mercredi 18 mars 2020

Le Masque de la Mort Rouge



Le Masque de la Mort Rouge est un conte d’Edgar Allan Poe adapté au cinéma par Roger Corman. L'Italie, au XIIe siècle. Une épidémie de mort rouge, une peste d'une violence effroyable, frappe la contrée. La mort rouge doit son nom aux douleurs aigues et aux suintements de sang par les pores de la peau, qui colorent les vêtements et le visage, donnant à la victime un aspect repoussant. Une fois ses domaines à moitié dépeuplés, le prince Prospero s'enferme avec un millier de ses courtisans dans une de ses abbayes fortifiées. Là, isolés du reste du monde à l'agonie, ils vivent, s'amusent, en vase-clos. Une nuit, Prospero organise un bal masqué et aperçoit un individu avec un masque de mort rouge, plaisanterie qu'il trouve de fort mauvais goût. Il poursuit l'inconvenant et quand celui-ci se retourne, Prospero meurt. Les courtisans ôtent le masque et réalisent que la mort rouge est maintenant parmi eux. Ils meurent tous.

Toute ressemblance avec l’épidémie de Coronavirus COVID-19 serait fortuite et je nous souhaite un destin moins chargé en hémoglobine. L’allégorie est tout de même intéressante. La fête est provisoirement finie, on a trop tiré sur la corde et cette crise sanitaire est un signal d’alerte. Il est urgent de ralentir et de repenser notre rapport au monde.

L’économie mondiale va en prendre un sacré coup et aucun secteur ne sera épargné. Le rythme de consommation doit être réduit à l’essentiel et privilégier la proximité. Une véritable cure de désintoxication pour la shoppeuse invétérée que je suis, même si les marques de vêtements me bombardent de messages qui garantissent la livraison à domicile. Je refuse de cautionner l’esclavagisme dans les entrepôts type Amazon et l’uberisation de la société.

Ce virus nous tombe littéralement dessus et est sur toutes les lèvres. Le scénario est digne d’un épisode de Black Mirror sauf que cette fois, l’héroïne, c’est moi. Nous avons engagé un combat mais l’ennemi reste abstrait, invisible. La situation est inédite et nombreux sont ceux qui s’improvisent spécialistes en médecine ou en stratégie politique, contribuant à la confusion et à l’inquiétude.

Tout le monde est concerné : jeunes, vieux, riches et pauvres. Personne n’est à l’abri et il est important de penser collectif tant à notre niveau local qu’à l’échelle mondiale. Inutile de dévaliser les supermarchés ou de construite des remparts de rouleaux de papier hygiénique autour de chez vous, le masque de la mort rouge peut à tout moment frapper à votre porte.

D’éminents savants prédisent que l’on va renouer avec le mode de vie de nos grands-parents. J’ai fortement pensé hier à ma chère Mamie Jeannette qui me racontait souvent sa vie quotidienne pendant la seconde guerre mondiale, les queues interminables devant les magasins d’alimentation et la frustration de découvrir des étals vides. Elle a vécu l’occupation allemande, moi je pourrai raconter la guerre du papier cul et du paquet de nouilles ! Des carnets de rationnement seront peut-être mis en place pour calmer la frénésie de stockage et les scènes de guerre au rayon surgelés.

Notre cher service public outragé, brisé, martyrisé est soudain salué pour son héroïsme ! Médecins, infirmiers, enseignants, policiers sont en première ligne pour maintenir la démocratie et le fonctionnement général. Il y’a encore deux semaines, ils étaient dans la rue pour réclamer des conditions de travail décentes et une retraite non réduite à peau de chagrin, sans être écoutés et se voyaient imposer un système pénalisant. Bravo à tous pour votre engagement et votre mobilisation qui prouvent que l’intérêt général est plus fort que tout.

Le couvercle vient de se refermer sur la France et le confinement va bouleverser notre quotidien. Certains appréhendent l’isolement social et la privation de liberté de mouvement, d’autres la cohabitation renforcée avec leur conjoint et leurs enfants. J’envisage depuis longtemps de faire une retraite mais je pensais davantage à un format « une semaine en pleine nature ». N’ayant pas le ausweis spécial, je ne vais pas voir mes parents pendant plusieurs semaines. Ils habitent à 4km à vol d’oiseau de chez moi. Si loin, si proches, en ces temps troublés, chaque pâté de maisons compte pour un océan. Une traversée de la ville en paddle par le Canal du Midi est peut-être envisageable mais déjà les hélicoptères tournent dans le ciel. Plutôt que de faire du cyclotourisme la fleur au fusil, j’aurais dû m’inscrire à un stage commando lors de mes dernières vacances.

C’est l’épreuve de feu pour tester la solidité des couples mais aussi l’occasion rêvée de rétablir le dialogue avec les adolescents boudeurs, le tout dans une ambiance surchauffée par la soudaine oisiveté et la consultation abusive des réseaux sociaux. Le gouvernement a-t-il anticipé sur le potentiel pic de divorce et d’abandon d’enfants ? 

Dans ce moment privilégié avec nous-même, nous allons prendre du recul par rapport à notre parcours professionnel. Les salariés en bore out seront peut-être contents de pouvoir se planquer chez eux avec la bénédiction de la grande entreprise protectrice, en voyant tous ceux qui seront fragilisés ou resteront sur le carreau. Et combien de parisiens hurleront « sauve qui peut ! » et se réinventeront un destin de garde forestier, après avoir étouffé dans leurs appartements minuscules ? L’Ariège repeuplé d’un coup par un afflux de néo-ruraux… Restez chez vous !

Je fais partie des privilégiés en col blanc qui peuvent télétravailler.  Ce mode de fonctionnement à distance a explosé avec les évènements des derniers mois. Mes responsables freinaient les quatre fers, craignant le manque de responsabilité et une attraction inévitable pour le canapé et les loisirs créatifs. Désormais ils n’ont plus le choix et continuent à équiper des collaborateurs en urgence. Arrêtés les déplacements superflus et percés à jour ceux qui pensent dissimuler leur insuffisance professionnelle par une incessante mobilité et un goût démesuré pour la réunionite. Mais leur pire cauchemar finit par se produire. Comment ces petits chefs sans imagination vont réussir à occuper une flotte dédiée aux relations publiques privée de contacts et de terrain? Point stratégique demain. Je rigole d’avance.

Dès l’annonce du passage en stade 3, j’ai su anticiper et gérer les priorités. J’ai récuré l’appartement à la javel, me suis épilée et ai un fait le plein de produits de beauté. J’ai obtenu un rendez-vous in extremis samedi avant que le rideau de fer ne tombe sur les instituts. Je n’ai pas reconnu tout de suite Marie, mon esthéticienne habituelle, car elle portait un masque. Marie est fan de séries médicales et réalisait un rêve secret, à défaut de protéger sa santé. Je lui ai juste précisé qu’il fallait arracher et non inciser. Le kiff aura été de courte durée car Marie est depuis cet épisode au chômage partiel dans son petit studio du centre ville. Grâce à son dévouement et en cas d’hospitalisation, je serai digne et impeccable. Lorsqu’on évoque les corps professionnels vitaux, on oublie souvent les esthéticiennes. Mes amies espagnoles ont manqué de réflexes et pleurent encore la clôture des salons de coiffure. Elles garderont leurs racines ou improviseront à la maison. Courage les filles car lorsque nous sortirons, loin de nous l’idée de nous présenter hirsutes et mal fagotées aux yeux du monde !

Finis aussi pour un temps le cinéma, les cours de danse avec les copines, la salle de sport, les concerts, le théâtre, tous ces lieux qui étaient il y a quelques jours encore à portée de main. Je vais pouvoir lire l’intégrale de Proust, voir enfin les 8 saisons de Game of Thrones ou me lancer dans les jeux en ligne.  Le gouvernement a pensé aux accros à la nicotine en laissant ouverts les bureaux de tabac. Un sevrage forcé combiné au confinement de longue durée pourrait causer plus de carnage que n’importe quelle attaque bactériologique. Nos dirigeants n’ont pas non plus oublié les shootés aux endorphines et nous laissent nous injecter notre dose journalière. Il est possible de sortir courir dans son quartier. J’ai fait le test tout à l’heure. Aucun Ayatollah armé d’une kalashnikov ne m’a arrêtée pour me reconduire de force chez moi. Si les mesures se durcissent, les Iron Men rejoindront le Maroc à la nage. 

Nous allons improviser une convivialité à distance pour mieux supporter cette épreuve. En Italie, les habitants confinés organisent des flash mobs depuis leurs balcons. De mon côté, je pense lancer le concept d’apéro Skype sans frontières et intergénérationnel. Pourvu que la technologie ne nous lâche pas.

Je suis la première à me rebeller contre l’autorité et à vadrouiller en fonction de mes humeurs et envies. Mais cette fois, la révolution est de suivre les consignes et de rester à la maison.

J’espère revoir très vite le bleu de la Méditerranée, les sommets pyrénéens et surtout vous tous ! Vivement Le Jour d’Après. No Pasaran. Mucho animo a todos.


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