La colère gronde dans les rangs des livreurs à vélo Deliveroo. Ces forçats du bitume qui foncent coûte que coûte pour satisfaire nos envies pressantes de bouffe rapide font désormais partie intégrante du paysage urbain. « Deliveroo t’es foutu. Les bikers sont dans la rue ! », ont-ils hurlé en cœur dans plusieurs grandes villes. La principale raison de leur grogne est la mise en place d’un nouveau système de rémunération qui accentue leur précarité. Jusqu’à présent, les livreurs bénéficiaient d’un salaire mixte : 7,5 euros de l’heure, auxquels s’ajoutait un complément de 2 à 4 euros par livraison. Cela n’avait rien de mirobolant mais depuis fin août ils ne sont plus payés qu’à la course : 5,75 euros à Paris et 5 euros en province.
Alors que tous les calculs démontrent une perte financière conséquente, Deliveroo, symbole de l’ubérisation débridée, assume un positionnement décomplexé en matière de pratiques sociales et ose parler d’une stratégie gagnant-gagnant. L’entreprise se targue d’offrir une activité bien rémunérée et une liberté d’organisation qui n’a pas de prix. La décision est unilatérale et irrévocable. Même s’ils sont révoltés par ces méthodes honteuses de communication, ceux qui pédalent pour gagner leur vie n’ont pas d’autre choix que de signer ou partir.
L’ubérisation est née autour de séduisantes initiatives d’économie collaborative et portée par le déploiement des nouvelles technologies mais elle a rapidement dérivé vers un modèle beaucoup moins noble. Elle touche maintenant l’ensemble de la société et au lieu de produire du travail, elle le détruit.
Je me sens particulièrement concernée par le triste sort de
ces travailleurs « ubérisés » car je
suis en train de vivre la même chose au sein de la structure qui m’emploie, La
Ruche, supposée pourtant bienveillante et protectrice. A l’occasion d’une pseudo réunion stratégique, mes collègues et moi-même avons appris que notre activité serait prochainement mesurée grâce à un savant algorithme dont l’unique objectif est d’embrumer les
esprits et d’ainsi camoufler la volonté de réduire la masse salariale. En
prime, on essaie de nous faire croire que ce changement est une réelle opportunité et que nous allons rester dans une
dynamique de progression stimulante. Le plus insupportable n’est pas tant de
balayer l’humain au profit de la rentabilité mais de ne pas l’admettre
ouvertement, de nous considérer comme une bande de ménagères sans cervelle pour
qui le travail est plus un passe-temps qu’une nécessité.
J’ai d’abord pensé que notre service était sacrifié sans scrupule sur l’autel du Grand Capital car nous n’étions que des femmes mais, en découvrant les malheurs des cyclistes Uber qui sont majoritairement des hommes, j’ai compris qu’il ne s’agissait pas d’une simple affaire de discrimination. La tendance est au dégraissage général, sans distinction de sexe. Déjà vacillante, ma foi dans le monde de l’entreprise a atteint son point de non-retour.
Bosley, notre chef devenu un chevalier sans armure, et la
sinistre conjuration du CoDir exécutent les sales besognes mais quelqu’un
d’autre tire les ficelles depuis le sommet de l’organigramme. Le liquidateur
est une liquidatrice qui répond au nom de Cruella. Notre nouvelle Directrice
Générale a trouvé très tôt sa voie dans l’ultralibéralisme et le mépris des
classes laborieuses. Sa chambre d’enfant était tapissée de posters de Margaret Thatcher
à laquelle elle voue un véritable culte. Derrière ses faux airs de
quinquagénaire toujours dans la course et à l’écoute, Cruella met tout en œuvre
pour contrôler, écraser et soumettre. Le comble de la fumisterie a été
l’instauration d’un réseau social interne 100% féminin, à travers lequel les salariées peuvent échanger et avancer ensemble. Cet outil rétrograde prouve à quel point
Cruella est concernée par la condition des femmes. La pensée est verrouillée et
la langue de bois régule le dialogue. Les pires machistes sont souvent des
femmes de pouvoir.
Il est bien évidemment exclu de courber l’échine et de subir
la situation. Cruella et ses sbires exercent sur nous un chantage implicite en
brandissant le spectre du chômage mais nous n’avons pas peur. Dans un bel élan
de solidarité, nous organisons la
riposte et cherchons des alliés dont l’efficacité et l’implication ne sont pas
toujours avérées : délégués du personnel, syndicats, avocats, tueurs à gages...
« Camarades Bikers Uber, les Abeilles sont avec vous. Votre combat est le
nôtre. Nous voulons du pain mais aussi des roses ! ». Ce vieux slogan du
mouvement ouvrier est plus que jamais d’actualité. Les têtes couronnées ne vont
pas tarder à tomber. No pasaran !
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