adios muchachito !

La fête bat son plein dans la rue. Il ya beaucoup de monde et surtout beaucoup de bruit, grâce à la charmante coutume des « petardos ». Les falleros, toutes générations confondues, ont les poches pleines de munitions et s’en donnent à cœur joie. Un grand jeune homme, sorti depuis très longtemps de l’adolescence, lance une série des pétards tout en renversant un peu de bière sur mes chaussures. Il sautille sur place, tout content de lui. Je lui lance un regard assassin, et il baisse la tête, tout penaud. Comme le dit si bien Bedos : « On peut être du côté du peuple mais on n’est pas obligé de vivre avec». Et puis il s’agit sûrement de l’un de ces Tanguy attardés, à qui j’aurais finalement rendu service, lui faisant prendre conscience de l’urgence de s’émanciper.

Le climax sonore est atteint au moment de la mascleta, véritable spectacle pyrotechnique de poudre laissant le spectateur abasourdi et en pleine extase. Tous les jours à 14 heures, un tonnerre d’explosions éclate, un nuage de fumée opaque enveloppe la foule qui frissonne de plaisir, la valse des hélicoptères donne le tournis… This is the End… Ce n’est pourtant pas une scène d’Apocalypse Now mais une tradition populaire aux origines mystérieuses.

Les Fallas, c'est aussi et avant tout la liberté d'expression excluant toute censure, qu'elle soit politique, sociale, religieuse ou morale. Les géants de carton permettent ainsi de faire la satire joyeuse des puissants. La mairesse actuelle, Rita Barberá, n'est jamais épargnée, souvent représentée dans des situations cocasses. Il faut dire qu’elle est une source d’inspiration inépuisable : lesbienne, farouchement conservatrice et membre du clan des méchants, le Partido Popular régulièrement éclaboussé de scandales. C’est curieux, j’ai toujours cru que les homosexuels, après des années d’oppression et de ségrégation, ne pouvaient être que progressistes, athées et de gauche. Rita Barberá en est le contre-exemple vivant. Elle fait une apparition au balcon, mal à l’aise dans un tailleur jupe classique imposé et cernée de vieux sbires à l’air sinistre. Bien fait ! Si elle avait été de gauche, elle aurait pu risquer le cuir noir et enlacer sa compagne par la taille. Nous sommes loin des héroïnes de L World, série américaine destinée à casser l’image de la lesbienne camionneuse et qui montrent de séduisantes jeunes sylphides en chaleur, purs produits de fantasmes masculins. Rita Barberá, à l’inverse, a du inspirer Josiane Balasko pour son interprétation dans « Gazon Maudit ». Même de loin, nous percevons la fumeuse de cigares et la buveuse de scotch sec sans glace.

Ayant une irrésistible envie de calme, nous nous réfugions sur une plage presque déserte afin de déguster une paella tout en sirotant de la sangria. Une manière bien agréable de ne plus penser… Les espagnols ont décidément tout compris.

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