samedi 28 mars 2020

Youyou simple chien



En ces temps troublés de coronavirus, l'organisation de notre société est totalement chamboulée et se recentre sur l'essentiel. Les cadres du secteur tertiaire sont confinés chez eux, confrontés à leur incapacité de produire. Les mamans sont renvoyées au foyer, bon gré mal gré, pour s'occuper des enfants privés d'école et de copains. « Travail, famille, patrie » oblige. Ce sont les paysans, les ouvriers, les employés smicard, les routiers, les bouchers, les boulangers, les éboueurs, les facteurs, les livreurs Deliveroo qui font tourner le pays. Bravo et merci à tous ces « derniers de cordée » et honte à certaines grandes enseignes qui promettent une prime minable de 1000 euros à leurs salariés, envoyés au front sans armes ni protection. La valeur du travail et le mérite de l’armée des invisibles sont reconnus un peu tard.

Je me sens tellement inutile, enfermée dans ma cage. J'ai honte de dire que comme beaucoup de français, je m'ennuie. Des chaînes de solidarité vont certainement se mettre en place pour les relayer et ainsi permettre à chacun de participer à l'effort collectif.

Le plus difficile à gérer est la soudaine privation de liberté et l'espace de circulation réduit à peau de chagrin. Non sans une certaine émotion, j'ai fait  il y a déjà une semaine et peut-être pour la dernière fois mon footing quotidien le long du Canal du Midi. Tous les parcs et jardins municipaux, les voies pédestres et cyclables des berges de canaux, cours d’eau et plans d’eau, les zones de loisirs, les sentiers de randonnée balisés sont interdits au public à compter du 21 mars 2020. Adieu cher Canal. Bientôt ce parcours devenu presque lassant me semblera plus beau que toutes les plages des Caraïbes réunies. J'ai bien fait de voyager avant. Je suis une récente convertie au slow tourisme et espère juste que cette proximité retrouvée ira au-delà de la porte de mon appartement.

Depuis, je croise mes camarades joggeurs qui font des tours et détours dans le quartier en mode schizophrénique et en foulant frénétiquement le bitume. L’Etat français a t’il anticipé sur la recrudescence de tendinites  et prévu des kinés en renfort? D’autant plus qu’on observe un regain d’engouement pour la course à pied qui permet d’évacuer l’anxiété et surtout offre un alibi parfait pour prendre l’air. Les amateurs sont pourtant facilement reconnaissables avec leur tenue inadaptée. J’ai même vu un homme courir en espadrilles. À défaut de tester les personnes infectées, nos dirigeants pourraient tracer les vrais aficionados et étendre leur zone d’exercice.  Je peux fournir des tee-shirts finisher et présenter des classements honorables dans des trails. 

L'étau se resserre et des êtres à quatres pattes vont jouer un rôle essentiel : les chiens. Leur besoin de promenades régulières assure une mise en liberté conditionnelle à leurs heureux propriétaires. Youyou est le chien de ma voisine du dessus, Isabelle. C'est le seul chien de l'immeuble. Dans la mise en place de l'entraide entre voisins pour affronter ensemble cette crise inédite, tout le monde s'est immédiatement proposé pour sortir Youyou. La garde partagée est en cours de négociation.

Mauvaise pioche pour les amis des chats qui flânent à leur guise en totale autonomie. J’essaye de domestiquer un chat errant pour qu’il exécute un parfait catwalk dans la rue. « Si, si, Monsieur l’Agent. C’est un animal trans-espèce, en cours de transformation pour devenir un bichon maltais. Il a besoin de moi à ses côtés. » 

#Adopte un chien. Le célèbre site de rencontres a flairé le filon. Il vient de changer de public cible et improvise un plan marketing d'urgence. La pandémie touche aussi les rencontres amoureuses. Sale temps pour les célibataires et les relations adultères. Le chien est la valeur sûre du moment.

Rien n'a pourtant filtré dans les médias sur l'afflux de nouveaux convertis à la cause animale dans les refuges SPA. On nous cache tout, on nous dit rien. Après s’être rués sur les rouleaux de papier hygiénique, les mêmes hystériques veulent un gentil petit compagnon à tout prix. Un chien n'importe lequel pourvu qu'il fasse le job.

Dans cette économie qui se réinvente à la vitesse grand V, une opportunité unique se dessine pour les vieilles dames isolées en possession du saint graal: un caniche. Cette bête, objet constant de railleries, constitue potentiellement un business juteux. "Propose chien à balader. 100 euros la demi-heure et tarif dégressif à partir de 3 sessions réservées. Kit de ramassage de crottes inclus." Offre vue dans Le Bon Coin. Finies la solitude et les retraites maigrelettes. À vous de jouer Mesdames !

Il ne s’agira pas de renvoyer ces malheureuses bêtes à leur destin cruel de Lassie sans famille, une fois que tout sera fini. De toute façon, la nature aura repris le pouvoir et les animaux avec elle. Alors que l'humanité se réfugie entre quatre murs, la faune, elle, commence à se manifester un peu partout. C'est nous qui finirons promenés en laisse, dans une planète gouvernée par les chiens. La revanche de Brigitte Bardot. No Pasaran !

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