Par une belle après-midi d’automne, j’ai croisé 3 drôles de Jean et cela a bien failli m’être fatal.
Ce jour-là, j’avais décidé de
mettre un terme à une longue période de jachère capillaire et de
dépasser ma peur du coiffeur, une phobie dont je souffre depuis que la
charmante dame à laquelle je confiais ma tête en toute confiance a
mis la clé sous la porte. Je n’ai pas mesuré immédiatement
l’impact de cette perte irréparable. Depuis j’erre de salon en
salon, incapable de m’abandonner complètement et soumise aux
caprices de pseudo-artistes qui confondent créativité et excès de
zèle dès qu’il s’agit de couper et d'effiler. Rien que d’y
penser, je tremble et repousse autant que possible le passage
inévitable par le bac et le fauteuil.
Mais il était grandement temps de
dompter ma chevelure rebelle. Mon entourage invoquait l’état
d’urgence. Ma coiffure était un hommage vibrant à Janis Joplin,
icône pop dont j’adore la musique mais pas forcément le look.
Prenant mon courage à deux mains, j’ai pointé au hasard un nom
dans l’annuaire, celui de la chaîne d’un certain Jean-Louis D. À
ce sujet, pourquoi les usines à coiffure sont-elles toutes gérées
par des hommes ? À quand un empire Jeanne Provost? Ou bien, et c’est
tout à leur honneur, les coiffeuses préfèrent ouvrir des petits
salons de quartier, authentiques et indépendants ?
Bien décidée à en finir, je me
présentais au rendez-vous fixé mais dans le stress je n’avais pas
bien regardé l’adresse et me trouvais dans la mauvaise succursale.
Je plaidais ma cause invoquant ma vie trépidante de citadine
débordée qui ne prend jamais du temps pour elle. Bizarrement les
employés du salon à l’air blasé n’ont pas semblé croire à
mon scénario et n’ont fait preuve d’aucun élan de compassion.
Je suis donc ressortie bredouille, avec ma tignasse à peine
dissimulée dans un savant chignon. Jean-Louis, c’est fini et
d’ailleurs cela n’a jamais commencé entre nous !
Le pire restait à venir. À la
recherche d’un espace coiffure plus convivial, je tombais nez à
nez avec Jean-Philippe du lycée, qui surgit régulièrement comme
une piqûre de rappel des grands moments de loose de ma jeunesse.
Pour lui, c’est tout le contraire, sa journée est aussitôt
illuminée et il met sur le compte de ces retrouvailles inattendues
un signe du destin célébrant la réunion de deux âmes sœurs trop longtemps
séparées. On a fait tous les deux semblant
de croire que j’avais perdu son numéro de téléphone ainsi que
l’ensemble de mon répertoire, d’où mon silence et mon
indifférence à ses nombreuses relances. J’ai dû redonner mon O6
et me soumettre à un test en direct pour vérifier son exactitude.
Jean-Philippe ne veut plus être victime des caprices de la
technologie.
Après avoir vaguement promis de rester
en contact, je filais sans demander mon reste et trouvais refuge dans
un salon Jean-Claude A. La jeune employée pouvait me coiffer tout de
suite et ne ressemblait pas à une psychopathe du ciseau. Pourtant,
je n'étais pas au bout de mes peines et une nouvelle épreuve
m’attendait. En contemplant mon image dans la glace, révélée par
la lueur implacable des néons, je crus voir scintiller un cheveu
blanc au sommet de mon crâne. Jusqu’ici et grâce à une génétique
bienveillante, j’avais été épargnée par cette preuve indéniable
du temps qui passe. « Non, pas déjà », ai-je pensé. J’ai eu une vision accélérée de ce que serait désormais mon
quotidien et du choix stratégique que j’aurais à faire entre les
colorations salvatrices et les cheveux blancs assumés.
La coiffeuse a perçu mon angoisse et
m’a proposé son aide. Ensemble, nous avons examiné mon cuir
chevelu à la loupe, avec plus de minutie qu’une mère de famille
traquant les poux de sa progéniture. Au final, fausse alerte.
C’était un cheveu blond, très clair, décoloré par le soleil. Je
suis en sursis mais mon positionnement sera très clair pour la suite
: camouflage ! Non au chemin libérateur prôné par la journaliste
Sophie Fontanel qui encourage à assumer ses cheveux blancs!
Ma nouvelle alliée a essayé de
profiter de ma béatitude passagère pour me fourguer des produits de
soin « indispensables » mais hors de prix. Je ne suis pas si
aisément manipulable et ai tenu bon. J’ai décrit mon attachement
à des méthodes 100% naturelles comme la bière pour donner du
volume et l’avocat pour nourrir les cheveux secs. La coiffeuse m’a
regardé bizarrement mais n’a pas insisté et s’est acquittée de
sa mission de manière honorable. J’ai maintenant une coupe sixties
à la Deneuve, plus sage en apparence donc mais, comme chez
Catherine, le côté obscur et rock’n roll est toujours latent et
potentiellement insurrectionnel. No Pasaran.
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