mardi 16 juin 2020

I HAVE A DREAM




Ça bouge de nouveau dans l'appartement d'à côté. La fumée de cannabis sature l'atmosphère et de joyeuses conversations imbibées d'alcool animent l'immeuble jusqu'à point d'heure. Ganja Man, mon petit voisin rapatrié malgré lui chez ses parents depuis le 16 mars, est de retour. La fin du confinement a définitivement sonné. Ganja Man parle comme Orelsan dans Bloqués, surfant sur le style racaille, le tout dans un quartier calme et résidentiel. Erreur de casting ? Ses paroles ne sont pas toujours intelligibles mais on perçoit son implication dans de vrais combats : gérer la gueule de bois pour mieux rebondir sur de nouvelles teufs ou encore maintenir l'illusion d'une assiduité dans les études, unique passeport pour la liberté et le sponsoring parental. Je reste indulgente en souvenir de ma propre jeunesse. Le sevrage forcé dans le foyer familial n'a pas dû être évident.
Tout semble donc redevenu normal et chacun apprécie les bonheurs simples comme prendre un café au comptoir ou boire une bière en terrasse. La première fois, on a envie de verser une larme tellement ces moments nous ont manqué. 55 jours enfermés sans broncher. "I am a ghost, living in a ghost town", le dernier tube des Rolling Stones, véritables pythies rock'n roll, prédisait cette aventure collective dont nous peinons à nous remettre. Une puissance invisible continue à nous surveiller et les esprits sont loin d'être apaisés.
Pas de répit et le gouvernement martèle à nos oreilles que le virus est toujours là et qu'il faut respecter les gestes barrière. Les consignes semblent de plus en plus absurdes et contradictoires. Les masques glissent sous le nez et les mains pèguent à cause de l'utilisation excessive de gel hydroalcoolique. Nous ne sommes pas qu'une bande de gaulois réfractaires mais le cercle de confiance est rompu.
Cela fait tout de même du bien de renouer avec le contact humain mais le reste, trop de gens dans les rues, les queues devant les enseignes à logos, la circulation qui a repris, non. Cette gesticulation frénétique ne m'enchante guère et je regrette la magie du temps suspendu.
Plus intéressant est le réveil de la grogne sociale avec l'organisation illégale de manifestations. Les regroupements de plus de dix personnes demeurent interdits. La dénonciation des violences racistes vole la vedette au sauvetage du secteur public. La vague d'indignation est partie des Etats-Unis où un homme noir qui s'appelait Georges Floyd a été tué par un policier blanc. Depuis et comme conséquence directe de l’effet papillon, le monde entier s'est embrasé.
La France a aussi son George Floyd, Adama Traoré, décédé en 2016 après une interpellation trop musclée, et une foule hétéroclite réclame justice. Je n'avais pas vu une telle mobilisation depuis l'inoubliable "Touche pas à mon Pote" de mon enfance. On croise à la fois des jeunes aux coupes afros et disciplines de Malcom X, des Gilets Jaunes privés de samedis et des shoppers désœuvrés qui se joignent au cortège entre deux boutiques. Je ne parle pas de ceux qui, planqués derrière leur ordinateur, ont un sursaut de conscience morale et postent frénétiquement sur les réseaux sociaux des "Black Lives Matter", en espérant gagner un maximum de Like.
La plupart de ces personnes ont découvert très récemment la triste histoire d'Adama Traouré mais qu'importe, l'important est de ne plus tolérer l’inacceptable. "Au-delà de nos oripeaux, Noir et blanc sont ressemblants comme deux gouttes d'eau", chantait le troubadour toulousain, Claude Nougaro. Le même sang rouge coule dans nos veines.

Gagnée par cette ambiance de lutte pour les droits civiques, je me prends à rêver d'un destin à la Jean Seberg mais qui se terminerait bien. New York Herald Tribune. Cette américaine, révélée par Otto Preminger puis Jean-Luc Godard, mariée à Romain Gary, a été parmi les premières actrices à prendre des engagements politiques pour faire entendre la voix des Noirs américains dans un contexte de ségrégation raciale, ce que sa blondeur et son joli minois n'aurait pas laissé supposer.  Elle a un temps entretenu une liaison avec un personnage trouble qui se présentait comme un militant des Black Panthers. Le FBI l'a mise sur écoute et surveillée étroitement, contribuant à fragiliser sa santé mentale déjà vacillante. Sa mort mal élucidée mit un point final mystérieux à son existence.

Je mets de l'or dans mes cheveux et passe en revue les icônes noires potentielles : Lilian Thuram, Yannick Noah, Omar Sy, Edgar, mon prof de salsa, particulièrement investi auprès de la gent féminine... Aucun ne m'inspire et puis d'ailleurs, pourquoi le chef de file devrait-il être un homme ? Soudain me vient une idée. Et si on demandait à Christiane Taubira de reprendre du service ? Cette ancienne Garde des Sceaux originaire de Guyane a commencé sa carrière comme militante indépendantiste et est à l'origine de la loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité. Elle surnage au-dessus des politicards véreux et intellectuellement limités et pourrait nous guider vers une mondialisation heureuse et citoyenne. Madame Taubira si ce message vous parvient, on vous attend. Société, tu m’auras pas ! No Pasaran !

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