mardi 23 juin 2020

Train de vie



"Les TER sont à 1 euro pendant tout le mois de juin, ne restez pas chez vous !" La Région Occitanie orchestre secrètement un génocide massif avec la complicité de la SNCF, à travers une pseudo invitation au voyage. L'objectif exprimé hésite entre la nécessité de relancer le tourisme local et le souci de permettre au plus grand nombre de se déplacer sans se ruiner. Il est évident que cette offre promotionnelle n'a pas été complètement réfléchie car les ambitions économiques et sociales ne convergent pas. Ce ne sont pas les petits gens qui fréquentent assidûment les hôtels et les restaurants. Ils font en général l’aller-retour dans la journée et emportent leur casse-croûte. Ils pourraient se laisser tenter par une glace pour les enfants et une bière pour les parents mais pas plus. Des temps difficiles restent à venir.
Ces trains du peuple vont surtout faire repartir de plus belle la Covid-19. Le nombre de billets vendus n'est pas proportionnel à celui des places disponibles. Aux heures de pointe et pendant le week-end, les wagons se transforment en embarcations de fortune, remplis à ras bord de pauvres diables qui avaient juste envie de voir la mer ou d'embrasser leur grand-mère. Oubliés distanciation sociale et gestes barrière. Le paramètre crise sanitaire ne semble pas avoir été pris en compte dans ce judicieux coup de marketing.
Les passagers sont entassés et laissent tomber leurs masques, non pas par provocation mais tout simplement pour respirer. Les quais des gares sont noirs de monde et l'hystérie s'empare des corps. La foule pousse pour entrer de force dans des compartiments déjà pleins, les enfants sont piétinés, les vélos balancés dehors, un vieil homme pleure en disant qu'il a perdu sa femme dans la bousculade. Comble de l'absurde, une voix informatique répète inlassablement les consignes d'hygiène à respecter sous peine de sanctions et assure l'engagement de la SNCF pour garantir la sécurité des voyageurs.
Quand l’espace devient trop saturé, l’ordre est donné par les rares agents présents de descendre et de trouver un mode de transport alternatif. Chacun ne peut alors compter que sur son sens de la débrouillardise : sauter dans un Express en première, tenter le stop ou encore réclamer l'asile ferroviaire.
Est-ce la meilleure façon de nous aider à nous remettre de l'épreuve du confinement ? Le développement d'une mobilité douce et réconciliée avec l'environnement que le gouvernement décrit comme son cheval de bataille sonne comme une mauvaise blague. Ce qui est beau, ce n’est pas la destination mais le chemin. Monsieur Le Président, donnez à la SNCF les moyens de nous faire rêver !
La première fois, on se dit que cette affluence incontrôlée est due à un bug du système de réservation, mais lorsque le scénario se répète le dimanche suivant, un soupçon de complotisme nous envahit. Serions-nous devenus de vulgaires rats de laboratoires sur lesquels sont pratiquées toutes sortes d'expériences et tortures psychologiques ? Plusieurs clusters ont été détectés sur la ligne Narbonne-Toulouse.
Même si comme le disait justement le regretté Guy Bedos : “Être prêt à mourir pour le peuple, ça ne signifie pas qu'on est prêt à vivre avec. », des aspects positifs de cette expérience collective méritent d’être soulignés. 
La proximité retrouvée permet de sortir de l’entre soi et de côtoyer d'autres pans de la société. Ainsi, lors de l'épisode II du Ter Infernal, je suis collée à des bidasses en route pour leur caserne et autres chouettes aventures musclées. Leur paquetage est  impressionnant, entièrement kaki et marron, les couleurs tendances, mais c'est la composition du groupe qui retient mon attention : un malien, un marocain, un brésilien, deux espagnols et un péruvien. Ces jeunes recrues semblent tout droit sorties d'une série sur les GI américains. Aux États-Unis encore plus qu'ailleurs, les personnes issues de l'immigration n'ont pas beaucoup de choix de carrière. La voie militaire est une opportunité, quitte à servir de chair à canon, sans aucune forme de reconnaissance à la clé.
Ce ne sont pas seulement des personnages stéréotypés mais de vrais soldats. Les sacrifiés potentiels à l'enfer du devoir m'expliquent qu'ils s'entrainent pour intervenir dans des zones de conflits. Ils ne connaissent pas le lieu de leur prochaine mission mais peu importe, pourvu qu'il y ait de l'action. Je pressens que mes interlocuteurs n'ont pas une connaissance précise des enjeux géopolitiques internationaux et préfère échanger autour de notre passion commune, le sport. L'évocation de mes cours de barre à terre ne laisse d'ailleurs pas indifférents ces gros durs aux pieds d'argile. Le travail postural en profondeur complète parfaitement les disciplines ultra-cardios et garantit une forme physique optimale. Battements, dégagés et pied dans la main, les gars !
Confortée par cette complicité inattendue, j'explique à mes nouveaux amis que les guerres contemporaines ne se jouent pas forcément hors de nos frontières. Si le contexte social se durcit, ils seront peut-être appelés pour contenir la grogne des citoyens et je pourrais être dans les rangs des insoumis. C'est moins facile de cogner sur des visages familiers. Alors les garçons, sans envisager le pire, n'oubliez pas le convoi 4663. Nous sommes des frères d'armes, des survivants de la bataille du rail. Un lien indéfectible nous unit désormais. No Pasaran !

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