mardi 16 novembre 2010

Wall Street, ton univers impitoyable !




















Alors que j’ai en quelque sorte signé un pacte avec le Capital, ennemi juré longtemps combattu, et goûte avec méfiance aux joies du confort petit-bourgeois, mon vieil ami Pépé est en pleine remise en question de ce mode d’existence qui est pourtant le sien depuis toujours.

La banque pour laquelle il travaille a mis en marche un rouleau compresseur destiné à éliminer les éléments défectueux ou récalcitrants, et Pépé réalise avec stupeur et effroi que ses employeurs ne sont ni bienveillants ni rationnels et qu’il pourrait être l’une des prochaines victimes des purges wallstreetiennes. Révolté par tant d’absurdité et d’injustice, Pépé ne cesse de crier à qui veut bien l’entendre : « On m’aurait menti » car c’est non seulement son univers qui s’écroule mais aussi tout le système de pensée qui l’accompagne. En effet, si certains tâtonnent toute leur vie sans jamais trouver leur voie, Pépé, lui, savait depuis l’enfance qu’il voulait être banquier, jongler avec les chiffres, s’amuser avec l’argent des autres pour toujours plus de profit. L’exercice de son métier tient du sacerdoce, d’où le sentiment profond de désarroi qui l’anime actuellement.

Les objectifs à atteindre sont démultipliés, les tâches s’alourdissent à chaque seconde et les démissions volontaires ou forcées pleuvent. Cette entreprise dont je tairai le nom est devenue un espace de souffrance où une direction sadique s’applique à torturer des sous-fifres sans défense. Le capitalisme est dans son principe un état de guerre permanente. Le système nous ballote sans ménagement, feignant de nous intégrer pour mieux nous éjecter ensuite. La seule solution est l’insoumission et la révolte. Pépé a donc décidé de ne pas courber l’échine et celui qui me répétait inlassablement : « On ne peut pas comprendre l’économie et être de gauche » vient de se syndiquer. Qui aurait cru que derrière une panoplie costard-cravate se camouflait une âme sociale et révolutionnaire ?

Afin de mieux affronter ces bouleversements majeurs dans nos vies, Pépé et moi avons décidé de mettre à profit nos expériences respectives et faire face ensemble. Grâce à lui, je découvre ainsi des notions jusqu’alors inconnues comme l’épargne, la gestion de budget ou encore l’achat immobilier que je m’approprie tant bien que mal en essayant d’oublier la part d’aliénation qu’elles contiennent. En échange, je travaille à la « gauchisation » de Pépé, tâche qui promet d’être ardue car il ne suffit pas de prendre une carte pour être adopté par un parti, mais il faut surtout démontrer la force de son engagement. Ce serait en effet trop facile de crier au loup après avoir voté Sarko en 2007 de peur d’avoir une « Ségolène sans cervelle au pouvoir ».

Pour commencer, j’ai décidé d’effectuer un solide programme de décrassage en mettant du rouge dans ses lectures. Nous ferons des petits exercices simples comme celui de la sélection de la presse avant de monter dans un avion. Pépé devra réussir à opter spontanément pour L'Humanité ou Libération et se détourner définitivement du Figaro ou des Echos. Si les bons réflexes de Pépé tardent à se développer, nous brûlerons quelques exemplaires de publications libérales pour marquer symboliquement la fin de son ancienne existence. Une fois l’esprit guéri, nous passerons à l’action, notamment en prenant part à des manifestations. L’actualité sociale nous donne l’embarras du choix et devrait permettre une mise en pratique presque quotidienne. Nous nous battrons main dans la main contre la réforme des retraites, la chasse aux roms, la lapidation de Sakineh, l’augmentation du prix du tabac et défendrons bien d’autres nobles causes encore. Pépé devra défiler avec fierté et à visage découvert et non pas dissimulé derrière des lunettes noires comme lors de la marche pour la légalisation du cannabis à Londres en 1998. Je lui montrerai en quoi les manifs constituent des moments de partage privilégiés grâce par exemple aux camions buvettes CGT qui proposent des apéros à des prix défiant toute concurrence et surtout car on peut y draguer en toute tranquillité, en étant sûr de ne pas tomber sur des représentants de l’UMP. Au pire, il arrive de croiser quelques socio-traitres repentis. Oui, vous assisterez bientôt à la naissance d’un homme nouveau. Je m’y emploie. No pasaran !

vendredi 5 novembre 2010

Les monologues du vagin
















Une fois par trimestre a lieu un grand rassemblement à la ruche parisienne à l’appel de ma supérieure hiérarchique, plus connue sous le sobriquet de Queen Bee, la Reine des Abeilles. Cet évènement a l’ambition d’être un moment privilégié d’échange et de détente, women only. En effet et pour ceux qui auraient raté les précédents épisodes, mon service est composé exclusivement de femmes et les rangs de notre armée ne cessent de grossir. Le dernier show vient tout juste de s’achever pour ma plus grande joie.

L’organisation obéit toujours au même rituel : la date de convocation est gardée secrète le plus longtemps possible, les titres de transports sont envoyés ensuite avec une description ridiculeusement détaillée et blondissante de l’itinéraire vers le point d’arrivée et pour finir Queen Bee nous adresse une piqûre de rappel sur un mode chaleureux et maternel : « Vous serez bientôt toutes auprès de moi. J’ai hâte de vous voir ». Courage fuyons !

A chaque séquence de retrouvailles, je m’applique à exécuter des sourires hypocrites, poser des bises claquantes sur les centaines de joues et feindre un intense bonheur professionnel, tout en songeant : « Encore un jour de détention pour Valérie M… ». Il y a toujours une ou deux nouvelles dont j’oublie aussitôt le prénom et que j’associe plutôt à une ville pour faciliter le repérage. D’ailleurs, j’ai remarqué qu’il manquait Clermont Ferrand et appris un peu plus tard qu’elle n’avait pas réussi à passer à travers les piquets de grève. Train, avion, barque, VTT, elle avait tout essayé mais en vain. La ville était entièrement coupée du monde. Il est vrai que les voies de communication modernes ont mis des siècles pour arriver jusqu’à cette froide bourgade perdue au milieu de nulle part et qu’en cas de paralysie nationale, les risques de blocage y sont plus importants qu’ailleurs mais tout de même, je trouvais cela suspect. Est-ce que quelqu’un avait songé à appeler Info Trafic pour vérifier ses dires ? Je n’ai pas insisté davantage, saluant la chance et le génie de Clermont Ferrand qui a su échapper à la séance de bourrage de crâne.

Pour la première fois, Queen Bee avait décidé de nous faire prendre l’air afin d’aller butiner dans plusieurs places parisiennes où elle souhaitait asseoir son règne. Point de carrosse cependant et nous avons été contraintes d’emprunter le mode transport de la plèbe honteuse et puante : le métro. J’ai ressenti une solitude extrême lors de la distribution des tickets et du décryptage collectif du trajet, toutes agglutinées devant le plan. J’ai alors enfoncé un peu plus ma capuche et mes lunettes noires, cherchant par tous les moyens à éviter d’être associée à cette meute de provinciales en goguette. Peine perdue et mon désespoir n’a fait que grandir tout le temps qu’a duré la ballade, surtout lorsque nos interlocuteurs s’exclamaient à l’unisson : « Mon dieu, il n’y a que des femmes, comme c’est étrange ». J’en suis même arrivée à regretter l’anonymat des sous-sols de la ruche. Pour vivre heureux, vivons cachés.

L’heure du retour en classe a tout de même fini par sonner. L’ordre du jour envoyé au préalable est toujours prometteur de débats de haut vol. Cette fois en plus, un point étrange venait rompre la monotonie de la trame habituelle : « Gestion des congés maternité : mutualisation ». Il y a en effet beaucoup de pondeuses parmi nous et une réflexion autour des différentes méthodes d’élevage pourrait avoir un certain intérêt stratégique. Ce fut en fait une nouvelle édiction de loi par Queen Bee qui s’exprima à peu près en ces termes : « Nous formons une grande famille et lorsque l’une de vous part en congé maternité, je ne veux plus qu’elle soit remplacée par une étrangère mais par vous toutes, qui irez chacune à votre tour occuper son poste quelques jours. » L’idée n’est pas fondamentalement mauvaise car elle traduit la capacité d’une profession à répondre collectivement à ses besoins et à réduire la discrimination dont souffrent les femmes dans le monde du travail (licenciement abusif ou perte de responsabilités lors du retour de congé etc.) mais elle est perverse car basée sur le mode du volontariat forcé et enferme une fois encore les femmes dans des problématiques de ventre et de couches. C’est un bond en arrière dans le combat pour la liberté des femmes. J’en toucherai un mot à Elisabeth Badinter.

En signe de protestation, j’ai décidé de revêtir pour le dîner du soir la parfaite panoplie de la femme au foyer des années 50 : robe trapèze noire, collier de perle, chignon strict, et glissé des tupperwares de plusieurs tailles dans mon sac. J’allais dégainer un moule silicone orange mini pour connaître l’avis de Queen Bee sur l’objet lorsque la foule m’a poussé dans une autre direction et je me suis retrouvée dans un coin de table où les sujets de conversation étaient hautement sulfureux et subversifs. Ca parlait augmentation de salaire, négociation de RTT, démission, grève, avortement, embauche d’hommes, renversement de la dictature…. La révolte grondait et, ragaillardie par le vin rouge et ce début d’insurrection inespéré, j’ai lâche mes cheveux et proposé de prendre la tête des suffragettes, avec comme nom de résistante « Maya ». No pasaran !

mercredi 18 août 2010

Machjaghjolu en Corsica
















C’est été, j’ai pris le maquis, non pas pour rejoindre un quelconque mouvement de lutte clandestin mais pour me ressourcer au contact de la nature, la vraie, et m’extraire du quotidien. Mission accomplie, même si je n’ai pas choisi une option aussi extrême que le héros d’Into The Wild, parti vivre seul au fin fond de l’Alaska et condamné à trouver lui-même sa nourriture dans un milieu hostile. Son destin peu enviable : l’estomac tenaillé par la faim, il mange par erreur une racine toxique et meurt dans d’atroces souffrances, n’incite pas vraiment à suivre son exemple. Doutant de mes capacités d’autosubsistance, j’ai préféré m’inscrire à l’un de ces séjours qui promettent du frisson, de l’aventure et une immersion presque totale, le tout dans la jungle corse. Je craignais une surreprésentation de jeunes freluquets prépubères rêvant de se faire chasser par une cougar mais j’ai eu la bonne surprise de tomber sur une équipe de trentenaires débonnaires essayant en vain d’expier par le sport leurs péchés quotidiens.

Beaucoup ne comprendront pas ce que l’on recherche à travers ce genre d’expérience. En effet, on paye pour suer, souffrir, être écorchés, couverts de bosses et de plaies suintantes, avaler tant bien que mal une tambouille indigeste, passer des jours sans se laver, vivre les uns sur les autres, mal dormir à cause des ronflements des voisins… Pourtant et c’est le plus curieux, on y trouve un certain plaisir et mieux encore, on s’habitue à la promiscuité et aux préoccupations scatologiques. Les morceaux de papier toilette, biens précieux et convoités, s’échangent sous le manteau. La nuit, c’est le bal des lampes lucioles qui s’éclipsent en secret du campement pour savourer quelques instants de solitude. Alors que notre époque est marquée par le triomphe des individualismes, une solidarité inattendue s’est développée dans l’épreuve. Dépouillé de tout, l’homme reconstitue instinctivement une tribu.

Et puis surtout la Corse est parfaitement propice au dépaysement. Ce petit bout de France qui résiste à l’oppression immobilière et technologique possède un fonctionnement et des règles propres. Car aujourd’hui que signifie se couper du monde sinon perdre le réseau et arriver enfin à lâcher son téléphone portable, devenu un objet silencieux et inutile ? Les militants indépendantistes ont du trouver une combine pour brouiller les lignes et dérouter les touristes, alors privés de leur principal repère. Les épiceries de village rappellent aussi les magasins d’état cubains : sur les étalages, deux boîtes de conserves mènent une lutte acharnée contre une tomate et un concombre, tous les produits sont labellisés corses et passez votre chemin si vous mettez en doute l’authenticité de cette traçabilité autoproclamée. Concernant les cigarettes, je me demande s’il n’existe pas des tickets de rationnement réservés aux autochtones car les commerçants sont généralement en rupture de stock et orientent les malchanceux accros à la nicotine vers l’unique bar du village qui leur vend les paquets à prix d’or. Loin de moi l’idée de sous-entendre qu’il s’agit d’une mafia organisée.

Cette terre est également pleine de dangers qui ne se situent pas toujours la où on les attend. Si vous apercevez une groupe de vieux messieurs en train de jouer aux cartes dans un café pittoresque, ne vous laissez pas attendrir pas ce tableau bucolique tout droit sorti d’un film de Pagnol, au contraire, fuyez sans vous retourner. Il s’agit en fait d’une stratégie pour vous attirer et dès que vous vous approchez, ils vous tiennent et vous forcent à boire de la gnole locale jusqu’à plus soif. Je l’ai testé à mes dépends lors d’un violent orage en ayant voulu m’abriter dans l’un des ces hauts-lieux de l’âme corse. Il flottait dans l’air une forte odeur d’anis et chacun des clients étaient enveloppés d’un nuage de vapeur jaune. L’un d’eux m’a demandé: « On vous offre une verre ? Vous voulez boire quoi ? ». J’ai décliné gentiment la proposition prétextant l’heure matinale. Il a insisté : « Ici on boit, sinon on sort ». Les éclairs grondaient de plus en plus fort dans le ciel et la pluie était diluvienne. J’ai alors demandé timidement : « Une bière, ça suffit ? ». Une autre réfugiée climatique est ensuite entrée dans le bar : « Vous vendez des cigarettes ? ». Réponse négative du tôlier qui une fois de plus a prétexté les difficultés d’approvisionnement. D’humeur blagueuse, le client qui s’était précédemment adressé à moi lui a proposé une alternative : « Héroïne, cocaïne ? ». La jeune femme est restée interdite, ne sachant pas si elle devait prendre au sérieux le « papi dealer ». La pluie s’est soudain arrêtée et je me suis ruée à l’extérieur. No pasaran.

mardi 18 mai 2010

Les naufragés

















Le bal des avions a repris son cours. Bruyamment, depuis hier, ILS SONT de retour. L’alerte est passée et tout semble redevenu normal. Quelle drôle de crise provoquée par un volcan jusqu’alors méconnu de tous et au nom imprononçable : Eyjafjallajokull. La nature a triomphé une nouvelle fois de la raison humaine et des avancées technologiques, revendiquant sa place et ses droits.

Les médias ont parlé, non sans une certaine exagération, de « personnes en souffrance » bloquées dans les aéroports. La formule semble presque indécente car il n’y a tout de même pas eu de guerre ni de destruction massive. Les « victimes » ont d’ailleurs pris les choses avec calme, mesurant leur chance de ne pas avoir disparu dans un nuage de fumée. Le seul gros bobo est au niveau des compagnies aériennes qui vont lancer un SOS au monde entier pour combler le trou laissé dans leurs caisses.

Pendant quelques jours, plus rien ne semblait fonctionner dans notre pays car à l’interruption totale du trafic aérien s’est ajoutée la grève du personnel SNCF à la grogne infatigable. Lors d’une virée à Port-Bou, ville frontière entre la France et l’Espagne, j’ai assisté à des scènes qui semblait surgies d’un autre temps. Ce lieu de passage mythique représentait à la fin de la guerre civile espagnole le salut et la liberté pour des milliers de républicains fuyant un pays en ruine et tombé entre les mains de l’oppresseur. De cette époque, Port-Bou a gardé l’allure de destination du bout du monde, où le temps semble suspendu et d’où l’on n’est pas sûr de pouvoir repartir.

En l’occurrence ce jour-là, cette étape marquait bien la fin du voyage pour les quelques passagers malchanceux qui essayaient de se rendre en France et cet afflux imprévu de réfugiés n’était pas sans rappeler celui de 39. Les blackberries et les valises à roulette avaient certes remplacé les bâtons et les baluchons mais le sentiment de déroute était identique.

Un étrange personnage ne perdait pas une miette du spectacle. Attablé à la terrasse d’un café, il prenait des notes et croquait des portraits avec frénésie. J’ai appris un peu plus tard qu’il s’agissait d’un écrivain new-yorkais qui avait élu domicile dans ce petit port de pêche pour s’éloigner de la civilisation. Dans la lignée d’Hemingway, il cultivait le style de l’artiste maudit, s’enfilant verre de vin sur verre de vin et feignant de tirer sur les pigeons, seuls êtres vivants qui osaient s’aventurer auprès de lui. Encore un qui n’a pas su gérer le choc culturel.

Peu inspirés par l’expérience de sédentarisation de l’américain, la plupart des « naufragés » cherchaient à poursuivre leur voyage coûte que coûte. Ainsi cette umpette en tailleur et chignon strict qui agitait maladroitement une pancarte indiquant « Perpignan » et surtout la promesse d’une rétribution en euros, pour celui ou celle qui la sortirait de ce pétrin. Effet raté. La bonté ne s’achète pas. Profitant de notre statut privilégié de personnes véhiculées, nous avons alors décidé de lui donner une bonne leçon. Nous avons feint de ralentir à son approche pour accélérer aussi sec en brandissant le poing. No Pasaran ! Un peu plus loin attendaient de sympathiques alter mondialistes chevelus qui ont été ravis de profiter de l’aubaine d’un taxi gratuit et surtout de participer au pied de nez collectif à l’umpette.

J’avais songé un instant lui subtiliser ses papiers pour la mettre dans la peau d’une clandestine condamnée à survivre en milieu hostile, cherchant à échapper à la meute des policiers français, car après tout, pourquoi ce serait toujours les mêmes qui profiteraient des charters Besson ? Mes nouveaux camarades chevelus m’ont convaincu de m’en tenir à la résistante passive et je me suis résignée. L’umpette a ainsi conservé son identité mais est restée échouée au bord de la route. Elle était cramoisie à l’intérieur mais son chignon restait intact. L’honneur était presque sauf.

Moi aussi j’aurais aimé être bloquée dans un lieu exotique et lointain. J’y pense d’autant plus que mon appartement se trouve dans un couloir aérien et je vois passer constamment des avions en partance pour de mystérieuses destinations. Mon regard tombe soudain sur un livre négligemment posé sur une étagère : Milles destinations à connaître avant de mourir… J’ai du le recevoir pour un quelconque anniversaire et il a survécu à tous mes déménagements, passant d’un carton à l’autre, pour finalement attirer mon attention aujourd’hui. Je ne me rappelle même plus qui me l’a offert. Sans doute une personne en mal d’inspiration pensant faire preuve d’originalité.

Dans cet ouvrage, les destinations sont organisées par continents, pays et enfin par villes. Cette classification est des plus monotones et ne permet pas à l’esprit de voguer librement, en s’attardant sur un détail qui en rappelle un autre puis un autre. Je feuillette la section Londres par curiosité. Tous les lieux clichés et emblématiques sont mentionnés : Buckingham, le Ritz… Quel ennui ! Qu’en est-il des lieux underground dont je pourrais parler pendant des heures mais qui ont du passer de mode depuis pour laisser la place à de nouvelles adresses. Soudain, la nostalgie m’envahit, en repensant à cette époque. La vie à l’étranger procure un immense sentiment de liberté car on n’est que de passage. Un avion repasse dans le ciel. Attendez-moi ! Courage fuyons !

mardi 23 mars 2010

Les nouveaux gourous




















Il y a un an je démarrais ce blog avec en toile de fond la crise économique mondiale qui telle une araignée malfaisante s’abattait sur ma vie. Depuis, je suis sortie du dédale sans fin des couloirs du Pôle Emploi et passée du côté lumineux de la Force, celui des gens stables et privilégiés qui peuvent regarder l’avenir avec confiance et sérénité. Faut-il en conclure que la crise n’est plus qu’un mauvais souvenir ? La réponse est non. Le confort matériel n’apporte qu’un réconfort partiel et la quête de sens persiste, voire s’intensifie. Pur produit de la génération X ou Y, je tâtonne dans l’âge adulte, me demandant comment tout a pu passer si vite. Stop ! Laissez-moi un peu de temps. Je ne suis pas encore prête à être responsable, propriétaire, mère de famille, amie des bêtes …

Dieu est mort depuis longtemps, les politiques font du rase-motte et le lien humain disparaît au profit de dialogues de sourds par iphones interposés. Vers qui peuvent alors se tourner les brebis égarées dans mon genre, afin de trouver une oreille attentive et bienveillante ? Les options sont multiples et de nouveaux modèles de « guides spirituels » jaillissent de toutes parts.

« Dis-moi ce que tu rêves, je te dirai qui tu es…. », m’a susurré mon psy tout neuf, lors de notre premier entretien. Et oui, après quelques hésitations, j’ai fini par suivre la tendance générale. Maître Woody avait bien annoncé dès les années 80 que nous finirions tous sur le divan.
Je peux ainsi parler librement de ma terreur bizarre du CDI, source de cauchemars inracontables, de mes choix professionnels paradoxaux : j’encourage tous les jours des gens à épargner et à investir alors que, nomade devant l’éternel, je vis au jour le jour et fuis la sédentarisation comme la peste. En même temps, je me demande comment mon interlocuteur arrive à s’intéresser aux petites misères déballées par chacun toutes les vingt minutes. Car ça défile dans la salle d’attente. C’est comme au marché ou chez le dentiste. On croise ses voisins, ses collègues et même ses amis. On feuillette Voici avec une désinvolture feinte. Ce rendez-vous devient un prétexte comme un autre : « je ne peux pas, j’ai psy ». L’ambiance est rassurante aussi : point de dangereux schizophrènes oscillant sur leur chaise, les autres patients ont l’air étrangement normaux, enfin presque… Une femme sans âge aux longs cheveux fillasses déroge à la règle. On dirait Samara, l’enfant maléfique du film Le Cercle, qui aurait grandi. Elle transporte un énorme cabas qui est, j’en suis sûre, remplie de cassettes vidéos ensorcelées. De toute façon, l’époque du VHS est révolue. Plus personne, à part mes parents, ne possède encore de magnétoscope. Vade retro, Satanas !

Un autre phénomène résulte de la recherche du bien-être à tout prix et de l’harmonie avec soi : le développement du coaching. Amour, beauté, sport, travail, on peut être guidé dans tout mais gare aux amateurs et aux charlatans. En effet, au milieu de professionnels sérieux, se glissent de nombreux prédicateurs autoproclamés dont l’influence peut être plus que néfaste. J’ai ainsi appris avec stupeur et effroi que Denise L, informaticienne déchue et syndicaliste aigrie trimballant un trop plein de rancœurs et de frustrations tenaces, s’est improvisée coach, au moment le plus fort de sa dépression. Ma chère LN Stein est tombée entre ses griffes mais heureusement, endurcie par l’Intifada et la vie au kibboutz, a su résister au lavage de cerveau. C’est curieux cette idée de vouloir accompagner les autres alors qu’on est soi-même au plus mal. Denise L est pourtant loin d’être un cas isolé. Il y a aussi cette coach en image qui ressemble à un croque mort anorexique, cette soi-disant pro du recrutement qui finit par être orientée et soutenue par ses propres disciples ou encore cette grande prêtresse de la gymnastique de relaxation qui couvre d’insultes les malheureux retardataires. Cette galerie de névrosés irrécupérables me fait soudain prendre conscience que tout ne va pas si mal pour moi. Je me vois bien d’ailleurs dire à mon psy avec une lucidité très allenienne : « Des années ont passé... J'ai toujours un psy... et six psys, sept boulots, quatorze pays et trois maris plus tard, je n'ai toujours rien réglé dans ma vie. »