dimanche 1 décembre 2019

Make Friday Green Again



Chaque mouvement est associé à une couleur symbolique pour mieux favoriser l'identification et le rassemblement. Ainsi le jaune est devenu la couleur des giletistes du samedi, le violet est celle des combats féministes et il faut désormais compter avec le noir du Black Friday, phénomène consumériste importé des États-Unis qui a pris une ampleur inquiétante en seulement 3 ans. 

Depuis quelques jours, je suis bombardée de mails et de sms, agressée visuellement par une surenchère d'affiches et de pancartes car l'opération s'étale sur presque une semaine et contamine tous les pans de l'économie. Mon esthéticienne m'invite pour une séance de soins à prix cassés suivie d'un cocktail VIP. Ce vendredi miraculeux freine t'il aussi la repousse des poils ? Ma banque qui se vante de son engagement sociétal a mis en place des prêts spéciaux Black Friday. Les offres de crédits clignotent sur son portail Web comme pour mieux séduire les portefeuilles modestes et leur permettre de participer au grand carnaval. Les compagnies aériennes ne sont pas en reste et proposent des billets pas chers pour des destinations de rêve mais, à y regarder de plus près, les périodes proposées sont celles des cyclones ou les pays concernés ont basculé récemment dans des guerres civiles sanguinaires. 

Le secteur marchand ne nous veut pas forcément du bien et le Black Friday est un condensé des dérives du système actuel : arnaques, incitation à la surconsommation, triomphe du low cost. Contre ce modèle malade et à bout de souffle, beaucoup de voix s'élèvent pour prôner une consommation raisonnée, basée sur le juste prix, et respectant l'environnement et tous les acteurs de la chaîne. 

Seule une professeur de danse qui tire pourtant le diable par la queue organise un stage ce fameux vendredi sans y coller l'insupportable label. C'est tout à son honneur car en tant que métis franco-burkinabe, elle pourrait surfer commercialement et en toute légitimité sur le côté Black. Son exigence artistique le lui interdit et elle est surtout déchirée depuis toujours par une crise identitaire due à sa double origine. Black n' est pas son métier. 

Shoppeuse devant l'éternel et panier percé assumé, je connais par cœur les comportements d'achat inadaptés et résiste à ce racolage vulgaire généralisé. J'attends les soldes de janvier comme au bon vieux temps lorsque j'étais sur le pied de guerre dès l'aube pour ne pas rater l'ouverture des Galeries Farfouillettes. Enfin presque... 

Ma salle de sport affiche une promotion Black Friday et, devant renouveler mon abonnement, je me laisse appâter. Hélas, le discount est réservé aux nouveaux clients, comme me l'explique la jeune commerciale de l'accueil au regard las et craintif, habituée à la déception et l'hostilité des chalands. Je décide de ne pas défouler mon agacement sur cette malheureuse sous-fifre qui n'est pas responsable de la malhonnêteté de ses employeurs, mais la sermonne tout de même un peu. Les conditions de vente doivent être clairement écrites dans la publicité et la réussite d'une opération commerciale passe par la conquête mais aussi la fidélisation.

La pauvre fille est au bord des larmes et me confie qu'avec son salaire de misère les portes du Black Friday lui sont définitivement fermées. Son désarroi semble sincère et elle ne joue pas la carte du misérabilisme pour me forcer la main. J'essaie de la réconforter. La société est en train de se réinventer, portée par l'énergie et les idées de la nouvelle génération dont elle fait partie. Le bonheur dans le shopping est illusoire et le sentiment de vide nous rattrape toujours. Elle peut être actrice d'un destin non dicté par le Grand Capital. Une lueur d'espoir apparaît dans les yeux de mon interlocutrice, complétée par un franc sourire lorsque je ressigne pour 12 mois.

Vivement le 5 décembre et la convergence des luttes multicolores ! No Pasaran !


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