L’historique Bernaeur
Strasse qui a longtemps formé une frontière infranchissable entre Berlin Est et Berlin
Ouest vient d’être rebaptisée Patrick Avenue. L’information est encore confidentielle
et seules quelques personnes connaissent la genèse de ce changement de nom et
surtout l’identité du fameux Patrick.
Patrick est un jeune
berlinois qui par un beau matin d’été fonçait à vélo sans crier gare et a
heurté de plein fouet un véhicule
malencontreusement placé sur sa route. L’accident s’est produit sous mes yeux
alors je que tentais de dompter depuis quelques minutes une bicyclette de
location. Je n’oublierai jamais le choc assourdissant du crâne sur le sol et le
cri de rage poussé par la victime, et surtout le sang qui giclait partout. La
scène formait une campagne de prévention coup de poing en faveur du port du
casque.
Malgré l’état
pitoyable de Patrick qui appelait à la compassion, c’était clairement lui le responsable. Interrogée par la police
en ma qualité de témoin clé, je fus formelle. Il est arrivé à un carrefour, n’a
pas marqué le stop et a continué à toute vitesse comme s’il n’y avait rien, pas
de pancarte, pas d’interdiction. La voiture qui arrivait sur sa gauche circulait
normalement et n’a pas pu l’éviter. Je souhaitais surtout blanchir le
malheureux chauffeur dont le teint basané et l’accent d’un pays du Sud
indéterminé témoignaient d’une arrivée récente en Allemagne et étaient
susceptibles d’accélérer une reconduite musclée à la frontière. Le chauffard
n’était pas celui que l’on croyait.
Aux dernières
nouvelles Patrick est tiré d’affaire et gardera juste une petite cicatrice.
Cette trace indélébile pourrait même
doper sa virilité et renforcer son potentiel de séduction. Le bitume est également
marqué pour toujours d’une tâche rouge synonyme des combats de notre époque qui
ne se jouent plus autour de l’affrontement
entre deux blocs mais dans la frénésie
de la jungle urbaine. Patrick en
tant que survivant de l’enfer de la circulation est devenu une sorte d’icône.
Cette aventure
désagréable a fortement remis en question la vision idéale que j’avais du mode
de vie des allemands et surtout mon soutien indéfectible à la cause cycliste
internationale.
Le vélo est mon mode
de locomotion privilégié mais, dans les rues de Toulouse, cela s’apparente
souvent à un stage de survie. L’homme est un loup pour l’homme et il faut en
permanence se frayer un chemin dans les voies mal aménagées et résister aux incivilités récurrentes. Je rêve d’une cité
débarrassée des embouteillages et du stress, où les relations seraient enfin
apaisées entre automobilistes, cyclistes et piétons. J’avais ainsi hâte de
découvrir les villes allemandes, supposées être précurseuses en matière de modes de transport sains et
durables.
Berlin baigne certes
dans une heureuse coolitude comme si le Summer of Love des années 60 n’avait
jamais pris fin. Tout est amour, farniente et fête sauf sur les pistes
cyclables, derniers espaces d’agressivité et de défoulement. La meute de
cyclistes lancés tels des gladiateurs dans une folle course à la mort ne recule
devant aucun obstacle. Malheur aux touristes étourdis qui n’auront pas bien
compris la signification du marquage au sol, ils seront dégommés sur le champ.
500 points pour le vélo ! Dans les deux camps, beaucoup ont rejoint les
étoiles. Patrick a définitivement eu beaucoup de chance.
Le respect de l’environnement et la gestion impeccable des
déchets restent aussi une utopie. Partout dans les parcs, les poubelles
débordent et les pelouses sont jonchées de mégots. Les berlinois fument comme
des pompiers et parfois même dans les lieux publics, profitant d’une
permissivité devenue inédite dans nos capitales européennes. Ex-fumeurs
repentis, fuyez car vous pourriez bien être gagnés par une furieuse envie de
remettre le couvert ou du moins de renifler les volutes avec nostalgie, sans
craindre les dommages collatéraux provoqués par le tabagisme passif. Et si
l’avenir était justement de se détourner du tout droit, du tout propre et du
tout vert ? Je contacte vite Patrick pour qu’il se positionne et donne la
tendance à ses followers toujours plus nombreux. Namasté !
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