vendredi 5 novembre 2010

Les monologues du vagin
















Une fois par trimestre a lieu un grand rassemblement à la ruche parisienne à l’appel de ma supérieure hiérarchique, plus connue sous le sobriquet de Queen Bee, la Reine des Abeilles. Cet évènement a l’ambition d’être un moment privilégié d’échange et de détente, women only. En effet et pour ceux qui auraient raté les précédents épisodes, mon service est composé exclusivement de femmes et les rangs de notre armée ne cessent de grossir. Le dernier show vient tout juste de s’achever pour ma plus grande joie.

L’organisation obéit toujours au même rituel : la date de convocation est gardée secrète le plus longtemps possible, les titres de transports sont envoyés ensuite avec une description ridiculeusement détaillée et blondissante de l’itinéraire vers le point d’arrivée et pour finir Queen Bee nous adresse une piqûre de rappel sur un mode chaleureux et maternel : « Vous serez bientôt toutes auprès de moi. J’ai hâte de vous voir ». Courage fuyons !

A chaque séquence de retrouvailles, je m’applique à exécuter des sourires hypocrites, poser des bises claquantes sur les centaines de joues et feindre un intense bonheur professionnel, tout en songeant : « Encore un jour de détention pour Valérie M… ». Il y a toujours une ou deux nouvelles dont j’oublie aussitôt le prénom et que j’associe plutôt à une ville pour faciliter le repérage. D’ailleurs, j’ai remarqué qu’il manquait Clermont Ferrand et appris un peu plus tard qu’elle n’avait pas réussi à passer à travers les piquets de grève. Train, avion, barque, VTT, elle avait tout essayé mais en vain. La ville était entièrement coupée du monde. Il est vrai que les voies de communication modernes ont mis des siècles pour arriver jusqu’à cette froide bourgade perdue au milieu de nulle part et qu’en cas de paralysie nationale, les risques de blocage y sont plus importants qu’ailleurs mais tout de même, je trouvais cela suspect. Est-ce que quelqu’un avait songé à appeler Info Trafic pour vérifier ses dires ? Je n’ai pas insisté davantage, saluant la chance et le génie de Clermont Ferrand qui a su échapper à la séance de bourrage de crâne.

Pour la première fois, Queen Bee avait décidé de nous faire prendre l’air afin d’aller butiner dans plusieurs places parisiennes où elle souhaitait asseoir son règne. Point de carrosse cependant et nous avons été contraintes d’emprunter le mode transport de la plèbe honteuse et puante : le métro. J’ai ressenti une solitude extrême lors de la distribution des tickets et du décryptage collectif du trajet, toutes agglutinées devant le plan. J’ai alors enfoncé un peu plus ma capuche et mes lunettes noires, cherchant par tous les moyens à éviter d’être associée à cette meute de provinciales en goguette. Peine perdue et mon désespoir n’a fait que grandir tout le temps qu’a duré la ballade, surtout lorsque nos interlocuteurs s’exclamaient à l’unisson : « Mon dieu, il n’y a que des femmes, comme c’est étrange ». J’en suis même arrivée à regretter l’anonymat des sous-sols de la ruche. Pour vivre heureux, vivons cachés.

L’heure du retour en classe a tout de même fini par sonner. L’ordre du jour envoyé au préalable est toujours prometteur de débats de haut vol. Cette fois en plus, un point étrange venait rompre la monotonie de la trame habituelle : « Gestion des congés maternité : mutualisation ». Il y a en effet beaucoup de pondeuses parmi nous et une réflexion autour des différentes méthodes d’élevage pourrait avoir un certain intérêt stratégique. Ce fut en fait une nouvelle édiction de loi par Queen Bee qui s’exprima à peu près en ces termes : « Nous formons une grande famille et lorsque l’une de vous part en congé maternité, je ne veux plus qu’elle soit remplacée par une étrangère mais par vous toutes, qui irez chacune à votre tour occuper son poste quelques jours. » L’idée n’est pas fondamentalement mauvaise car elle traduit la capacité d’une profession à répondre collectivement à ses besoins et à réduire la discrimination dont souffrent les femmes dans le monde du travail (licenciement abusif ou perte de responsabilités lors du retour de congé etc.) mais elle est perverse car basée sur le mode du volontariat forcé et enferme une fois encore les femmes dans des problématiques de ventre et de couches. C’est un bond en arrière dans le combat pour la liberté des femmes. J’en toucherai un mot à Elisabeth Badinter.

En signe de protestation, j’ai décidé de revêtir pour le dîner du soir la parfaite panoplie de la femme au foyer des années 50 : robe trapèze noire, collier de perle, chignon strict, et glissé des tupperwares de plusieurs tailles dans mon sac. J’allais dégainer un moule silicone orange mini pour connaître l’avis de Queen Bee sur l’objet lorsque la foule m’a poussé dans une autre direction et je me suis retrouvée dans un coin de table où les sujets de conversation étaient hautement sulfureux et subversifs. Ca parlait augmentation de salaire, négociation de RTT, démission, grève, avortement, embauche d’hommes, renversement de la dictature…. La révolte grondait et, ragaillardie par le vin rouge et ce début d’insurrection inespéré, j’ai lâche mes cheveux et proposé de prendre la tête des suffragettes, avec comme nom de résistante « Maya ». No pasaran !

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