samedi 16 mai 2020

Le Jour d'Après



Le déconfinement, c'est maintenant. En mai, fais ce qu'il te plaît mais avec les gestes barrière. Ce mois d'habitude si charmant, prometteur de farniente et de renouveau avec sa ribambelle de jours fériés dont on a oublié la signification originelle, a perdu toute sa légèreté. Personne ne se projette au delà de 24 heures ni à plus de 100 km. Nous avons basculé dans le monde d'après mais la date du 11 mai n'entrera sans doute jamais dans l'Histoire.

Dès que le feu vert a été donné, j'ai sauté sur mon vélo pour ne rien rater et renouer avec le tumulte de la ville. J'ai essayé de faire abstraction des moteurs qui vrombissaient derrière moi car je ne pédalais pas assez vite. Les chauffards ont rongé leur frein pendant huit semaines et voici venu le moment du défoulement. J'ai vainement cherché les marquages des pistes cyclables temporaires supposées promouvoir la mobilité douce. "Rien que des mots... Parole, parole, parole...". On nous aurait menti?


Un sentiment de vertige m'a envahie lorsque j'ai franchi le Pont Neuf qui surplombe la Garonne, accentué par la perte des repères spatio-temporels. Je ne m'étais rendue que trois fois dans le centre pendant le confinement, le cœur battant et avec la sérénité d'un juif s'échappant du ghetto de Varsovie. Jean-Paul Kauffman, journaliste et otage au Liban pendant 3 ans, décrit parfaitement ces symptômes de stress post-traumatiques dans son autobiographie.

Je n'ai vu aucun char portant des GI américains triomphants ni de bals improvisés dans la rue. Il n'y avait que des gens hagards et masqués qui marchaient péniblement, à l'écart les uns des autres. La distanciation sociale est désormais notre lot quotidien.

Les employés de boutiques regardaient  timidement les badauds derrière leurs visières en plastique, obligés de vendre à tout prix, malgré la peur de la contagion. J'étais moi même déchirée entre les bons principes de consommation responsable et l'envie irrépressible de faire du shopping. Lassée de voir ses rides en gros plan lors des séances Skype, l'une de mes proches dont je tairai l'identité a pris rendez-vous pour faire des injections de botox. Au diable la culpabilisation, nous revendiquons le droit d'être féminines et futiles à nouveau ! Gare tout de même au choc de la perte de pouvoir d'achat et au potentiel retour des Gilets Jaunes sur le devant de la scène. «On est là ! Même si Macron le veut pas, nous on est là ! Pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur, même si Macron le veut pas, nous on est là !». Il ne manquait plus qu'eux.

Les applaudissements le soir à 20H ont perdu en intensité, les primes Covid promises aux personnels de première ligne tardent à venir, le gouvernement noie le poisson en parlant de canonisation des héros le 14 juillet. Des médailles ne suffiront pas à résoudre les problèmes ni à sauver l'hôpital. La grogne monte dans les rangs des blouses blanches et les manifestations reprennent, avec la répression policière inhérente. Les soldats du secteur public, après avoir combattu le virus main dans la main, se retrouvent à nouveau face à face, dans des camps ennemis.

La fête est déjà terminée à Paris. Les apéritifs de la victoire, collés serrés au bord du Canal Saint Martin, ont fait désordre et Castaner a sifflé la fin de la récré. Les français sont incorrigibles mais tellement humains. On n'est pas sérieux quand on a étouffé trop longtemps dans des appartements minuscules et ne nous rabattez pas les oreilles avec le courage exemplaire d'Anne Frank!

Cette ambiance morose donne envie de rester chez soi pour profiter encore de la magie du temps suspendu. Et si, comme l'a prédit Michel Houellbec avec l'optimisme qui le caractérise, la société n'avait tiré aucune leçon de cette parenthèse inattendue et continuait à foncer droit dans le mur, dans un contexte très dégradé ? Syndrome de la Cabane extirpe toi de ces corps innocents ! 

La misère sociale est également plus visible. Au cours de cette première grande sortie, deux personnes dont la mise soignée ne laissait pas supposer l'indigence m'ont demandé une pièce ou un ticket restaurant. La mendicité devient un sport compliqué avec l’accélération de la digitalisation des modes de paiement. Plus loin, un Punk à chiens m'a interpellée pour un tout autre motif : " C'était toi la tarte à l'oignon? Trop bonne, la tarte ! J'ai vu ta photo sur le site. C'est quand tu veux pour une nouvelle fournée. Les restos du Cœur ont réouvert mais c'est pas la même came". J'ai en effet apporté ma modeste contribution culinaire à un mouvement citoyen qui fournit des repas aux sans-abris. " Merci, ai-je répondu. Ce sera avec grand plaisir et on ne vous oublie pas. C'est juste qu'on est tous un peu déconfis avec la pseudo liberté retrouvée et totalement jetlagués dès qu'on s'éloigne trop de notre quartier. Ça va s'arranger." 


Pourvu que ces élans de solidarité ne soient pas que des feux de paille. Beaucoup de bonnes volontés individuelles ont surgi depuis le début de la crise sanitaire et il faut miser sur le collectif.  El pueblo unido, jamás será vencido ! Vivement le reconfinement lundi ! No Pasaran ! 

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