Chaque
mouvement est associé à une couleur symbolique pour mieux favoriser
l'identification et le rassemblement. Ainsi le jaune est devenu la
couleur des giletistes du samedi, le violet est celle des combats
féministes et il faut désormais compter avec le noir du Black
Friday, phénomène consumériste importé des États-Unis qui a pris
une ampleur inquiétante en seulement 3 ans.
Depuis
quelques jours, je suis bombardée de mails et de sms, agressée
visuellement par une surenchère d'affiches et de pancartes car
l'opération s'étale sur presque une semaine et contamine tous les
pans de l'économie. Mon esthéticienne m'invite pour une séance de
soins à prix cassés suivie d'un cocktail VIP. Ce vendredi
miraculeux freine t'il aussi la repousse des poils ? Ma banque qui se
vante de son engagement sociétal a mis en place des prêts spéciaux
Black Friday. Les offres de crédits clignotent sur son portail Web
comme pour mieux séduire les portefeuilles modestes et leur
permettre de participer au grand carnaval. Les compagnies aériennes
ne sont pas en reste et proposent des billets pas chers pour des
destinations de rêve mais, à y regarder de plus près, les périodes
proposées sont celles des cyclones ou les pays concernés ont
basculé récemment dans des guerres civiles sanguinaires.
Le
secteur marchand ne nous veut pas forcément du bien et le Black
Friday est un condensé des dérives du système actuel : arnaques,
incitation à la surconsommation, triomphe du low cost. Contre ce
modèle malade et à bout de souffle, beaucoup de voix s'élèvent
pour prôner une consommation raisonnée, basée sur le juste prix, et
respectant l'environnement et tous les acteurs de la chaîne.
Seule
une professeur de danse qui tire pourtant le diable par la
queue organise un stage ce fameux vendredi sans y coller
l'insupportable label. C'est tout à son honneur car en tant que
métis franco-burkinabe, elle pourrait surfer commercialement et en
toute légitimité sur le côté Black. Son exigence artistique le
lui interdit et elle est surtout déchirée depuis toujours par une
crise identitaire due à sa double origine. Black n' est pas son
métier.
Shoppeuse
devant l'éternel et panier percé assumé, je connais par cœur les
comportements d'achat inadaptés et résiste à ce racolage vulgaire
généralisé. J'attends les soldes de janvier comme au bon vieux
temps lorsque j'étais sur le pied de guerre dès l'aube pour ne pas
rater l'ouverture des Galeries Farfouillettes. Enfin presque...
Ma
salle de sport affiche une promotion Black Friday et, devant
renouveler mon abonnement, je me laisse appâter. Hélas, le discount
est réservé aux nouveaux clients, comme me l'explique la jeune
commerciale de l'accueil au regard las et craintif, habituée à la
déception et l'hostilité des chalands. Je décide de ne pas
défouler mon agacement sur cette malheureuse sous-fifre qui n'est
pas responsable de la malhonnêteté de ses employeurs, mais la
sermonne tout de même un peu. Les conditions de vente doivent être
clairement écrites dans la publicité et la réussite d'une
opération commerciale passe par la conquête mais aussi la
fidélisation.
La
pauvre fille est au bord des larmes et me confie qu'avec son salaire
de misère les portes du Black Friday lui sont définitivement
fermées. Son désarroi semble sincère et elle ne joue pas la carte
du misérabilisme pour me forcer la main. J'essaie de la réconforter.
La société est en train de se réinventer, portée par l'énergie
et les idées de la nouvelle génération dont elle fait partie. Le
bonheur dans le shopping est illusoire et le sentiment de vide nous
rattrape toujours. Elle peut être actrice d'un destin non dicté par
le Grand Capital. Une lueur d'espoir apparaît dans les yeux de mon
interlocutrice, complétée par un franc sourire lorsque je ressigne
pour 12 mois.
Vivement le 5 décembre et la convergence des luttes multicolores ! No Pasaran !
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